Jacques ANNIC
Station
Météo d'Ouallen
Février
1957 – Mai 1958
J'ai tenu de février 1957 à mai 1958 la station météo d'Ouallen en compagnie de 2 radios de la compagnie saharienne et quelques goumiers.
Bordj Ouallen se trouve à 250 km au sud de Reggan à 69 km à l'est de la piste impériale. Sur Google Earth, on distingue une petite tache sombre encadrée de blanc positionée : 24°36'26" N et 01°17' E.
Si l'été était plutôt calme en raison de la chaleur (j'ai relevé 46° sous abri les 15 et 16 août 1957), l'hiver nous recevions parfois des visites de missions de géologues dont une équipée de 2 hélicoptères Alouette 2, d'hydrologues et même d'antiacridiens pour tuer les criquets « à leur naissance » avant qu'ils ne forment des « nuages ». Nous eûmes aussi la visite d'un peloton de méharistes avec un lieutenant qui était savoyard, 2 sous-officiers radios et une dizaine d'indigènes.
Toujours pendant la saison d'hiver, des caravanes de Touareg remontaient des moutons du sahel où ils les élevaient pour approvisionner les oasis du nord. Nous profitions pour leur acheter un mouton pour nous approvisionner en viande fraîche.
Les photos et légendes sont de Jacques ANNIC
REGGAN
Adrar
: poteau indicateur |
Le
bordj de Reggan
|
Vue
du toit du bordj |
L'intérieur
du bordj
et
l’abri météo (amateur) |
Ces photos de Reggan ont été prises mi février 1957. J'ai connu le bordj de Reggan avec un lieutenant et 2 radios comme européens.
Chaque poste, même s’il n’y avait pas de météorologiste, possédait un abri météo succinct (c’était le cas de Reggan et Bidon V). On y relevait notamment la température et la T° Maxi et Mini et la pluviométrie. Cela servait ensuite au moins pour la climatologie.
ADRAR
La
place |
Le
lavoir |
Vue
aérienne |
Les
jardins |
La
mosquée |
Femmes
sur la place |
L'église |
Porte
au coucher du soleil |
La
grand’ place |
Un
potager |
Un
cimetière |
Pour me rendre à Ouallen, je profitai qu'une mission hydrologique s'y rende pour faire le voyage. Je pris donc l'avion à Alger pour Adrar le 14 février, j'y passai au moins un jour, le temps de prendre quelques photos. La grand’ place d’Adrar avait la particularité d’être la plus grande du territoire français (elle dépassait de 10 mètres celle de la Concorde).REGGAN – OUALLEN
La balise 250 est le carrefour de la piste impériale et Ouallen. Y séjournaient 2 indigènes qui servaient de bureau de poste pour Ouallen.
Sur la photo de la balise 250 (prise lors de la sortie à Bidon V) on distingue Michel Lucas.
Lu dans « Méharées » de Théodore MONOD : le 13 février 1936 à 11h15 « en attendant, nous pénétrons par un étroit tunnel sous la balise n° 260 (sic) – sorte de maisonnette en tôle, toute sonore des coups de la tempête et peinte en blanc – pour y déguster, accroupis sur des cadavres de sauterelles roses, un thé sablé, en l’honneur de notre prochaine arrivée au port. » La veille, il venait de découvrir la fameuse météorite d’Ouallen à 70 km plus au sud. Le lendemain, il arrivait au bordj où il séjourna 5 jours et où il reçu un aimable accueil ! (déjà !) C’était 2 mois et demi avant ma naissance.La mission hydrologique qui m’amena à Ouallen était composée de 2 camions genre GMC et de 2 Jeeps Land Rover (les plus confortables de l’époque). Dans le désert on découvre parfois des carcasses d’animaux morts de soif mais au bord de la piste dans le Tanezrouft, on ne découvre que des carcasses de voiture (qui ne rouillent pas en raison de l’absence d’humidité).
Sur la photo du lendemain de l’arrivée à Ouallen, on distingue de gauche à droite : Le chef de la mission hydrologique puis Gildas Le Gouguec, le météo que je viens relever, Il est maintenant décédé, il était d’Auray (56) et fut l’un de mes anciens collègues au collège à Sainte-Anne-d'Auray (56).
Le barbu c'est René Codeluppi (de Savoie), radio et chef de poste. C'est un vieux ouallennien (il y est depuis plus de 2 ans : début 55). Il sera évacué 3 mois plus tard, en mai, suite à une appendicite aiguë. Il vient d'entrer en communication avec moi après avoir lu mon superbe récit fernezien (merci Michel !). Nous attendons tous le récit de ses souvenirs. Ce sera peut-être un peu long à attendre : la sénilité est là ! Mais ce sera bon !
LA VIE À OUALLENPourquoi une station météo à OUALLEN ?
Pour des raisons trop longues à expliquer ici, la Météorologie (organisation mondiale) a besoin de relevés effectués tous les 300 km si possible. OUALLEN étant à 300 km des stations d’ADRAR, AOULEF, IN SALAH avait une grande utilité à cette époque. Les techniques ont dû évoluer depuis.
Si mon travail avait consisté à faire le beau temps, j’aurais maintenant la légion d’honneur car j’y parvenais 360 jours pas an !
En fait il consistait à faire une observation à 6, 9, 12 et 18 heures. À 9 heures, en plus, je faisais un lancer d’un « ballon pilote » (rouge en cas de nuages et blanc par ciel bleu). Ce ballon prévu pour monter à 200 m/minute me permettait, en le suivant au théodolite, de calculer la direction et la vitesse du vent en altitude. La pureté du ciel me permit un jour de suivre un ballon blanc à 16 000 m d’altitude et 160 km de distance.
Pour gonfler ces ballons, je produisais mon hydrogène sur place dans une bouteille à air comprimé avec de la soude caustique, de la ferrite et de l’eau.
Il arrivait que, pour se distraire, François CRIADO prit son Lebel pour faire un « carton » sur mon ballon après son lancer. N’en parlons plus : il y a prescription !
Sur le tableau sont affichés tous les codes me permettant de chiffrer mes messages pour les condenser; (en 5 groupes de 5 chiffres, on précisait la nébulosité, la force et direction du vent, la visibilité, le temps présent et le temps passé, la température, l’humidité, la pression atmosphérique réduite au niveau de la mer, la description et l’altitude des principaux nuages. Sur la photo du chargement du dromadaire, on reconnait Abderamane ben Aman, l’un des 4 goumiers. La dernière photo représente la découpe d’un mouton que nous avons acheté aux Touareg de passage. Le support est notre pompe à eau qui est HS.
Dans la scène du thé, au pied du rempart du bordj, on trouve : Bah ben Alifah un goumier, + un jeune indigène, + Michel Lucas de Girolles-par-Cepoy dans le Loiret, radio et chef de poste, + Mohamed ben Lamorlette (le fruit de « l’amour coupable » d’un radio prédécesseur avec la « chaoua »), + Abderamane ben Aman : un autre goumier, + le barbu : c’est moi !, + François Criado de Saïda : radio (un pied noir très utile pour servir d’interprète), + un indigène, + Zeidane ben Lallah (en bleu) : chef des goumiers qui gagna ses galons de sergent chez les méharistes en menant une patrouille assoiffée à un puits.
Le thé a l’avantage de désaltérer efficacement avec peu d’eau. C’est tout un cérémonial : l’eau est chauffée dans la bouilloire suspendue au dessus du petit feu de bois puis versée dans la théière où attendent le thé et le sucre (celui-ci est récupéré en fractionnant un gros pain de sucre de 40 cm qu’ont connu nos ancêtres). Puis le thé est versé dans de petits verres en éloignant la théière d’un geste rapide, précis et continu tout en visant bien le verre avec le jet ! (tout un art !).
À l’intérieur du bordj, je joue à la pétanque avec un nouveau radio Bernard GRENTE. Il était de Granville (Manche). Le pluviomètre est sur son pied en torchis.
Je m’étais fabriqué une sarbacane avec 2 barreaux de lit : il fallait bien se distraire !
J’essaie « d’apprivoiser » un dromadaire dans le drine (herbe dure et piquante) dont ils se nourrissent.
À table de gauche à droite : François CRIADO, Jacques ANNIC, Majoub tou Hami (notre cuisinier) et Michel LUCAS. Je viens de localiser (le même jour: le 10/10/10 !) ces 2 « co-détenus » grâce à Internet. Michel LUCAS termine ses jours au pays de la blanquette. Il vient de me faire parvenir ses photos d'OUALLEN qui complètent ma collection. Nous pourrons tous les admirer quand il aura pris de temps de faire faire son site. Quant à François CRIADO qui habite au pays du député FABIUS, n'ayant pas lui-même « Internet », il se trouve moins intéressé pour l'instant. Mais nous devons nous retrouver dès le beau temps en Bretagne.
Sur la photo de la découpe du chameau, on distingue l’animal mort « accroupi » (la peau enlevée par le haut est étalée au sol pour protéger la viande du sable). Les « bouchers » commencent par enlever la bosse qui est une réserve de graisse. La particularité de la viande de chameau est qu’elle est rayée de blanc par ce qui pourrait passer pour des tendons. Sa dégustation ne me rappelle aucun souvenir. Elle doit donc être ordinaire.
VISITE D'UNE PATROUILLE DE MÉHARISTES
Je profitai pour me déguiser en méhariste avec ma « patrouille ».
Le lieutenant (de Savoie) avec ses 2 radios. Ils sont chaussés de « naïls » touareg, en cuir, très larges pour marcher sur le sable.
À l’ombre du Bordj, séance du thé avec 2 indigènes et Majoub tou Hami, goumier et notre cuisinier et éventuellement interprète, de dos Zeidane Ben lallah et un indigène.
La manche à air de la piste d’avions.
LE COL DE TARRIG
Pour pénétrer dans la cuvette d’Ouallen, il fallait passer par le col de Tarrig en partie empierré par les légionnaires en raison du sol mou. On pense que ce sont eux qui « bouchardèrent » ces dessins sur les parois des rochers.
DESSINS PRÉHISTORIQUES
La mission antiacridiens découvrit lors de son travail des dessins préhistoriques sur des rochers à l’horizontal à fleur de terre. Ils sont positionnés à 15 ou 20 km au sud : sur Google Earth : 24°32’24’’N et 01°17’E. Ils sont constitués d’une rainure creusée dans le grès.
Gravures préhistoriques
En fait, j’ai soumis ces photos à un éminent spécialiste : Monsieur Josick PEUZIAT, Vice-Président de la Société Archéologique du Finistère qui en a tiré les conclusions suivantes :
« Avant de connaître son aspect actuel, le Sahara a connu d’autres périodes arides entrecoupées d’épisodes propices à l’épanouissement de civilisations dont les peintures et les gravures conservent le témoignage. Le désert actuel ne s’est installé qu’au cours du dernier millénaire avant notre ère. Les millénaires précédents (à partir du 5ème-6ème millénaire avant notre ère), période que l’on appelle néolithique, au cours de laquelle apparaissent l’agriculture, l’élevage ont vu se sédentariser des populations qui auparavant étaient plutôt nomades. Les moyens de subsistances de ces dernières étaient la chasse, la pêche dans les ruisseaux, les lacs... Avec la sédentarisation, vont, aussi en plus du développement des troupeaux, de la mise en culture de zones proches des villages, apparaître les céramiques, le polissage des pierres pour en faire des haches, des herminettes, les meules dormantes accompagnées de molettes pour écraser les grains récoltés, les pointes de flèche. Ces populations sédentarisées édifient aussi des monuments funéraires. Au col de Tarig, les gravures sont exécutées par piquetage de la surface de la roche-support ; les figures apparaissent en clair sur un fond de couleur sombre. Y sont représentés des dromadaires, un individu qui semble danser, des bêtes à cornes, immortalisant peut-être un animal disparu, le bubale, une espèce de grand buffle. À Ouallen, sur une roche de teinte ocre, dessinés au « trait », sont représentés des éléphants, un équidé, un échassier, des girafes. La présence de l’échassier est sans doute à mettre en relation avec une zone humide proche.
En principe les gravures représentant des chevaux marquent la fin du néolithique, ces animaux sont supplantés progressivement par les dromadaires, signe d’une aridité qui se met en place, évoluant vers la situation actuelle ».
Josick PEUZIAT
SITUATION GÉOGRAPHIQUE D'OUALLEN
Sur mes CRQ (compte-rendu quotidien), j’indiquais la position géographique de la station : 24°36’N et 01°49’E. J’ai eu beaucoup de difficultés à positionner Ouallen sur Google Earth car en fait la vraie position est de 24°36’26’N et 01°17’E. Si la latitude est bonne, la longitude était nettement décalée car le chronomètre pour ce calcul était en avance. Je cherchais donc vainement le bordj dans l’autre cuvette de l’autre côté de la chaine de montagne. On distingue actuellement sur les nouvelles photos de Google Earth de nouveaux bâtiments.
Sur la photo prise à la verticale, on distingue au sud (à droite en haut) l’ébauche d’un camp retranché plus important que le bordj (peut-être provisoire en attendant la construction du bordj). Autour de celui-ci on distingue la première ligne de défense en barbelé.
Pyramide au S-E
Ce cône de pierre d’environ 40 m de haut constitue la fin au sud de la chaîne de montagne située à l’Est. Il se trouve à environ 25 km; au lever du soleil, c’était notre « pyramide ». René CODELUPPI vient de me remémorer qu’on l’appelait « Djebel Lolo BRIGIDA ». Devinez pourquoi !
LE BORDJ VU DE PRÈS
Sur ces photos de l’intérieur du bordj, on distingue l’abri météo au centre, le réfectoire à gauche, la clôture centrale qui sépare la partie des européens de celle des goumiers. Dans la photo de la clôture, prise un matin d’hiver, il fait 8° avec de la rosée et de la brume. On distingue sur le toit de mon logement (où nous dormions les soirs d’été), l’héliographe et l’anémomètre. Souvent l'été, la température minimale restait à 33°. Alors qu'il fallait 29° pour que nous puissions « récupérer ». Il faisait 40° dès 9 heures jusqu’à 21 heures. Dès 38° l’air n’est plus chaud mais brûlant. On dormait nu sur la terrasse mais il fallait néanmoins se recouvrir le ventre pour ne pas attraper la « tourista ».
VISITE À BIDON V
La
pancarte |
Tous
les bâtiments
|
Bâtiment |
Bâtiment |
Les
pompes |
Piste
du Tanezrouft |
Coucher
de soleil à Bidon V |
Une des missions venue nous voir devait faire un aller-retour à Bidon V. Avec le chef de poste d’Ouallen, Lucas, nous avons profité du voyage de 48 heures.
Près du bâtiment on distingue une VW. C’est celle d’une écrivaine hollandaise qui traverse le Sahara seule (mais dans un convoi de camions pour la sécurité). Elle y passa quelques jours (en attendant un autre convoi !) à la grande satisfaction des 2 radios du poste. Pour respecter leur intimité, nous dûmes aller dormir dans le vieux bâtiment. Son arrivée dans la région donna la fièvre au réseau de transmission car les opérateurs au Sahara sont en retard d'affection. Lors d'un CQ (rendez-vous de toutes les stations sur une même fréquence) l'un des opérateurs posa la question suivante à son collègue de Bidon V : « INT coïte 5/5! » (INT est la forme interrogative en morse). Je n'ai pas souvenance de la réponse !
Sur la photo : piste du Tanezrouft (prise à Bidon V) on distingue la chaussée en « tôle ondulée » formée par la circulation. Un bull passait de temps en temps pour aplanir mais ça ne durait pas. Les véhicules légers, pour éviter les vibrations, roulaient sur la terre vierge.
SUR LA ROUTE DE BIDON V
VISITE DES CARAVANES DE TOUAREG
Berger
Targui |
Moutons
à l’abreuvoir |
Avec
les caravaniers Touareg |
Guirbas
pleines d’eau |
Puits
des caravaniers |
Moutons
aux drines |
Chameaux
dans les drines |
Avec
les chameaux |
Chamelle
et son petit |
Gueule
de chameau |
Moutons
de la caravane au repos |
Caravane
de moutons |
On voit sur la quatrième photo les « guirba » : des outres faites de peau de mouton. L’eau qui y est conservée est fraîche car l’évaporation en surface refroidit l’eau intérieure. (l’évaporation d’un gramme d’eau nécessite 606 calories). Quand il fait 45° à l’ombre, l’eau y est à environ 20 à 25° ce qui la rend très fraîche à boire. On peut voir que l’eau sortie du puits est jaunâtre. Nous la laissions reposer pour qu’elle soit claire. Le puits réservé aux caravaniers n’est qu’un trou à même le sol.
On distingue la gueule du chameau sanguinolente car le « drine » est une herbe piquante, rêche et acerbe.
LES ROCHERS AUX ENVIRONS D'OUALLEN
Dans
les rochers |
Chute
de rochers |
Gouffre de rochers |
Montagne
de rochers |
Flan
de montagne |
Rocher
en équilibre |
Mur
de rochers |
Grotte
à meurtrières |
La cuvette d’Ouallen est entourée de plateaux rocheux d’environ 50 à 60 m de haut.
SIGNAL DU PUITS ET TOMBE
Au sommet de la « montagne » est monté un petit monticule de pierres appelé « Adebni » pour signaler de loin aux caravaniers la présence d’un puits. D’abord un petit monticule puis un plus grand par la suite. On distingue le bordj en bas à droite du grand et au niveau du sommet et à gauche du petit.
Un légionnaire allemand y est enterré tout près du bordj.
OUALLEN : L'APPROVISIONNEMENT
Au début, il fallait se contenter de pâtes, riz, farine et corned-beef. Le pain était une galette épaisse cuite sur le sable préalablement chauffé par un feu de bois et recouvert de sable chaud. C’était la « kesrah » imbibée de sable qui grinçait sous la dent.
Puis à partir de la construction de la base de Reggan et sa piste de dégagement à Tessalit au Niger (à l’époque l’AOF), nous avions l’approvisionnement hebdomadaire par Noratlas 2501 de produits frais dans une glacière. La marchandise était transportée de la piste de l’avion au bordj (3 km) par 2 bourricots.
Notre frigo fonctionnant au pétrole était incapable d’avoir une température utile l’été. Nous buvions donc l’eau fraîche des guirbas. Pour réduire la température du corps de 45° à 37°, il fallait boire au moins 10 litres d’eau par jour. Un jour que j’étais « flagada », j’ai conclu que c’était un manque de sel que j’avais perdu par la transpiration. Je décidai donc de mettre 1 cm de sel dans un verre d’eau et je retrouvai la forme.
À la saison froide, par contre, nous buvions parfois de la bière refroidie au frigo à pétrole. Chacun avait son repère sur ses canettes qui étaient de simples boites de conserve. Comme c’étaient des bières « Météor », il m’était facile de rayer le « r ».
MISSION DE GÉOLOGIE EN HÉLICO
Une mission géologique dirigée par un suisse nous rendit visite avec 2 Alouettes 2. Il fallait à cette époque autant d’heures de révision que de vol. Ce géologue nous montra des tigilithes (des pierres cylindriques soit libres soit incrustées) composées d’anciennes tiges de végétation pétrifiées comme il existe des troncs d’arbres de même. Il nous précisa qu’au col du St-Gothard, il y avait également des galets incrustés dans le granit. Quand j’y passai plus tard en allant de Suisse en Italie, je m’en souvins et pu le constater. C’est le cas également dans notre très beau granit rosé de l’Aber-Ildut au nord de Brest impropre à la « consommation » par des incrustations de galets noirs.
OUALLEN : LA VÉGÉTATION
Le front météorologique intertropical (le poteau noir) se situe à la verticale du soleil. Le tropique étant situé à 23°28’N et Ouallen à 24°36’26’’N, nous étions à 110 km environ au nord de la verticale du soleil en été. Il arrivait donc que ce front nous rendit visite (5 à 6 fois durant l’été) nous amenant orage et pluie parfois forte. L’oued descendant de la « montagne » inondait les alentours de notre puits. Un prédécesseur fit même un rapport précisant que le bordj avait été entièrement entouré d’eau. La végétation éphémère profitait pour proliférer. Certaines vallées aux alentours étaient garnies d'acacias qui permettaient à nos goumiers de nous approvisionner en bois sec pour la cuisson de la cuisine et du pain.
OUALLEN : LA FAUNE
En plus de la vipère à corne qui laissait des traînées obliques et parallèles sur le sable, nous avons eu l’occasion de capturer un autre serpent.
Un goumier, en allant chercher le courrier à la balise 250 tua une gazelle et nous ramena son petit qui, hélas, ne survivra pas.
Dans le bordj, il y avait quelques petits oiseaux genre « piaf » couleur sable. Un jour j’en visai un avec ma sarbacane et la flèche (composée d’une petite tige de fer et d’une capsule en plastique comme empennage) récolta le petit flocon de laine qu’il portait au bec pour faire son nid. Tant mieux s’il survécut mais la preuve était faite que j’avais fabriqué une arme redoutable !
Il arrivait que l’on découvre des carcasses d’animaux morts de soif : ici une chèvre et une tête de gazelle.
Il y avait aussi une souris marsupiale : la gerboise, le scorpion dont un piqua un jour à la main le chef de poste Lucas, le scarabée (el ramfouffe) se nourrissant de crottes de chameau, sans oublier le fennec (renard des sables), le varan.
Mais tout bon saharien dirait que j’ai oublié un animal particulièrement présent : la « Musca-Domestica » : la mouche commune.
Si en France elle sévit en été et en Afrique du Nord (j’ai été 18 mois à Blida) en automne et au printemps, au Sahara c’est en hiver.
Si en France elle est assez lourdaude (on peut la tuer même sans tapette) plus on va vers le sud plus elle est agile : il est pratiquement impossible de l’écraser à la main. Elles viennent jusqu’à la commissure des lèvres pour pomper quelque humidité. Une fois une mission habituée à bivouaquer un peu partout nous révéla qu’un jour ils avaient trouvé un lieu de bivouac idéal... : « Il n’y avait pas une mouche ! »
Un jour je me blessai légèrement la peau au niveau du tibia. Je ne pris pas le soin de protéger cette blessure insignifiante. Mais quelques mouches s’y régalèrent pendant que je suivais mon ballon au théodolite. J’avais les 2 mains occupées en permanence donc pas question de les chasser. La plaie s’infecta et ma jambe doubla de volume. Le « toubib » d’ADRAR alerté préféra me rapatrier pour observation. Tout rentra dans l’ordre après quelques soins et un séjour à l’hôpital.
OUALLEN : JOJO
Nous avions un petit chien nommé Jojo que nous avions dressé à faire le « beau ». Nous lui posions alors un morceau de sucre sur la truffe qu’il avalait au vol d’un rapide mouvement du museau. Il mérita même d’être habillé en saharien avec le képi.
OUALLEN : ARCHÉOLOGIE
Le premier chef de poste à mon arrivée : René Codeluppi me montra une perle ancienne faite dans une coquille d’œuf d’autruche. Il me dit qu’il la trouva dans une tombe antique que l’on repère par un croissant de pierre ouvert vers le Nord. En ayant découvert un sur le plateau rocheux, je me transformai en archéologue amateur avec une méthode à provoquer l'ire d’un archéologue moderne. Mes recherches furent vaines !
PHÉNOMÈNE MÉTÉO : LE MUR DE SABLE
Quand un front froid (l’avant d’une masse d’air froid) se déplace, il soulève du sable par tourbillonnement faisant un mur qui se déplace à quelques dizaines de km/h. Cette photo en représente un assez impressionnant (même si la photo n’est pas assez précise : je n’ai pas eu le temps de régler la distance sur mon « RETINA »). On distingue néanmoins Jojo qui rentre au bordj précipitamment. La température chuta de 20° – de 43 à 23° – en une dizaine de minutes.
Au Sahara, il arrive qu’il y ait des dunes de sable !
AOULEF - TESSALIT - OUARGLA
Après ma brève hospitalisation à ADRAR, il fallait retourner à OUALLEN. Comme l’avion s’y rendant faisait au préalable escale à AOULEF je m’y rendis par la route : c’est « tout près » ! Je vais bien-sûr rendre visite à mes collègues de cet aérodrome. La station météo est dirigée par un jeune ingénieur de 24 ans : Hervé MADEC (encore un breton... ! ils sont partout !). Je ne le sus que 50 ans plus tard en déjeunant incidemment avec son frère. Il vient d’ailleurs de me téléphoner pour nous rappeler quelques souvenirs. Lui non plus ne regrette pas son séjour au Sahara : c’est un pays très attachant pour qui l’a bien connu.
J’y eu l’occasion d’assister au lancer d’un ballon « radio-sonde ». Ce ballon d’environ 2 m de diamètre emportait une petite boite équipée pour relever les températures et pressions en altitude et de les transmettre au sol par radio. Rares étaient les stations équipées ainsi.
L’avion faisant, au préalable, escale à TESSALIT (en AOF), j’y passai la nuit. Je rendis visite naturellement à mon collègue de cette station. C’était un « indigène » qui m’apprit un nouveau mot français (il faut maintenant aller en Afrique pour entendre parler un « bon français ». Il me dit qu’il préférait faire ce travail scientifique que d’être « écrivassier » dans un bureau. Bien-que travaillant au 20e siècle, son épouse pilait toujours son mil avec son pilon de bois.
En débarquant les vivres à OUALLEN, on constate qu’il y a pour nous 107 kg de choux-fleurs (une erreur de transmission !) Pour 3 convives c’est beaucoup. Nous passâmes donc un message à ADRAR (l’escale suivante) pour savoir s’ils acceptaient de prendre une partie de la marchandise. Ce fut le cas mais il n’empêche que nous mangeâmes du chou-fleur à toutes les sauces.
Dépendant administrativement d’OUARGLA et mon contrat venant à échéance en décembre 57, il me fallu m’y rendre ne serait-ce que pour passer une visite médicale. Après un long voyage avec escale à ALGER, j’y retrouvai mon collègue Gildas LE GOUGUEC que j’avais relevé 10 mois avant à OUALLEN. J’y revins au bout de 15 jours et Zeidane ben Lallah, le chef des goumiers, croyant que j’étais parti définitivement m’accueillit les bras ouverts et s’écriant : « El métayo ! »
Le parc aux autruches était le nom donné à la « maison ouverte ! » d’OUARGLA. Les « professionnelles » sont assises sur le « mastabah » en attendant le client !
SOUVENIRS SOUVENIRS
Contrairement à notre chevrette et notre biche qui en sont démunies, la femelle gazelle porte des « cornes » qu’en vénerie on appelle des « bois ». Ceux de la femelle à droite de la photo sont plus frêles, déformés et souvent cassés, comme c’est ici le cas.
Un jour profitant de la visite d’une mission, nous allons avec François CRIADO et les chauffeurs de la Jeep chasser la gazelle. Mais même avec un « Lebel » d’avant 14, ce n’est pas facile de tirer à 200 m une gazelle qui courre à partir d’un véhicule qui roule. Nous finîmes par l’avoir en la culbutant avec le pare-choc avant. Ce qui lui arracha l’épaule que nous dégustâmes grillée au campement sur place le soir où nous passâmes la nuit à la belle étoile.Nous avons eu l’occasion de jouer à la pétanque avec les coloquintes qui poussaient miraculeusement sur place.
En matière d’Armement, j’étais équipé d’un MAT 49 avec 2 chargeurs. Quel dérisoire équipement ! Heureusement que nous n’avons pas été attaqués… ! Par contre les goumiers (et si j’ai bonne souvenance, les 2 radios) avaient des Lebel, le fusil des poilus de 14, l’ancêtre du MAS 36.
Pour nous nourrir d’œufs frais, nous avions quelques poules et un coq. Mais en été, il fallait consommer les œufs rapidement sinon, ils commençaient à « s’auto-couver ». Un jour, un sloughi de passage tua une poule. François CRIADO le supprima avec son Lebel : notre survie avant tout !
Un jour une mission fit un aller-retour à Tamanrasset. Elle nous ramena ces objets de l'artisanat touareg. Les naïls usagées sont celles que je portais là-bas.
CONCLUSION
J’ai lu ici ou là des légendes sur OUALLEN. Je n'en parle pas car j'ai voulu que mon récit ait la rigueur d'un historien comme ceux de notre ami Alain BROCHARD (docteur en histoire). Ce que je raconte est tout ce que m'a laissé ma sénilité naissante. Mes « codétenus » auront d'autres souvenirs qui complèteront les miens car la mémoire se grave en fonction de l'émotion du moment.
J’ai lu notamment que le personnel était relevé tous les 6 mois pour ne pas trop détériorer leur mental. La présence de René Codeluppi pendant 29 mois est le plus fort des démentis.
LES PETITS VIEUX
Comme je l’ai expliqué plus haut, les trois petits vieux se sont retrouvés chez moi.
Comme il me reste encore quelque pouvoir météorologique, je les accueillis avec un petit crachin breton pour faire croire aux « touristes » que c’est habituel ici. Mais les retrouvailles après plus de 53 ans furent néanmoins chaleureuses et émouvantes.
Michel était accompagné de sa charmante épouse Yvette ; quant à René, il était seul. Que de souvenirs additionnés car chacun avait les siens gravés dans sa mémoire. Ils se feront tous les deux le plaisir de nous les faire partager bientôt.
Les 3 jours furent vite passés bien que levés à 7 heures au son du clairon pour rappeler la caserne (merci Wikipedia). À Ouallen c’était plus dilettante! Mais seule Yvette LUCAS l’entendait car les 2 radios sont sourds comme de vieux radios !
De gauche à droite: Michel LUCAS, Jacques ANNIC et René CODELUPPI
Jacques ANNIC - Novembre 2009 - Mars & Juin 2011
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Jacques ANNIC et Bernard GRENTE
à Quimperlé (Finistère)et à Port-Haliguen en Quiberon (Morbihan) les 8 et 10 juin 2014
Comme pour René CODELUPPI, c’est grâce à mon site fernézien que j’ai retrouvé Bernard GRENTE (Merci Michel).
Nous avons passé 2 belles journées ensoleillées ensemble en compagnie de nos dames. L’une à Quimperlé et l’autre à Port-Haliguen en Quiberon.
Encore un grand merci pour ce que tu fais à tous les amis sahariens.
@mitié s@h@rienne.
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Jacques ANNIC - Juin 2014
© Ces
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