3ème Groupe de Transport

Je voudrais vous faire partager quelques pages d’un livre découvert récemment sur celui appelé le plus souvent « Saint-EX ».
Ce livre de Georges Pélissier, à l’odeur de vieux parchemin, fut publié en 1951 par Ernest Flammarion.
L’analyse de Georges Pélissier est surprenante et nous permet de comprendre au mieux qui était Antoine de Saint-Exupéry.

En tête de son livre Georges Pélissier a rédigé une chronologie de Saint-Exupéry.
J’ai trouvé utile de vous faire part de ces pages qui nous permettent d’avoir la meilleure vue des temps forts de la vie de notre aviateur.

Alain BROCHARD – Juillet 2010

« L’homme entièrement libre dans un champ de forces absolu et de contraintes absolues qui sont gendarmes invisibles : voilà la justice de mon empire. »
(Extrait de Citadelle)

Soumis à ces contraintes, l’homme est obligé de muer lentement pour devenir.
Il ne devient que contre ce qui lui résiste.

« Vous ne trouverez rien si vous vous changez en sédentaire, croyant être provision faite, vous-mêmes, parmi vos provisions. Car il n’est point de provision et qui cesse de croître, meurt. »
« Il n’est point possible de remettre le bonheur aux hommes comme provision. »
Plus loin….
« J’ai observé dans les déserts les plus âpres et les dénuements les plus rigoureux, des hommes dont la joie était rayonnante. »

Non que le vide et le dénuement soient les nécessaires conditions du bonheur mais parce que, là où il n’est plus de bien, les joies ne viennent plus des choses, mais « du sens que prennent les choses dans un tel empire ou telle demeure ou tel domaine ».

Georges Pélissier

On a dit et écrit qu’il fut plus aviateur qu’écrivain. Je ne vois pas qu’il soit possible d’établir une distinction entre l’un et l’autre. Ils sont étroitement intriqués et concourent à former cet étonnant complexe : un homme comme le monde n’en avait guère connu.
Le pilote-aviateur est révélé à lui-même, en octobre 1926, par ce grand catalyseur d’énergies que fut Didier Daurat, directeur de Latécoère.
En moins de dix-neuf ans, il vole « 6500 heures, sous tous les ciels du monde ».
Et l’écrivain jalonne ces heures de cette « profonde méditation du vol où l’on savoure une espérance inexprimable » et qui fait germer et lever des livres successifs : Courrier-Sud, Vol de Nuit, Terre des Hommes, etc.…

Concernant ses accidents :
Lorsque l’on récapitule sa vie de pilote, on reste stupéfait de la gravité et de la variété des accidents auxquels il échappait par miracle. Et chaque fois, à l’instant même où il croyait mourir, indifférent au drame physique, il analysait sa mort et il revenait nous la raconter.

Les Marseillais (2) se souviennent encore de leur émoi, le jour où ils le virent amerrir sur le plan d’eau du Vieux-Port. Il faisait une période militaire, et on l’avait chargé de conduire à Marignane un officier qui devait, d’urgence, prendre un train à Marseille. L’heure pressait. À bord de l’hydravion, on se concerte. Aller se poser sur l’étang de Berre et revenir de Marignane à Marseille prendra trop de temps. Le train sera manqué. Alors Saint-Ex vient poser l’hydro au Vieux-Port, plus proche de la gare. Dans ce plan d’eau encombré, il amerrit sans incident, prouesse qu’on n’a jamais renouvelée, mais il fut contraint pour repartir de se faire remorquer jusqu’à l’avant-port.

Georges Pélissier
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1. Saint-Ex eut les deux casquettes : Pilote de Ligne, Pilote de Guerre.
2. Le livre, de Georges Pélissier, (Les Cinq Visages de Saint-Exupéry), est daté de 1951.

Je le revois.
Une haute stature : (1m.84). De larges épaules, plus larges que le bassin, lui donnent l’aspect des peintures égyptiennes où les épaules sont vues de face sur un corps de profil. La tête bien construite, ronde, massive. …

Je le regardais… Je regardais ses mains. De robustes mains aux doigts puissants et noueux, charpentées comme des mains d’artisan, des mains pour dépanner les avions. …

La diversité de son esprit lui permettait de discuter avec tous les partenaires, venus de tel ou tel azimut de la Science, de l’Art ou de la Philosophie. Il n’était pas toujours nécessaire de lui donner la réplique. Sa puissance verbale et sa facilité de développement lui permettaient de se contenter d’auditeurs silencieux et intéressés. …

Comme le fait remarquer A R Métral (3), ce qu’il y a de particulier dans son imagination créatrice c’est que, s’il maniait la langue mathématique avec une souveraine aisance, il s’efforçait constamment de « substituer à l’aridité d’une démonstration purement mathématique, une explication de logique formelle.
Il raisonnait beaucoup plus par intuition philosophique que par analyse physique ».

Il prit une bonne douzaine de brevets, allant du :
- Dispositif pour atterrissage d’avions le N° 795.308 déposé en janvier 1936 …
À la :
- Nouvelle méthode de repérage par ondes électromagnétiques le N° 924.902 déposé en février 1940. Etc. …

Pour son premier brevet, si mes souvenirs sont précis, il lui était arrivé une curieuse aventure. Par négligence ou par ignorance, il avait omis de renouveler son privilège et le brevet était tombé dans le domaine public. Il reçut un jour une lettre aimable d’une firme avec laquelle il n’avait jamais eu de relations. On lui disait, à peu près, que l’exploitation de son brevet ayant été profitable, il était juste qu’il en retirât quelques bénéfices, et on lui envoyait un peu de l’argent gagné grâce à son ingéniosité. Il avait trouvé le procédé « honnête », comme on disait dans un autre siècle.

LE MAGICIEN

« Voici mon secret… Il est très simple.
On ne voit bien qu’avec le cœur.
L’essentiel est invisible pour les yeux.
L’essentiel est invisible pour les yeux,
répéta le Petit Prince pour se souvenir. »

Si la magie de Saint-Exupéry s’exerçait sans grand appareil, elle gardait cependant une part de mystère. Saint-Ex paraissait un surprenant magicien grâce à une intelligence aiguë, une intuition profonde et une sensibilité exquise.
« Connaître a-t-il écrit, ce n’est point démontrer ou expliquer, c’est accéder à la vision. »
Démontrer ou expliquer sont des opérations logiques où seule l’intelligence entre en jeu. C’est l’intuition et la sensibilité qui lui permettaient d’accéder à la vision.
Il élargissait les frontières du psychisme et acquérait de nouveaux pouvoirs.

Il me semble que ces pouvoirs peuvent être rangés sous trois chefs :
      - La séduction ;
      - L’emprise sur les êtres ;
      Et ce qu’il faut bien appeler, faute d’un terme plus adéquat :
      - La divination.

Il est téméraire d’essayer d’exposer dans un langage rationnel des phénomènes du monde sensible.
On ne peut transposer l’intensif dans l’extensif comme eût dit Bergson (4)