DIRECTION SAN FRANCISCO
Préambule : Les documents qui suivent sont largement inspirés de l’excellent livre de Ralph BARKER, « VERDICT ON A LOST FLYER ». Le travail de recherche de Ralph est remarquable, l'auteur a mis un point d'honneur à ne relater que les faits réels. Ralph a édité son ouvrage en 1969. En 2015 mon amie Sarah DUCANSON, fille de Ralph BARKER a réédité l'ouvrage de son père avec quelques compléments auxquels j'ai participé du fait des travaux réalisés sur Bill et Chubbie depuis 2007.
Merci à Sarah de la confiance qu’elle a pu me faire tout au long de ces années.Voir document complémentaire :http://www.3emegroupedetransport.com/LondresPortDarwin.htm
Alain BROCHARD
Entre échecs et succès
À Sydney nos deux aviateurs s’embarquent à bord du steamer Sonoma avec leur nouvel ami Harry Lyon.
Le Golden Gate sera pour eux la porte d’entrée aux États-Unis.
Source Internet : Détroit de Golden Gate à San Francisco avant la construction du pont
Si le Golden Gate est célèbre désormais avec le pont dont l’impossible construction vit le jour à partir de 1933.
Source Internet : Pont dit de la Porte d’Or
En 1934, le gouvernement décidera d'aménager sur l'île la célèbre prison d’Alcatraz !
Source Internet : L'île d'Alcatraz et sa célèbre prison, au fond le Golden Gate Bridge
Cette île fut nommée ainsi par les Espagnols car elle servait de refuge à de nombreux pélicans (alcatraces, nom espagnol du Fou de Bassan). Cette île hébergea une forteresse militaire pendant plusieurs décennies (1850-1909), puis une prison militaire (1909-1933) et une prison fédérale de haute sécurité (1934-1963). Source Internet (Wikipedia)
Comme nous le savons, Bill aura disparu dans les sables du Sahara avant que tous ces projets ne voient le jour :
http://www.3emegroupedetransport.com/Unpapillondansledesert.htm
Mais revenons au nouvel ami du couple… Harry Lyon souhaitait profiter au maximum de sa nouvelle célébrité. Rappelons qu'il était le navigateur de Charles Kingsford Smith le pilote qui avec Charles Ulm le copilote avait réalisé la traversée du Pacifique, de San Francisco (Oakland) jusqu'à Brisbane (Australie) via Honolulu (Hawaï) et Suva (Iles Fidji), accompagné aussi de James Warner le radio. Un vol d’un peu plus de 83 heures couvrant 11 788 kilomètres.
Source Internet : Le Southern Cross à San Francisco avant son départL'idée omniprésente et intéressée de Lyon était la réalisation d'un film sur l’aviation. Comme Kingsford Smith et Ulm n’avaient pas donné suite à ce projet, Lyon s’était rabattu sur l'équipage du Red Rose dont la traversée de Londres à Darwin était toujours dans la mémoire du public. Cela malgré l'ombre de l'exploit de Bert Hinkler et de l'arrivée du Southern Cross qui avaient un peu gommé les cinq mois du vol de Bill et Chubbie. Warner avait aussi décliné cette aventure cinématographique car ses relations avec Lyon n'étaient pas au beau fixe pour ne pas dire détestables. Le Red Rose avait été rapidement vendu et les billets pris aussitôt sur le Sonoma qui devait rallier San Francisco le 23 juin. Au départ sous le bruit strident des sirènes du navire, l'acclamation de la foule sur les quais dura plusieurs minutes.
À l’arrivée à San Francisco à la mi-juillet, tout devenait différent l'accueil réservé était en grande partie pour Lyon et Warner en fonction de leur participation au vol transpacifique. Malgré tout le couple Lancaster et Chubbie, elle étant connue aux Etats-Unis, fut inclus dans les cérémonies. Le Sonoma fut escorté pour la traversée du Golden Gate puis l'ensemble des protagonistes embarqua dans des voitures décapotables pour rejoindre la mairie de San Francisco. Lyon et Warner montèrent dans la première voiture, Lancaster et Chubbie dans la seconde. Puis de San Francisco ils prirent l'avion jusqu'à Los Angeles pour se rendre à Hollywood. Le projet de film ne s'avéra pas crédible, Lancaster et Chubbie malgré leur investissement personnel provenant des fonds reçus pour leur raid Angleterre-Australie durent faire le deuil de ce projet et furent contraints de l'oublier au plus vite.
Mais un projet de traversée de l’Atlantique sur un trimoteur monoplan de construction entièrement métallique allait voir le jour et la société Salle Aircraft Corporation leur proposa de signer un contrat pour piloter l'appareil. L'avion serait équipé d’un moteur central de 550 Cv et de deux moteurs situés sur les ailes d'une puissance de 220 Cv. De plus une radio « sans fil » serait installée dans le cockpit. Les fabricants pensaient que le projet serait prêt dans les semaines à venir.
Dans l'attente Bill et Chubbie début août 1928 s'installèrent avec Harry Lyon dans le Maine chez la mère de ce dernier.
Après quelques semaines de repos, l'excitation du vol transatlantique en projet les reprit. Malheureusement la société Salle Aircraft Corporation accumulait les retards et les reculs dans la production de leur machine. Finalement Bill et Chubbie, ne supportant plus d'être bloqués dans le Maine avec le sentiment qu'ils pourraient gagner de l'argent ailleurs, décidèrent de partir pour New-York.
Source Internet : New York
Leur arrivée à New York eut un certain succès, mais du côté financier ils avaient toujours les mêmes problèmes. Malgré tout la direction de l'hôtel Biltmore leur offrit un hébergement gratuit dans l'attente de contrats à venir !
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Source Internet : Hôtel Biltmore New York 1928
Mais rien ne se produisit, ils firent le tour des différentes agences, en gaspillant de nombreuses heures en conférences stériles. Ils comprirent rapidement que la vie dans un hôtel de luxe, même avec un hébergement gratuit, n'était pas à leur portée. Ils utilisaient des distributeurs automatiques pour pouvoir manger, se cachant pour ne pas se faire repérer par le groom de l'hôtel qui se servait aux mêmes distributeurs pour ses repas… Mais quelles que soient leurs économies, ils avaient gagné tout juste entre 3000 et 4000 £ pour leur vol d'Australie. Malheureusement une grosse partie de cet argent avait été dépensée au cours des mois précédents dont une partie avait été envoyée à Kiki. Il allait de soi qu'ils devaient conserver un peu de cash en réserve.
Lorsque Salle Aircraft Corporation leur fit savoir qu'il y aurait beaucoup de retard sur le projet de traversée de l'Atlantique compte tenu de problèmes financiers de la société, Bill et Chubbie décidèrent de trouver un autre projet pour qu'ils puissent « se maintenir à flot » ! La seule personne rencontrée à New York qui marquait un intérêt non négligeable au monde de l'aviation était l'éditeur George Putnam le futur mari d'Amélia Earhart. Lancaster et Lyon essayèrent de l’intéresser à un vol de New York aux Bermudes, un vol que personne n'avait encore fait. Putnam accepta finalement de financer le vol à condition de les accompagner. La machine qui fut choisie était un hydravion de type « Irlande Neptune ».
Source Internet : Curtiss Flying Fish Aircraft
Source Google Earth : Long Island >>> Les Bermudes
Les Bermudes se situaient à 800 miles (environ 1 300Km) de New York, ce qui pour Bill ne représentait pas une grosse difficulté. Néanmoins, il leur fallait un navigateur spécialisé, de ce fait l’équipage, qui ne pouvait être que de trois membres, comporterait Lancaster le pilote et Putnam le financier de ce raid. Chubbie ne pourrait donc pas faire partie de ce vol. Après avoir effectué les essais de décollage ils constatèrent que l'hydravion avec trois personnes et une charge de carburant importante ne pouvait pas s'envoler.
Ils convoyèrent l'hydravion jusqu'à Hampton Roads en Virginie de sorte à réduire la distance jusqu'aux Bermudes soit 700 miles au lieu des 800 miles de Long Island. Ceci leur permettant de réduire la quantité de carburant.
Source Google Earth: Hampton >>> Les BermudesLancaster fit de nouveaux tests à Hampton Roads pour s'apercevoir que la marge serait insuffisante pour atteindre Les Bermudes avec la charge de carburant nécessaire pour réaliser le vol. La seule chose sensée était d'utiliser un autre type d'avion qui aurait plus d'autonomie et pourrait couvrir la distance sans encombre. Mais à ce moment George Putnam en avait assez et il abandonna le projet.
NOTE : par contre, j'avais découvert en 2012 sur le site :
http://www.bermuda-online.org/aviation.htm
1928. October. Curtiss « Flying-Fish » aircraft failed attempt. Lost
Captain W. N. Lancaster attempted to fly from Long Island, USA, to Bermuda in the Curtiss Flying Fish Ireland class seaplane, as part of an attempt on the London to Cape Town speed record for the Putnam Expedition. He was accompanied by Lieutenant H. W. Lyon and sponsor G. P. Putnam. He was not successful. The team tried again, this time from Hampton Roads, Virginia, again with no luck. Unconfirmed reports said the plane sank 185 miles from Bermuda.
Le capitaine W. N. Lancaster a tenté de réaliser un vol de Long Island, aux États-Unis, jusqu'aux Bermudes dans un hydravion Curtiss Flying Fish Irlande, à l’image de la tentative sur le record de vitesse de Londres à Cape Town, pour l'expédition de Putnam. Il était accompagné par le lieutenant H. W. Lyon et du sponsor G. P. Putnam. Il n'a pas réussi. L'équipe a essayé à nouveau, cette fois de Hampton Roads, en Virginie, encore une fois sans succès. Les rapports non confirmés ont déclaré que l'avion a coulé à 185 miles des Bermudes.
La tentative de ce vol est notée comme un échec, l'auteur fait référence au vol Londres >>> Cape Town où le Capitaine Lancaster se crasha dans le sud saharien. Ralph Barker très précis dans ses comptes-rendus n'évoque absolument pas le fait que l'hydravion ait coulé à 185 miles des Bermudes, il met par contre l’accent sur l’abandon du projet !
REMARQUE : De nos jours nous sommes habitués aux nombreux commentaires des médias quand nombre de fausses informations nous sont communiquées à grand force « d'écrans » de toutes origines pour faire le « buzz » dans le langage actuel. Au cours de ce long travail de recherche sur la saga de W.N. LANCASTER, j'ai pu noter trop de commentaires erronés ou complètement décalés. Ralph BARKER est à mon avis un des seuls ayant recherché l'exacte vérité.
La Hall Corporation n'avait pas abandonné le projet de vol sur les Bermudes. Ils étaient toujours en contact avec Lancaster sur l'avancement de l'avion et en novembre, ils demandaient à Lancaster d'aller à Los Angeles pour discuter avec lui de l'organisation du poste de pilotage et de l'équipement complémentaire. Il semblait que l'avion serait bientôt prêt ! Mais Lancaster était en discussion avec un groupe de banquiers pour la fabrication possible en Amérique du moteur Cirrus, le fameux moteur équipant le Red Rose, avec lequel il avait effectué le vol Londres – Darwin. À la fin novembre un accord avait été conclu et cet accord comprenait la participation de Lancaster comme démonstrateur et pilote d'essai en chef. Dans ces conditions il lui était parfaitement impossible de quitter New York. Après quelques discussions il fut décidé que Chubbie remplacerait Bill auprès de la Hall Corporation.
À son arrivée à Los Angeles, la première question fut de demander à Chubbie si elle maîtrisait le « sans fil » (expression bien connue à l'époque pour désigner la radio). Le but était évidemment de gagner du poids en supprimant le poste d'opérateur radio qui serait de fait occupé par Chubbie elle-même au poste de copilote.
Malheureusement Chubbie n'avait aucune connaissance sur le sujet… Mais comme à son habitude, elle répondit qu'il n'y avait aucun souci et que bientôt elle serait parfaitement opérationnelle.
Elle s'installa aussitôt dans un petit appartement de Los Angeles et commença les cours à l’école de radio YMCA. Elle était la seule femme du cours ! L'apprentissage consistait à maîtriser la théorie de la radio, d'effectuer les différents tests et réparations du matériel au-delà de l'envoi et de la réception des messages en code Morse.
De son côté Kiki Lancaster avait suivi toute l’actualité du vol vers l'Australie avec un intérêt profond et désintéressé, sachant que toute cette aventure lui apportait quelques retombées financières pour elle-même et ses enfants. Elle avait conservé soigneusement tous les articles de presse et les différents courriers relatant les exploits de son mari.
Elle avait abandonné la côte où elle s'était installée alors que Bill s'envolait vers Darwin. De retour à Londres, elle logeait dans un petit appartement de Fulham et occupait un poste de secrétaire chez « Anti-Vivisection-Society », dont la cause lui tenait à cœur.
Elle n'avait pas beaucoup d'argent mais elle commença à recevoir des sommes assez substantielles concernant sa troisième part dans les frais gagnés lorsque le Red Rose avait atteint l’Australie.
Elle fit parvenir à Bill plusieurs lettres ou mélancolie et reproches se mêlaient. Kiki avait connaissance du projet du vol de Bill au-dessus de l'Atlantique. Elle était désireuse de voir Bill après ce vol. Elle ignorait tout ou faisait en sorte de la relation de son mari et de Chubbie, sachant que ces derniers avaient été discrets et qu'il n'y avait eu aucun scandale.
Les parents de Bill souhaitaient bien évidemment que le mariage de leur fils soit préservé et il est fort à penser qu'Edward Lancaster le père de Bill ait à son retour d'Australie encouragé Kiki à rejoindre Bill à New York pour de courtes vacances. Bill accepta, Kiki bénéficiant de la société « anti-vivisection » d'un long congé de Noël. Mi-décembre elle s'envolait de Londres pour arriver le 19 à New York. Chubbie toujours à Los Angeles ne pouvait pas contrecarrer une réconciliation entre les deux époux.
Bill avait demandé à Kiki de lui rapporter la boussole qu'il avait utilisée lors du vol Londres >>>Darwin. En effet, lors de la vente du Red Rose, il avait conservé cette boussole, renvoyée plus tard aux fabricants pour révision. Mais à New York, Kiki eu maille à partir avec les agents de la douane du fait que cette boussole contenait de l’alcool !
L'Amérique toujours sous le régime de la prohibition était d'une intransigeance frisant l'absurdité. Mais cet incident ridicule, faisant de plus les manchettes des journaux de New York, tombait sous le régime des interdictions du dix-huitième amendement. Finalement Lancaster persuada les inspecteurs des douanes que l'alcool pur que contenait la boussole n'avait rien à voir avec la prohibition.
Noël 1928 à New York, ne fut pas pour Kiki la fête qu'elle avait imaginée. C'était étrange pour elle d'être loin de ses enfants. De son côté, Lancaster pensait à Chubbie... La Saint Sylvestre fut à la même image d'autant que la prohibition, avec ses interdictions pas vraiment respectées, était rappelée à tous par affiches apposées un peu partout y compris dans les chambres mêmes du Baltimore. À la suite des négociations concernant la fabrication des moteurs Cirrus, deux Avro Avian équipés de moteurs de fabrication britannique furent achetés par la société américaine à des fins de démonstration. Dans la foulée une autre société américaine prit des dispositions pour fabriquer elle-même l'Avian sous licence. Bien évidemment Lancaster était l’homme de la situation pour effectuer les essais en vol, les différents tests et ainsi démontrer la qualité de ces avions. Un autre pilote britannique lié aux projets Avian et Cirrus était Mary, Lady Heath qui avait réalisé un peu plus tôt dans l'année, en trois mois de janvier à mai 1928, le vol Le Cap >>> Croydon.
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Documents : Internet : Lady Heath
Début janvier 1929, la compagnie Cirrus décida d’envoyer Lancaster à Miami pour présenter l'Avian. En effet un meeting aérien auquel participait Lady Heath avec son de Havilland Gipsy Moth était en cours. Kiki qui avait suivi Bill, noua une amitié immédiate avec Mary Heath. Pour le retour à New York les deux femmes décidèrent de faire le vol ensemble. Un vol d'une telle distance effectué par deux femmes était une nouveauté dont la presse s'empara obtenant ainsi une bonne couverture.
Le 2 janvier elles s’envolaient accompagnées de Lancaster aux commandes de son Avian. Le Gipsy Moth étant plus rapide, elles laissèrent rapidement Lancaster loin derrière elles. Mais les vents contraires et un froid intense les obligèrent à se poser dans un champ. L'agriculteur leur a gentiment fourni le complément d'essence dont elles avaient besoin. Plus tard à Washington toujours dans le froid extrême, il leur fallut quatre heures et beaucoup d'aide de l'U S Marine pour redémarrer le moteur et redécoller. À Charleston le 4 janvier elles ratèrent l'aérodrome de Savannah et se posèrent dans un champ cultivé au grand dam d’un agriculteur qui ne leur cacha pas sa colère. Ce dernier revenu à de meilleurs sentiments leur procura l'essence nécessaire pour continuer le vol.
À Daytona, une fois de plus à court d'essence elles atterrirent sur la plage alors que la marée montait, le bout de l'aile frôlant la dune. Les habitants des plus sympathiques se précipitèrent en ville pour récupérer du carburant. Elles redécollèrent alors que la mer commençait à se glisser sous l'avion !!! Kiki, qui n'avait jamais effectué de tel vol auparavant, trouva cette expérience des plus exaltantes, un voyage merveilleux avait-elle écrit dans son « book ».
L'objectif de Kiki était de montrer à Bill que tout ce que Chubbie pouvait faire, elle pouvait faire aussi bien, ceci même sans avoir l'âme aussi aventurière que Chubbie. Elle savait pertinemment qu'à ce niveau il lui serait difficile de rivaliser avec cette dernière. Probablement était-elle venue en Amérique pour récupérer son mari, d'où son besoin de démontrer qu'elle pouvait prendre une part active dans les différents vols de Bill.
Lors du retour vers New York, Lancaster, avec son Avian, avait rattrapé les deux aviatrices à différentes étapes tout au long du parcours, sans se préoccuper du fait qu'elles se soient posées à différentes reprises. Il restait concentré sur son propre vol, dans l'esprit des participants aux vols inter- régionaux des années 20.Lors de la manifestation aérienne à Miami, plus de cent cinquante appareils participèrent à ce meeting. Le Gipsy Moth de Mary Heath avait remporté deux épreuves et terminé troisième dans une autre. Lancaster pour sa part avait réalisé plusieurs vols de démonstration avec l'Avian. Le 19 janvier Kiki repartait pour Londres. Elle avait noté dans son book que sa visite aux États-Unis avait été pour elle un réel bonheur. Elle n'était pas dupe de ce qui se tramait entre son mari et Chubbie, malgré cela Kiki n'avait pas joué la femme pathétique et abandonnée. Lancaster de son côté, bien que maladroit, lui avait fait savoir par la suite qu’il souhaitait divorcer !
L'attitude de Kiki était prévisible et inévitable. Si Lancaster pouvait parvenir à un règlement financier garantissant l'avenir des enfants, une solution serait possible. Toutefois, dans le moment pour des raisons matérielles et religieuses, elle refusait le divorce.
Lancaster dans le cadre de son activité chez American Cirrus Engines Incorporated avait démarré avec un salaire de 500 $ par mois et rapidement il obtint une augmentation substantielle portant ses émoluments à 600 $. La décision d'aller en Amérique était confortée par ce job qui lui avait permis de retomber sur ses pieds. Toutefois lui et Chubbie était entrés aux États-Unis avec un visa de visiteur de six mois qui avait été renouvelé. Lancaster avait demandé et obtenu un matricule dans le quota du service de l'immigration. Chubbie recevait des prolongations périodiques de son visa.
Chubbie de retour de Los Angeles avec son diplôme de radiotélégraphiste en poche prit un appartement sur West 56th Street. Lancaster vivait lui au « Army and Navy Club ». La compagnie Hall Aircraft Corporation ne donnait toujours pas de nouvelles. Chubbie profitait de ce délai pour passer sa licence de pilote à la « Red Bank School » dans le New Jersey. Elle faisait cette démarche un peu dans l'anonymat, car la presse américaine avait pris pour acquis qu'après le vol en Australie elle était une pilote confirmée.
Bill estimait de son côté qu'il était plus dans leur intérêt de garder pour eux ce secret. Pendant un an leur vie se poursuivit avec la même complicité, se disant qu'ils se marieraient lorsque les conditions seraient réunies.
En mars 1929, la compagnie américaine chargea Lancaster de faire connaître le premier moteur Cirrus fabriqué aux États-Unis en concourant pour une médaille d'or offerte pour le vol de l'avion léger le plus abouti du moment. Le vol consistait en partant de New York de rejoindre Miami puis Trinidad-Panama-Mexico-Miami et New York. Le parcours s'échelonnait sur une distance d’environ 10 000 miles (16 094 Km), avec un survol de longues distances dans les Caraïbes. L'objectif étant de démontrer la fiabilité du moteur Cirrus, avec vérification du bon fonctionnement à tous les arrêts majeurs. En ce sens, il ne s'agissait absolument pas de battre quelque record que ce soit.
Lancaster s'envola le 4 mars de New York à bord de l'Avian pour suivre la côte jusqu'à Miami à l'identique de ce qu'il avait fait deux mois plus tôt lorsqu'il s'était rendu au meeting de Miami. De Miami, il traversa le détroit de Floride jusqu'à La Havane puis se dirigea vers l'ouest passant Haïti et Porto Rico, se ménageant les arrêts indispensables avant de prendre le cap pour la Guadeloupe, la Martinique et la Barbade. À ce stade il avait parcouru 4 000 miles (6 438 Km) sans aucun incident.
Il était le premier homme à atterrir à la Barbade transportant le courrier par avion de la Barbade à Trinidad où il se posait le 2 avril sur l'hippodrome de « Port of Spain » après trois heures de vol de la Barbade.
Mais le 7 avril, au décollage de Trinidad pour Caracas au Venezuela l'avion s'écrasait finissant sur le « nez » ! Toute la partie avant de l'avion fut détruite et Lancaster fut grièvement blessé. Le pilote passa les trois mois suivants à l'hôpital de Trinidad. Il fut ensuite évacué par bateau, sur une civière jusqu'à New York où il fut à nouveau hospitalisé.
Pendant ce temps, Chubbie avait obtenu sa licence de pilote sans difficulté à la « Red Bank School ». Lancaster n'étant plus en mesure de piloter, elle était impatiente de gagner de l'argent pour subvenir à ses besoins. À l'époque peu de femmes pouvaient se targuer d’être pilote licencié.
En 1929 en Amérique, sur 4 690 pilotes titulaires d'une licence, seuls 34 étaient des femmes. L'idée de lancer une course aérienne féminine ne tarda pas à germer.
Appelé aussitôt le « Powder-puff Derby », ce raid devait se dérouler de Santa-Monica (Los Angeles) à Cleveland (Ohio) en août 1929 dans le cadre des « National Air Races » et bien évidemment Chubbie était partante. La distance de cette course transcontinentale était de près de 2 700 miles (4 345 Km).
Notre aviatrice réussit à convaincre Lawrence Bell le président même de la Bell Aircraft Corporation qu'elle était tout à fait capable d'effectuer ce vol. Il accepta de lui fournir un biplan biplace de la « Flotte » avec un poste de pilotage à l'air libre reconstruit pour elle, par la Compagnie Bell du fait de sa petite taille. Après avoir fait des vols d'essai de plus de 3 000 miles (4 830 Km) aux alentours de Los Angeles, elle était prête pour le départ.
Document Internet : La carte du parcours à réaliser par les aviatrices
Dix-neuf participantes s'alignèrent pour prendre l'envol de Santa Monica l'après-midi du dimanche 18 août 1929.
Document Internet : Chubbie, la plus petite au centre de la photo
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Documents Internet : Les avions au parking
L'objectif était de réaliser une moyenne de 400 miles par jour (650 Km) pendant les huit jours à venir de sorte à atteindre Cleveland au plus tard le 26 août, car à cette date les courses en circuit fermé (National Air Races) devaient commencer.
Document Internet
Chaque jour la presse suivait l'évolution du parcours de ces dames, les journaux étaient publiés dans les hôtels des différentes étapes.
La première escale de nuit fut Phoenix en Arizona, mais seulement six participantes arrivèrent ce soir-là. Chubbie était de celles-ci, la seule arrivée du groupe des avions légers.
Elle partageait sa chambre avec Amélia Earhart une autre grande pionnière de l'aviation qui d'ailleurs connu une fin tragique. Dans la nuit de tragiques nouvelles parvinrent à l'hôtel ! Marvel Crosson une jeunette de vingt-six ans n'ayant pas réussi à atteindre Phoenix s'était dirigée dans le désert de l'Arizona.
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Marvel Crosson ..................Marvel Crosson en vol quelques jours avant son crash
Documents : Internet
Apparemment elle avait essayé d'utiliser son parachute. Son corps fut retrouvé à peine à 200 pieds (60 mètres) de la carcasse de son avion, parachute non ouvert !
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Documents Internet : Coupure de presse et photo du crash de Marvel Crosson
La population n'était pas encore habituée à l'idée que des femmes puissent prendre les mêmes risques que des hommes. Et il y eut une forte pression extérieure pour l'arrêt de cette course. Amelia et Chubbie furent farouchement opposées à toute idée d'abandon. Avec le sentiment qu'il fallait absolument terminer le parcours.
Le lendemain faisant route pour Douglas (Arizona), Chubbie fut elle-même obligée de se poser dans le désert. Elle était à court de carburant. Pourtant un mécanicien responsable lui avait assuré la veille dans une note signée que ses réservoirs avaient été remplis.
La jauge d’essence était de première génération et elle n'avait sans doute pas été plongée correctement dans le réservoir. À cause de ce retard Chubbie se retrouva loin derrière les leaders, toutefois elle atteignait finalement Cleveland en troisième position de son groupe.
Malgré ce petit handicap, la Compagnie Bell était des plus satisfaites que Chubbie fut inscrite dans la foulée pour la course de cinquante miles (80 Km) en circuit fermé pour les femmes. Cette course rivalisait comparativement avec les succès obtenus par Le Graf Zeppelin pour sa traversée de l'Atlantique.
Document Internet : Arrivée du Graf Zeppelin à Los Angeles le 26 août 1929
Sans oublier également les exploits de Charles Lindbergh qui avait traversé l'atlantique nord le 21 mai 1927 et de Richard « Batchy » Atcherley qui avait remporté la King’s Cup Air Race en 1929 et battu le record du monde de vitesse volant à 332, 63 miles par heure (535 Km) lors de la « Schneider Cup » la même année.
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Documents Internet : Charles Lindbergh ............................................Richard « Batchy » Atcherley
Ces « stars » de l'aviation avaient forcément toujours la faveur de la presse et du public.
Le circuit de la course en circuit fermé était de forme triangulaire avec un pylône à chaque angle. Chubbie se retrouvait avec tous les leaders pendant le parcours. Amélia Earhart avait essayé de la dépasser par l'intérieur mais elle fut disqualifiée. Chubbie dépassa toutes les concurrentes excepté Phoebe Omlie celle qui avait terminé troisième dans le « Powder-puff Derby ». Mary Heath termina troisième !
Chubbie entendit soudainement que Phoebe Omlie était disqualifiée pour avoir coupé un coin du fameux triangle. Chubbie fut du fait déclarée gagnante. Ensuite dans les autres épreuves elle se plaça en deuxième et troisième position. Elle reçut du coup un généreux bonus de la part de Lawrence Bell qui récompensait ce début palpitant de carrière solo.
Alors que Lancaster continuait à récupérer, un autre avionneur, Fairchild's, invitait Chubbie à piloter l'un de ses avions pour une compétition nationale le « Ford Reliability Tour » de 5 000 miles (8 000 Km). La plupart des constructeurs d'avions volaient en compagnie de pilote d'essai ou de démonstration. Fairchild fit habiller Chubbie en noir et blanc avec un chemisier en soie blanche une cravate noire, une veste blanche, un casque blanc et des bottes noires. La tenue était spectaculaire.
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Documents Internet : Chubbie au sommet de sa gloire
L'avion avait également été peint en blanc avec un liseré noir sur le fuselage. Cette compétition regroupait trente-cinq hommes et trois femmes. Le vol fut dur, mais Chubbie établit fermement sa réputation comme pilote des plus endurantes en se classant huitième sur les trente-huit concurrents, étant de plus la seule femme à terminer l'épreuve. Une telle performance dans un évènement national lui apportait distinction et renommée. Fairchild lui versa une double prime d'un montant d'un millier de dollars. De plus les compagnies pétrolières n'hésitèrent pas à lui verser nombre de primes.
Lancaster de son côté avait tout perdu de par son accident à Trinidad dont il se remettait doucement. Cirrus Engine s'était séparé de lui et il n'avait plus d'emploi au Conseil d'administration de la compagnie. La carrière de Chubbie s'étant envolée elle palliait aux besoins financiers de Bill, payant ses factures, y compris une allocation de 30 £ pour le compte de Kiki et les frais de Lancaster au « Army and Navy Club » où il vivait. En ce qui concernait Chubbie un partenariat était un partenariat et il était hors de question d'en déroger. Bill malgré ses problèmes de santé faisait en sorte de soutenir Chubbie autant que possible parcourant parfois des centaines de kilomètres pour être à l'aérodrome et la rencontrer. Même si sa fierté en avait pris un coup Bill restait malgré tout des plus heureux des succès de Chubbie.
Document Internet : Enveloppe de 1929 à l’effigie du meeting aérien
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Documents Internet : Affiches réalisées pour le 90ème anniversaire du Premier National Air Derby Féminin
Pour compléments voir : http://www.3emegroupedetransport.com/IntrepideChubbie.htm
Alain BROCHARD Octobre 2020