Ils ont choisi le Sahara pour horizon. Aujourd’hui, ils nous ouvrent grand les portes du désert. Jean-Marc Durou, éternel coureur des sables, a suivi l’une des dernières caravanes de sel à travers le Ténéré. Au cours de ses pérégrinations, Théodore Monod, l’impénitent amoureux du Sahara, a essuyé les plus belles tempêtes de sable dont un naturaliste puisse rêver. Odile Dayak, l’épouse du chef de la rébellion touareg, Mano Dayak, a partagé son existence libre et nomade. Le photographe Hans-Gerold Laukel, lui, a surpris la vie privée des fennecs. Ils racontent.

DU VENT À TRAVERS LES DUNES

Il est celui par qui le désert arrive.
Portrait du grain de sable en faiseur de dunes

Le plus grand voyageur saharien n’est pas fait de chair et de sang, mais de quartz. Depuis des millions d’années, le grain de sable explore le Sahara. Poussé par un vent omniprésent, il balaie et modèle ses paysages, ronge la roche, s’amasse en nouvelles dunes, ou s’exile et disparaît. Glisser dans le souffle du sirocco ou de l’harmattan pour atterrir sur une dune de l’Aïr, au Niger, n’est pas à la portée du premier grain de sable venu.
« Le vent s’approvisionne en sable en grande partie dans les oueds, les cours d’eau asséchés. Il procède à une sélection rigoureuse des cristaux de quartz, explique le professeur Pierre Rognon. Il emporte surtout des grains de sable de cent microns de diamètre. Rarement en dessous, rarement au-dessus. » Au cours de leur voyage, les sables sont triés, entrechoqués, pour finalement présenter au terme de leur périple des formes très similaires.
Si l’on sait aujourd’hui que les dunes ne cachent pas des collines, comme le pensaient les premiers explorateurs, on ignore encore bien des aspects de leur formation. On ne comprend toujours pas pourquoi, dans une région donnée, on trouve des dunes de cinquante à cent mètres de haut, séparées par des étendues rocheuses vierges, souligne Pierre Rognon. On ignore pourquoi le sable ne vient pas s’y déposer également. À l’échelle du Sahara, on trouve ainsi des étendues sablonneuses aux dimensions considérables sans zone intermédiaire. » Les grains de sable semblent en réalité aimer la vie en communauté. Peut-être éprouvent-ils quelque nostalgie envers la roche qu’ils formaient jadis ? Certains parviennent d’ailleurs à s’agréger au cours des années. « Le grès est à la fois du futur et de l’ancien sable qui s’est consolidé », explique Théodore Monod. Mais que cachent ces dunes qui peuvent atteindre jusqu’à trois cents mètres de hauteur dans l’Aïr, au Niger ? « On aimerait souffler dessus pour voir ce qu’elles camouflent, plaisante Pierre Rognon. Très souvent, ces sables recouvrent des dépôts lacustres, des fonds de cuvette desséchés, composés d’argiles blanches. On y trouve des restes de végétaux aquatiques, des algues microscopiques, des coquillages – d’eau douce, bien entendu –, des ossements de poissons et de nombreuses crottes de crocodiles à demi fossilisées. »

Septembre au Niger, saison des tempêtes sèches (ci-dessus).
Un coup de vent annonciateur, une période de calme inquiétant.
Et la tempête déferle, si violente qu’elle masque le Soleil (ci-dessous).
Rien à faire sinon s’abriter.


Deux jours dans une tempête de sable

« Tempête de sable. C’est monotone, quelle indigence dans l’imagination ! Ça va bien, nous les avons, tes vents de sable, on en a mangé, on en a plein les yeux, plein les oreilles, on en a partout, note le naturaliste Théodore Monod. Il faudrait varier un brin les attractions. Parlez-moi d’un vent d’écailles de harengs, d’un cyclone de peaux de saucisson, d’un ouragan de trous de gruyère, d’une tempête de pépins de potiron, à la bonne heure! Mais toujours du vent, des cyclones, ouragans, tempêtes, trombes de sable ! Non, c’est révoltant. Ah, le bandit ! » Récidiviste, le « bandit » se signale bien souvent au naturaliste. « Dans le Tanezrouft, j’ai été pris dans un vent de sable qui a duré quarante-huit heures, raconte le professeur. Le sable vous picote les mains, les jambes. On l’aperçoit qui court au ras du sol. On perd ses points de repère. On ne voit plus, alors on s'arrête. On s’emmitoufle dans un burnous, et on attend péniblement que ça passe en disant des gros mots. Heureusement, ces vents durent rarement plus de deux jours. Mais cela suffit pour vous égarer. Quelques heures après, c’est terminé, les graines commencent à germer. Et le soleil est de nouveau là. »
Extraits des Carnets de Théodore Monod


Théodore Monod au cours de son périple dans le Tibesti.

Il fut un temps où le Sahara était une savane. Aujourd’hui, on connaît mieux l’évolution du climat sur la zone saharienne et l’histoire des grains de sable. « Le sable a commencé à se former il y a trois millions d’années, au moment où le Sahara est devenu un désert, indique Pierre Rognon. Mais, par la suite, des périodes humides et des périodes d’aridité se sont succédé. Ces phases ont parfois été très courtes, un millénaire dans certains cas. Au cours des phases humides, le sable était fixé et recouvert de végétation. Pendant les phases arides, il se déplaçait et, sous l’action du vent, formait des dunes. »
Les plus rapides sont les barkhanes, des petites dunes en forme de demi-lune, qui peuvent avancer de plusieurs dizaines de mètres par an mais sont relativement rares au Sahara. En revanche, les grandes dunes pyramidales sont assez stables. Le vent ne parvient qu’à modeler leur surface. Souvent on peut apercevoir de petites traînées de sable s’échapper de la crête des massifs dunaires et l’on a l’impression que la dune « fume ».
Aujourd’hui que l’eau a disparu du Sahara, le vent trouve dans ce désert un territoire où il peut agir à sa guise, ciseler les roches et effacer les traces de l’homme. Dans le sud de la Mauritanie et au nord du Niger, plusieurs villes, abandonnées à la suite du déclin du trafic caravanier, se sont depuis évanouies sous les sables.
Sont menacées actuellement Tombouctou, au Mali, et plus encore Nouakchott, en Mauritanie. Mais le vent n’est pas seul responsable. La ville a vu sa population augmenter fortement, détruisant inévitablement le couvert végétal alentour. « On trouve aujourd’hui une auréole de désertification de cinquante kilomètres autour de la ville », regrette Pierre Rognon. Profitant de cette aubaine, le vent se déploie sans contrainte et la recouvre d’un manteau de sable.
« Cette désertification est résistible », estime le scientifique, qui place ses espoirs dans une nouvelle technique, développée à 1’aide de matériaux locaux, qui permet de dresser rapidement et à moindre coût des murailles de verdure. Par un détournement astucieux du vent, elles obligent le dieu Eole à désensabler les bâtiments enfouis ! En attendant la prochaine période humide au Sahara. Dans quelques milliers d’années...

Petit matin dans les montagnes du Hoggar.
Pour les Touaregs, lorsque chantent les dunes,
c’est le monde des génies qui se manifeste.

 

Le chant des dunes

Les rires du désert, les montagnes qui parlent, le tambour des génies : les noms ne manquent pas pour désigner le son, aussi étrange qu’exceptionnel, qui s’élève parfois du sable des dunes. « On entend tout à coup sortir d’une montagne de sable un son prolongé et sourd, analogue à celui d’une trompette, qui cesse au bout de quelques secondes pour retentir dans un autre endroit », écrivait en 1886 le voyageur allemand Oskar Lenz, qui observa le phénomène dans la région de l’Iguidi, au Sahara occidental. À bien des égards, le chant des dunes reste encore mystérieux. D’après des études récentes, il serait produit par le frottement de différentes couches de grains de sable lisses, mises en mouvement par le passage d’une caravane. Le son varie en fonction des conditions climatiques : crissement lorsque le sable est très sec, grondement lorsqu’il est plus humide. Mais le chant des dunes ne cesse de nous réserver des surprises : au Japon, on a ainsi trouvé un sable qui coasse tel un crapaud !

 

Janvier-février, saison des tempêtes de sable dans le Ténéré.
Le vent qui lisse les dunes efface toutes les traces. Sensation d’un
désert renouvelé, où celui qui laisse ses pas est toujours le premier.

QUI A CRÉÉ LE DÉSERT ? MOI, RÉPONDIT LE VENT, ET IL SE REMIT AUSSITÔT AU TRAVAIL

 

Source :

n° 126 de mars 1998

 

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La dune est capricieuse,
elle intrigue le profane,
inquiète le nomade,
fait enrager le savant.

Une dune est un amas de sable disposé par le vent. Un ensemble de dunes forment un erg.
Que de fois on a le sentiment que ces dunes, ces ergs sont entassés à même le sol comme du charbon ou du sel et qu’un caprice de la nature pourrait les transporter ailleurs.
Le beau sable blond ou blanc, rose ou gris, quelquefois presque bleu, est la maladie du désert.
Les premiers grains arrachés par le vent au fond asséché des anciens lacs lui servent de projectiles pour désagréger les falaises de grès, saper le flan des montagnes, détruire les rives des oueds.
Le sable alors s’enfle, se gonfle, déborde et se dresse en montagnes orgueilleuses et splendides.
Il comble le lit des oueds, efface les pistes, bouche les puits, mais si le vent s’apaise le sable n’est plus que beauté, cordons dorés sous la rude caresse du soleil.
Beauté redoutable pourtant car le « cordon » au « sif » aigu est souvent infranchissable aux méharis et aux véhicules.
Le spectacle de la dune frappe toujours ceux qui recherchent dans la nature la source de l’art.
Elle est d’essence féminine par ses nappés et ses arrondis. Elle est volume exact par ses lois de gravité, elle est palette par ses tons.
Et pourtant que de prudence ne faut il pas pour l’aborder ! Vienne à se lever le vent et vous voila perdu dans un nuage opaque et assailli par les grains de sable comme par des millions de microscopiques projectiles.

Henri-Jean Hugot et
Jean-Marc Durou

Alain CHUETTE - Février 2010