Film français en noir et blanc de Léon Poirier, 1925.
Durée : 2h12

Présentation :
Faisant suite à la première traversée du Sahara en automobile en 1923, l’expédition Citroën en autochenilles traverse l'Afrique, de Tombouctou à Madagascar. Ce raid de vingt-huit mille kilomètres demande un an de préparation et suscite un véritable engouement.

Contexte historique :
La Croisière noire, relevant à la fois de l’aventure coloniale, du raid automobile et de l’opération publicitaire, est née de la volonté d’un homme, André Citroën. Après la Première Guerre mondiale, ce brillant polytechnicien a l’idée, inédite en France, de construire et de commercialiser une voiture populaire : organisées selon les méthodes mises en œuvre par l’Américain Ford à la même époque, ses usines du quai de Javel fabriquent dès 1919 le modèle A, une torpédo de 8 CV. En 1928, la production atteint 400 voitures par jour. Parallèlement, l’industriel décide de financer de grandes expéditions intercontinentales pour accroître la notoriété de sa marque. Après une première traversée du Sahara, en 1922, a lieu la Croisière noire : cette expédition, dite aussi « Citroën-Centre-Afrique », relie Colomb-Béchar à Tananarive, à travers le Hoggar et le Tchad, en dix mois (d’octobre 1924 à juin 1925). Couronnée de succès, elle est suivie en 1931-1932 de la Croisière jaune, au cours de laquelle deux groupes partis de Méditerranée traversent l’Asie jusqu’au Pacifique en passant par le Levant, le Tibet et la Mongolie. Enfin, la Croisière blanche se déroule en 1934 sur le continent nord-américain qu’elle parcourt de Chicago à l’Alaska.

Analyse des images :
Les aventuriers voyagent à bord de véhicules « tout-terrain » construits par les usines d’André Citroën et pour lesquels celui-ci a acquis en 1920 un brevet de chenilles en caoutchouc. Les différentes Croisières ont pour objectif de tester le véhicule et, plus généralement, de populariser les voitures de la marque aux chevrons. L’autochenille de 10 CV représentée ici avec une remorque est imposante ; pendant la traversée du Sahara en 1922, elle roule à une vitesse variant entre 5 et 20 km/h selon les terrains et consomme 30 litres aux cent kilomètres ! On la retrouve à l’arrière-plan d’une affiche, derrière un indigène hiératique vêtu d’une sorte de jupette. L’artiste a traité le sujet avec un schématisme délibéré : le personnage est représenté de manière stylisée et presque naïve, comme s’il s’agissait d’une figurine ; le paysage, avec ses deux palmiers, semble un décor de théâtre ; l’image est entourée de motifs géométriques. L’affiche du film La Croisière noire montre une femme noire vue de profil, au visage démesurément étiré et à la coiffure invraisemblable : ici, le dessin est au contraire outrancier, ce qui en fait une caricature d’un goût douteux. Le film, dont la première eut lieu à l’Opéra, est à la fois une publicité pour les autochenilles et un témoignage sur des civilisations exotiques. Projeté aux enfants des écoles, admiré par Hergé qui s’en inspira dans Tintin au Congo, il connut un très vif succès.

Interprétation :
Si Citroën eut d’autres coups de génie (comme l’illumination de la Concorde, de l’Arc de triomphe et de la tour Eiffel), les Croisières constituent ses « plus beaux fleurons publicitaires ». Elles permirent de faire connaître ses véhicules, mais aussi de vanter la qualité d’un matériel résistant à des conditions extrêmes (ce qui n’empêcha pas Citroën de déposer son bilan en 1934). Par leur esthétique et leurs objectifs, ces affiches témoignent des préjugés colonialistes en vigueur dans la France des années 1920 et 1930. En 1924, Le Matin célèbre la Croisière noire en titrant : « Le tourisme au pays de la peur et de la soif ». L’empire colonial, en effet, a acquis dans l’économie et l’imaginaire nationaux une place cruciale : la part qu’il représente dans le commerce français passe de 13 % en 1913 à 27 % en 1933, les liaisons aériennes entre l’Europe et l’Afrique deviennent régulières, le patriotisme des soldats africains pendant la Grande Guerre est légendaire. Les expéditions de Citroën contribuent ainsi à la conquête de l’opinion, puisqu’elles suscitent, comme l’Exposition coloniale de 1931, « l’intérêt passionné d’un très large public, épris à la fois de technique, de record et d’exotisme » (Raoul Girardet, L’Idée coloniale en France de 1871 à 1962, La Table Ronde, 1972, p. 114).


Auteur : Ivan JABLONKA