L’histoire des GBO et TBO 6x6
a été développée dans
Camions d’hier et d’aujourd'hui

Texte Victor Vautier


Dans la grande famille des Berliet GBO et TBO, les 6x6 occupent une place particulière. Alors que les 6x4 se sont illustrés dans le transport exceptionnel ou à l’occasion de grands travaux, les 6x6, eux, sont plus particulièrement associés à l’aventure du pétrole saharien.

Avec les GBO et TBO 6x4, Berliet dispose dès la deuxième moitié des années 1950 d’un véhicule à peu près sans concurrent sur le marché français.
Bernard n’a pas de moteur lui permettant de suivre Berliet dans sa course à la puissance et seul Willème peut prétendre proposer un camion plus ou moins comparable avec ses RD 615 D/DT.

Toutefois, Willème est loin d’avoir la même envergure industrielle que Berliet.
Cette situation favorable donne à Berliet les moyens de développer de nouveaux moteurs, ce dont ni Bernard, ni Willème ne seront capables.
Ce nouveau moteur Berliet est un 6 cylindres en ligne de 15 litres, c’est-à-dire deux fois plus que la cylindrée d’un GLR8 qui est le véhicule « cœur de gamme ». Nommé MDO, ce moteur et ses dérivés immédiats (MK640 polycarburant, MS640 injection MAN) sont montés notamment sur les TLM 15 et sur les GBO et TBO.
C’est sur le moteur MDO que se fonde le développement de la famille GBO (porteur) et TBO (tracteur).
Une famille qui va se spécialiser dans l’exceptionnel. Le MDO des débuts ne développe que 200 ch., mais ses évolutions successives et l’adoption de la suralimentation feront progressivement grimper sa puissance à 300 ch. (320 ch SAE). Rappelez-vous que, vers 1958, 300 ch. était un seuil symbolique !

Cinquante ans après leur construction, les GBO et TBO conservent un fort pouvoir de fascination, ils devaient donc paraître extraordinaires lors de leur apparition.

Du 6x4 au 6x6

En tout, plus de 1 600 GBO et TBO ont été construits de 1956 à 1973. Ce sont presque tous des 6x4 (96%) car il n’y aurait eu que 15 6x2 (1 %) et une cinquantaine de 6x6 (3%), toutes variantes 6x6 confondues.
Les 6x4, très satisfaisants en tant que porteurs (applications chantier, etc.) ou comme tracteurs lourds, trouvent leurs limites dans le cas de certaines utilisations hors route.
Parallèlement, Paul Berliet effectue un voyage d’étude au Sahara fin 1956 afin de prendre la mesure des problèmes de transport rencontrés dans le Sahara par les compagnies pétrolières qui mènent depuis 1952 de multiples campagnes de recherche dans cette région.
Il résultera de ce voyage le développement de deux nouveaux véhicules 6x6: le camion moyen tout-terrain GLC8 6x6 (qui deviendra GBC 8 6x6 « Gazelle ») et le camion géant T 100 6x6 destiné au transport de masses indivisibles hors piste.



Le T 100 n°2 accompagné de son porte roue, un GLC 8 6X6


Menée tambour battant, l’étude de la Gazelle et du T 100 permettent de présenter ces véhicules dès le salon de Paris 1957, neuf mois après le lancement de leur étude ! Entre la Gazelle et le T 100, il reste une place pour un 6x6 intermédiaire.
Pour obtenir ce dernier, le bon sens dicte de le fonder sur le puissant et solide GBO 6x4.
Proposant à la fois le GBC 8 6x6 « Gazelle », le GBO 6x6 et le T 100 6x6, Berliet dispose d’une gamme « pétrolière » 6x6 complète, sans équivalent ailleurs.
Ces véhicules seront naturellement des acteurs essentiels de l’aventure pétrolière française en Algérie dont la période euphorique se situe entre 1956 et 1961. Parce qu’ils s’adressent essentiellement à l’industrie pétrolière, les GBO et TBO 6x6 ont eu une carrière commerciale limitée à cette période (en fait, leur commercialisation semble limitée à la période 1958-1961). Cela dit, l’armée a commandé massivement les GBU et TBU 6x6 qui sont de très proches cousins des GBO et TBO 6x6.

Les spécificités des GBO et TBO 6x6

Alors que les GBO et TBO 6x4 reprennent l’ensemble cabine capot des GBM 15 et TBM 15, les GBO et TBO 6x6, destinés à évoluer hors route, adoptent une cabine simplifiée.
Quelques années plus tôt, dès 1954, Willème avait créé pour ses camions une cabine « Sahara » (type ZA) susceptible d’être montée, par exemple sur le RC 615 DP (6x4).



WILLÈME RD 615 DT tracteur cabine Sahara des années 60

1957 - la gamme initiale

La production des GBO et TBO 6x6 concerne principalement un prototype à châssis court et à cabine torpédo ainsi qu’un modèle pétrolier long. Dans les faits, les différences entre les GBO (qui sont théoriquement des porteurs) et les TBO (tracteurs de semi) sont très limitées. De nombreux tracteurs 6x4 ne sont donc pas nés TBO, mais GBO. Ce sont donc des porteurs équipés d’une sellette.

Dans le cas des GBO et TBO 6x6, il est vraisemblable qu’à l’exception des prototypes militaires, il n’existe aucun TBO 6x6.
Pourtant, les GBO et TBO 6x6 sont presque toujours vus attelés à une semi. Ces tracteurs de semi sont, d’une façon générale, des GBO équipés d’une sellette. Dans le cas des véhicules pétroliers.

La situation est assez claire et il est vraisemblable que tous ces véhicules sont des GBO 15P 6x6 équipés d’une sellette.

1957 – Les GBO et TBO 6x6 militaires

Si l’on considère a priori que tous les GBO et TBO 6x6 civils sont des GBO, (les tracteurs sont selon cette hypothèse des GBO avec sellette), les seuls vrais TBO 6x6 sont les deux prototypes destinés à l’armée.
En effet, au cours de l’année 1957, au moins trois GBO et TBO 6x6 sont livrés à l’armée. Le premier est le GBO T6 qui est une synthèse du GBO 15 6x6 civil et du tracteur d’artillerie T6.
Il s’agit d’un porteur remorqueur destiné à être utilisé comme tracteur d’artillerie. Le GBO T6 apparaît comme un modèle de transition entre le T6 et le tracteur d’artillerie GBU.



GBO T 6 prototype de tracteur d’artillerie

Le TBO T6 est lui un tracteur de semi-remorque. Il reçoit le nouveau moteur polycarburant MK 640 qui sera ensuite monté sur les GBU et TBU militaires. Le TBO 6x6 Air est très semblable au TBO T6 et s’en distingue par une monte jumelée à l’arrière, un PTR supérieur et une vitesse inférieure. Les GBO T6, TBO T6 et TBO 6x6 Air disposent tous d’une cabine torpédo et leur largeur est limitée à 2,50 m. Ils ne sont donc pas hors Code.



Ce véhicule énigmatique serait le prototype DU GBO 6X6
Tracteur d’artillerie saharien vu en mai 1957.

1958 - les débuts commerciaux

Au cours de l’année 1957, les moteurs MDO 2 et MDO 2S sont remplacés par le MDO 3. Les GBO et TBO 6x6 seront donc commercialisés avec le MDO 3S suralimenté et développant 300 ch.

Au cours de l’hiver 1957-1958, le GBO 15 6x6 et le GBO 15 P 6x6 commencent leur carrière commerciale équipés de ce moteur.

Alors que le GBO 15 6x6 est un châssis tout terrain normal, le GBO 15 P 6x6 est un véhicule adapté aux contraintes de la prospection et à l’exploitation pétrolières. Il est notamment conçu pour recevoir une monte pneumatique généreuse - 1800x25 qui justifie l’allongement à 1,80 m de l’entre axe du tandem arrière (au lieu de 1, 52 m). C’est aussi le plus gros véhicule de la famille avec ses 3,438 m de largeur qui font de lui un véhicule notoirement hors Code.



GBO 15 P 6x6

La fin des 6x6

La famille GBO et TBO a été produite de 1956 à 1973, mais cette période ne concerne que les 6x4.
Les 6x6, eux, ont été produits pendant une période beaucoup plus courte, de 1957 à 1961. Justifié par les besoins de la recherche pétrolière, le GBO 6x6 a affronté avec un certain succès Kenworth.
Avec l’indépendance de l’Algérie, effective en 1962, les entreprises françaises se sont désengagées de ce pays, à l’exception notable de Berliet.

L’implantation industrielle de Berliet en Algérie remonte à 1957 avec la constitution de la société africaine des automobiles Berliet (SAAB/SA) dont le siège se situe à Alger. La SAAB/SA dispose d’une usine de montage poids lourds à 320 km à l’est d’Alger, à Roubia, avec des succursales à Hussein Dey, Constantine, Oran et Ouargla.
La SOciété NAtionale de COnstruction MEcanique a été crée par ordonnance du 09/08/1967. Elle a pour vocation d’exploiter et de gérer les usines de construction mécanique du secteur public. La SONACOME a hérité du patrimoine de la SAAB/SA.

Cela dit, les clients de Berliet pour l’industrie pétrolière, en quittant l’Algérie, ont privé les 6x6 Berliet de leur marché. Les GBO 6x6 et les T 100 ont été victimes du fait que la zone saharienne ne soit plus une zone d’influence française.
Il faut se souvenir qu’à l’époque, le pétrole dans le monde est une affaire essentiellement américaine.

C’est là une sorte de tradition, fruit des décennies antérieures. En 1918, les Etats-Unis étaient le premier producteur de pétrole au monde. Il en résulte le savoir-faire historique des Américains dans les domaines liés à la prospection et à l’exploitation pétrolières. Après la seconde guerre mondiale, ce sont les Américains qui « assez naturellement » se sont chargés d’exploiter le pétrole d’Arabie Saoudite (les réserves irakiennes étaient à l’époque déjà bien connues).
Par tradition, une entreprise américaine travaille prioritairement avec les autres entreprises de son pays. Les pétroliers américains achètent donc leurs camions aux constructeurs américains. Aussi, pour permettre aux compagnies pétrolières américaines un travail dans de bonnes conditions en Arabie Saoudite, Kenworth conçoit en 1951 son modèle 853. Ce 6x6, porteur ou tracteur, sont spécialement adaptés à l’exploitation pétrolière, il a d’ailleurs été réalisé initialement pour l’ARAMCO (Arabian American ail Co)

Le 853 a été produit à quelque 1 700 exemplaires, à comparer à la cinquantaine de GBO et TBO 6x6 construite.
Le 853 a eu une descendance à travers le 953 qui est également un 6x6 destiné à l’industrie pétrolière. Dans ce domaine, Kenworth règne sans partage, notamment au Moyen-Orient.

Berliet, camions extraordinaires, conçus pour les transports les plus difficiles, les GBO et TBO 6x6 ont, malgré une carrière commerciale très courte, réussi à forger une légende encore vivace cinq décennies plus tard...


GBO 6x6 préservé par la fondation Berliet


Les photos des GBO proviennent de la Fondation Berliet


En 1980 était créée la fondation BERLIET racheté par RENAULT.
M. Paul BERLIET demande à cette occasion le don du T 100 n°2 par l’Algérie afin d’être placé dans le futur musée.
En janvier 1981 débuta la restauration du véhicule avant son retour en France.
Il arriva à Lyon en mars 1981 et trône depuis à la place d’honneur du musée de la Fondation.

Alain CHUETTE - Mars 2010

 

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