Contes et légendes
des dunes


Entre réalité et imaginaire, le Sahara fascine depuis des générations. Lieu de tous les rêves d’aventure, le désert a toujours attiré soldats, ermites, romanciers et cinéastes.

La France du XIXe siècle s’offrait au confort bourgeois, à la machine et au progrès, lorsque le destin colonial lui octroya un océan de sable et de pierre : le Sahara. Aventuriers et paladins s’y hasardèrent pour y jouer des jeux exaltants ou tragiques. Les poètes y logèrent leurs fantasmes, les millionnaires y rêvèrent d’empires.
L’exploration commença avec René Caillié et Duveyrier. Bientôt, le Sahara révéla sa cruauté : voyageurs assassinés, missionnaires trucidés, soldats massacrés. Il fallut le drame de l’anéantissement de la colonne Flatters pour que la France de l’ordre se prenne de passion pour un soldat qui ne l’était pas : Marie-Joseph-François Henry Laperrine d’Hautpoul, 1,60 mètre seulement pour un nom aussi long, parti à la poursuite du coupable, le chef targui Bou Amama. L’officier apprit alors la guerre dans le bled en analysant le caractère de ses ennemis. Et il fonda les Compagnies sahariennes, des pillards chaamba organisés en patrouilles chamelières. Ce n’était pas l’armée française, ce fut l’armée de Laperrine, avec un ordre pour le moins exotique mais un courage et une endurance redoutables.

Prêtres et légionnaires

À Tamanrasset, la confrérie des Petits Frères de Jésus, fondée par Charles de Foucauld, a installé quelques religieux et religieuses qui prient et travaillent en ville, près de l’ermitage. Trois frères gardent l’Assekrem. À Noël, une foule de touristes vient y écouter la messe de minuit, malgré le froid.
À Aubagne, près de Marseille, la Légion possède son musée qui raconte une épopée vaillante et passionnée (tél.: (16) 42 03 60 30). Selon le conservateur, le seul film décrivant la Légion telle qu’elle est s'intitule : « II était une fois la Légion », de Dick Richards, avec Terence Hill et Catherine Deneuve.
À Paris, 293, avenue Daumesnil 75012, le musée des Arts d’Afrique et d’Océanie ouvre ses portes tous les jours sauf le mardi. Ne manquez surtout pas l’aquarium.

Un nouveau d’Artagnan

Le 7 mai 1902, le lieutenant Cottenest, un de ses hommes, écrasa les Touareg Hoggar à Arrem Tit. Le Sahara restait dangereux, il n’était plus invincible... La France adore Laperrine comme elle a aimé d’Artagnan : pour son panache, son originalité, son succès. Le valeureux militaire réussit à rallier les tribus hostiles, à dresser des cartes des lieux les plus reculés, à « pacifier » le Sahara. Son ami Charles de Foucauld passe par Saint-Cyr et Saumur, où il brille : gourmand, débauché, paresseux, il flambe sa fortune et sa vie. On l’envoie en poste en Afrique du Nord, on le renvoie. Il s’affiche avec une femme, légère puisqu’il ne l’épouse pas.


Cette illustration naïve servit de couverture au livre
édifiant de Duparc : « Le Père de Foucauld, apôtre du sable ».

Interdit aux Occidentaux

Désœuvré mais curieux, il part à pied, en 1883, déguisé en Joseph Aleman, rabbin, accompagné de Mardochée Ali Serour, un vrai rabbi, lui. Pendant quatorze mois il sillonne le Maroc, royaume interdit aux Occidentaux, en ramène une description précise, qui lui vaut une médaille d’or de la Société de géographie. On l’acclame, on l’admire.
Un beau matin d’octobre 1886, il entre dans l’église Saint-Augustin sans raison précise, va voir l’abbé Huvelin et lui demande de lui enseigner la religion. « Confessez-vous », répond le prêtre. Foucauld le jouisseur est foudroyé par la foi. Son chemin mystique passe par Nazareth, en Terre sainte, puis par le Sahara, où il peut vivre dans le renoncement, la lumière et le silence. En 1901, il s’installe à Beni Abbès, en 1905 à Tamanrasset, Pauvrement, saintement, il y construit son ermitage de ses mains, en installe un autre au sommet de l’Assekrem, à 80 kilomètres au nord, qui domine un paysage infini de montagnes beiges et fauves. Il prie, travaille à une grammaire targuie, ouvre sa porte à qui vient le voir. Les Touareg respectent sa rigueur, aiment sa bonté. En 1916, la guerre fait rage. Il édifie un bordj à l’orée de la ville, une forteresse de terre où s’abriter, lui et ses fidèles. C’est là qu’il sera abattu le 1er décembre par des Touareg dissidents, les Senousis. La balle qui l’a tué est italienne : les Allemands ont armé ses assassins, pour supprimer ce Français trop influent dans une région qu’ils convoitent. La France confortable s’était passionnée pour le dur chemin de cet homme ; elle va le mythifier. Des livres fleurissent, des films suivent, comme, en 1936, « L’Appel du silence » de Léon Poirier, grand prix du cinéma français.
Traverser le Sahara. Ouvrir des routes commerciales modernes, rentables. Laperrine croit à l’avion. Février 1920 : il se lance dans l’aventure, décolle d’ln Salah, se pose à Tamanrasset, repart. Et il tombe. Ses deux compagnons le veillent pendant des jours et des jours, à côté de l’épave. Il meurt, pourtant. Eux seront sauvés, par miracle. André Citroën, lui, croit à l’auto. En 1921, il construit cinq voitures à chenilles de caoutchouc. Elles roulent de Touggourt à Tombouctou, premier raid Citroën mené par Haardt et Audouin Dubreuil. L’excitation s’amplifie avec la Croisière noire : le 15 octobre 1924, huit camions à chenilles partent de Colomb-Béchar. Ils arriveront le 16 juin 1925 à Tananarive (Madagascar). André Citroën veut offrir aux touristes le grand fris son saharien : traversée en sept jours, départ d’Algérie deux fois par semaine, arrivée à Tombouctou. Il construit les ancêtres de nos motels à Colomb-Béchar, Beni Abbès, Tombouctou, Adrar et Gao. L’inauguration est fixée au 16 janvier 1925, le roi des Belges et le maréchal Pétain seront présents, Mais le 2 janvier, les tribus se soulèvent. Et le projet doit être annulé.



Antoine de Saint-Exupéry,
l’auteur du « Petit Prince »,
aux commandes de son avion.

Le Sahara fait recette

Monde toujours vierge, le Sahara exalte les sentiments des gens trop civilisés. En 1931, Joseph Peyré écrit « L’Escadron blanc » (prix Renaissance). Dans « L’Atlantide », de Pierre Benoit, la belle Antinea, cachée au cœur du Hoggar, rend les hommes fous d’amour avant de les embaumer quand ils ne l’intéressent plus : deux millions d’exemplaires. En 1921, Jacques Feyder tourne le film : une légende est consacrée. En 1931, la France satisfaite organise l’Exposition coloniale sur 110 hectares du bois de Vincennes, à Paris. Pour 3 francs l’entrée, le promeneur découvre l’empire français, avec, pour le Sahara, des cafés maures, des dromadaires et des spahis. Un palais est érigé pour les fêtes : le futur musée des Arts d’Afrique et d’Océanie. Mais que serait le Sahara sans son héros favori, le légionnaire ? « II était beau, il sentait bon le sable chaud », chante Piaf. La France frémissante se prend de passion pour cet engagé qui a quitté son nom, sa terre et son passé pour renaitre pur, forcément pur, au soleil d’Afrique. En 1933, Feyder, encore, tourne « Le Grand Jeu », à la fin duquel l’acteur Pierre Richard-Willm, képi immaculé, part dignement vers les sables, la guerre et le trépas



Marlène Dietrich et Gary Cooper dans le film de
Josef von Sternberg, « Morocco »(1930) : l’appel du désert.

Le fantasme culmine avec « Les Cœurs brûlés » et l’inoubliable « Morocco » de Sternberg, dans lequel Marlène Dietrich abandonne son millionnaire pour suivre le légionnaire Gary Cooper, pieds nus dans les dunes, sans une robe de rechange !
La France de la finesse a choisi un Sahara d’intelligence en aimant Saint-Exupéry et son récit « Terre des hommes », en 1939. Du désert, il écrit : « L’aborder, ce n’est point visiter une oasis, c’est faire notre religion d’une fontaine. » En 1943, « Saint. Ex » remercie la France, en lui offrant « Le Petit Prince », rencontré grâce à une panne d’avion dans le Sahara, le seul endroit du monde où un enfant blond peut demander « S’il vous plait, dessine-moi un mouton... »

A.-F.D.

Source :

N° 178 - Décembre 1993