30 AVRIL 1963… CAMERONE

     

Le 30 avril 1863, dans le village de Camerone, au Mexique, soixante-trois légionnaires français, sous les ordres du capitaine Jean Danjou, résistent à une armée mexicaine de plus de deux mille hommes. Un exploit propre à adoucir l'amertume d'une guerre absurde engagée contre le Mexique par Napoléon III.

Joseph Savès.


Inutile de rappeler à nos anciens ce terrible drame généré par la seule inconscience des hommes qui n’hésitent pas à envoyer délibérément à la mort des soldats qui souvent n’ont rien à voir avec ces conflits imbéciles.
Toutes les générations ont connu ça et l’expérience de ces combats souvent inutiles n’a pas permis à l’homme de comprendre qu’il pouvait y avoir d’autres solutions !!!
Mais nous étions à Reggan ce jour du 30 avril 1963. Moi-même fraîchement débarqué depuis une quinzaine de jours.
Bernhard, jeune Mdl était affecté au service général où il se retrouvait en compagnie du légionnaire Gnesini. Il était arrivé de Colomb-Béchar 10 jours auparavant et de fait, participait automatiquement à cette manifestation.

Nota : Deux mots sur le légionnaire Gnesini.
Le légionnaire Gnesini appartenait au 1er ESPLE (Escadron Saharien Porté de la Légion Étrangère), commandée par le Capitaine Sukic ce dernier secondé par le Lieutenant Dupuis. Le Mdl/chef Paiano originaire comme Gnesini de la région de Naples était le chef du service général dont dépendait Gnesini ainsi que Bernhard, qui a su avec la plus grande gentillesse me donner toutes ces informations. (NDLR)

Reggan-plateau, revue des troupes

Reggan-plateau, le Capitaine Roman SUKIC commandant le 1er ESPLE- 1962/1963

Reggan-plateau 11/1963 un peloton de la Légion rentrant au camp suite à une prise d’armes.

 

La « K » devait couler à flots, la commémoration allait battre son plein, mais le soir une tempête de sable sans pareille se leva. La visibilité était à peine de 5 mètres et le méchoui préparé à la palmeraie de Reggan n’arriva pas avant 23 heures et comme de bien entendu, plein de sable…
Dans l’attente de ce fameux méchoui, les discussions battirent leur plein !
Notre ami Gnesini racontait que pour lui c’était bientôt le retour au pays, la quille quoi ! Et il pensait l’avoir bien mérité à force d’avoir traîné ses « guêtres » d’un désert à l’autre et le climat de Reggan ne l’avait pas encouragé à « rempiler ».
Bientôt il serait dans les bras de la « Mamma » qui l’attendait depuis si longtemps comme le font toutes les mères dont le fils éloigné par la cause militaire et de plus dans un conflit qui ne le concernait même pas lui natif de cette belle région de Naples, berceau familial qui l’attendait les bras grands ouverts.
Pourtant Gnesini avait un petit souci, un détail, mais il savait qu’il aurait des remontrances de la « Mamma » et ça il ne le souhaitait pas pour ce retour qui mettait fin à de nombreuses années de séparation.
Son problème, un petit tatouage sur le côté gauche de la poitrine qui représentait un petit cœur traversé avec une flèche et l'inscription « Mamma », le tout n'était pas plus grand que 3 à 4 cm, me dit Bernhard.
Bref il voulait faire disparaître cette trace, mode du moment, erreur de jeunesse, il souhaitait rentrer à la maison comme il en était parti.
La Légion avait été une rupture par rapport aux années passées, il lui fallait désormais quitter sa seconde famille et revenir avec la dignité qui convenait.

Le méchoui n’en finissait pas d’arriver et Gnesini évoqua tout à fait par hasard ce petit souci à un toubib de l’hôpital qui faisait partie de la fête.
Ce dernier fit comprendre à notre légionnaire qu’une telle intervention était de la « broutille » et qu’en « deux coups de cuillère à pot », il le soulagerait de cet handicap.
L’affaire fut conclue et la nuit suivante notre légionnaire était allongé sur la table d’opération, confiant du résultat et pensant déjà à son Italie natale.
Mais le voyage fut bref et notre ami ne se réveilla pas de cette intervention mineure qui l’envoya « AD PATRES ».
Tout fut fait pour réanimer le pauvre Gnesini qui dans cette histoire insensée avait quitté ce bas monde oubliant de fait l’Italie.
La faute à qui ? Un anesthésiant altéré, un patient fragile du cœur, l’incompétence d’un toubib qui avait peut-être sous-estimé la dangerosité de l’aventure…
Toujours est-il que notre ami Gnesini était parti pour un voyage sans retour.

 

 

Il fut mis en bière et il faut supposer qu’il fut enterré dans le seul cimetière disponible, celui qui avait été réalisé à la hâte environ un an plus tôt, pour l’infortuné Capitaine Lancaster retrouvé en février 1962 par un peloton motorisé du Touat.

À 100 mètres du bordj (Lt GELAS), deux tombes entretenues et veillées par les légionnaires. Côte à côte, reposent un légionnaire inconnu et celui dont l’odyssée défraya, il y a peu de temps, la chronique : William Lancaster, le pilote anglais retrouvé après 29 ans auprès de son appareil qu’il n’avait pas voulu quitter afin de ne pas déroger à ses consignes.

À quelques mètres du Bordj reposent côte à côte un légionnaire
et celui dont l’odyssée défraya la chronique : William Lancaster, ce pilote
anglais perdu au Sahara et que l’on vient de retrouver après 29 ans.

Photo : « Képi blanc » – La vie de la Légion Étrangère – n° 188 – Décembre 1962

J’étais moi-même à Reggan-plateau à ce moment-là et je me souviens avoir été mobilisé pour rendre les honneurs à ce pauvre Gnesini en partance vers son Italie natale où il devait rejoindre sa famille.
Je situe cet événement (à moins que ma mémoire ne me joue des tours), soit le samedi 20 juillet 1963, soit le samedi 27 juillet 1963. En effet la mauvaise prestation que nous avions faite lors du défilé du 14 juillet précédent nous avait valu d’effectuer par la suite du « bagotage » tous les samedis matin sur le tarmac près de la tour de contrôle. De fait nous étions mobilisés pour rendre les honneurs à chaque événement de départ « VIP » ou autre.

Si je refais la chronologie depuis la fête de Camerone, ceci nous donne :
- Décès du légionnaire Gnesini le 1er mai 1963.
- Obsèques à Reggan-ville 3 jours plus tard, (c’est la règle), soit le 4 mai.

Le petit cimetière photographié par Raymond Mascarel en mars 1963


Trois photos du petit cimetière, au centre la tombe de W N Lancaster.
La tombe de droite fut peut-être occupée un temps par le légionnaire Gnesini.
Source photos : http://lalegion-pictures.com/picstore/index.php?cat=10846

- Le 23 juin 1963 j’étais allé à la palmeraie de Reggan, où j’avais vu la tombe du Capitaine Lancaster. (Cette tombe était seule et ne correspondait plus en rien au descriptif fait par le Colonel Mélin et la revue Képi Blanc !)


Dessin Alain BROCHARD

N’oublions pas qu’à cette date, l’Algérie avait repris sa gouvernance et se trouvait en complète réorganisation. La tombe de Lancaster avait changé d’allure et vraisemblablement d’endroit.

Est-ce que seule la tombe de William Lancaster avait été déplacée ?

Possible, pour l’instant nous n’en savons rien !

Si tel était le cas, la dépouille du légionnaire Gnesini aurait pu séjourner encore quelques temps dans la tombe de droite, tel qu’indiqué dans la revue Képi Blanc et exhumée seulement avant son rapatriement sans doute vers l’Italie, via certainement la France ? Il faut savoir que les dépouilles mortelles étaient placées en cercueils plombés et que la meilleure façon de les conserver restait encore l’inhumation, ce qui ne posait pas de problème dans ces zones désertiques où la faible humidité ne risquait pas d’altérer les cercueils…

Pour le Légionnaire Gnesini, il semblerait qu’il y eu une étape dans son transfert et qu’il fut dans un premier temps ramené au cimetière de Laghouat, où se trouvait déjà le Lieutenant Gelas.

« Beerdigung des italienischen Kameraden Gnesini »
(« Enterrement du camarade italien Gnesini »).
http://lalegion-pictures.com/picstore/index.php?cat=10846

Merci à Bernhard et à Winfried pour les renseignements apportés pour la rédaction de ce document...

Merci également à Michel pour les compléments issus du site de la Légion.

Récemment j’ai appris que la hiérarchie militaire avait fait recenser en 1967 les tombes des militaires sur le secteur de Reggan vraisemblablement pour les rapatrier. Le Capitaine Lancaster fit-il partie du voyage à ce moment-là, la question reste posée ???

Un groupe d’étudiants de l’oasis de Reggane effectue actuellement, sous la houlette de leur professeur de géologie, des recherches sur ce sujet en consultant la mémoire des anciens de la palmeraie.

Il s’agit quelque part de leur histoire et je ne saurais que trop les remercier par avance de ce travail accompli.

Bien entendu toutes photos ou documents se rapportant à ces événements seront les bienvenues et contribueront à graver cette mémoire de l’histoire qui nous est quelque part des plus utiles pour faire connaître cette vérité tant recherchée…

Alain BROCHARD – Juillet 2012