Arak, un poste de la Légion isolé dans les contreforts du Hoggar, un ancien hôtel installé par la mission Citroën. Cela, c’est ce que tout le monde peut savoir en regardant une carte Michelin plus au moins récente. Et pourtant Arak, c’est bien plus que cela.
Lorsque, vers la fin du mois d’août, on me proposait d’accompagner un convoi qui assurait la liaison d’ln-Salah vers Arak, je n’en savais guère plus sur ce poste. Mais, si je m’en reportais aux dires des légionnaires, il devait y avoir là-bas bien autre chose. En tous cas il ne fallait certainement pas laisser passer l’occasion qui m’était offerte d’aller me rendre compte par moi-même.
C’est pourquoi j’embarquais gaiement quelques jours plus tard à bord d’un 4x4 pour mes trois cents premiers kilomètres de piste… et de secousses. La liaison s’effectuant de nuit, cela ajoutait encore au mystère et à l’impatience que je ressentais, au sujet de ce que je découvrirais le lendemain matin. À l’arrivée, il me fallut bien me résoudre à gagner mon lit dans l’ombre sans plus en savoir, et à plonger dans le sommeil.
Un contact froid et humide sur la joue, une langue râpeuse qui me débarbouillait avec affection telles furent mes premières sensations au réveil : la chienne Sonia, terminée sa nuit de garde, faisait le compte de ses nouveaux visiteurs. Je lui dois d’avoir pu contempler, dans les premières clartés du jour, tout un impressionnant cirque montagneux qui m’entourait à mon insu et sortait peu à peu de l’ombre, austère et presque hostile.
Une attaque assidue de mouches m’obligeant à me lever peu après, je fis ma première reconnaissance du poste. Parcourant les toits en terrasses des bâtiments d’enceinte, je surplombais la cour pavée, occupée en son centre par un bâtiment au toit de tuiles rouges recourbées, entouré par le feston blanc et resplendissant de son promenoir à arcades. À première vue, j’avais plutôt l’impression de me trouver dans quelque hacienda mexicaine. Le silence de la vallée était à peine troublé par les aboiements lointains des chiens sauvages et par l’unique note musicale qui s’échappait régulièrement de la salle du radio, à la manière du chant du crapaud.
Tout à coup l’appel du clairon, répercuté dans les vallées, déclenche le réveil du poste. Le ronronnement sourd des groupes électrogènes se fait entendre et l’activité de la ruche commence. Rassemblement, lever des couleurs, le cuistot rallume ses feux et surveille de sa porte une corvée de « peluches » égayée par les jeux des deux chats. Tout à côté, le boulanger se plonge dans son four, un vrai vieux four traditionnel où il active un feu d’enfer. Au dehors résonnent les coups de hache de celui qui va assurer la provision de combustible. De leur côté, les mécaniciens ne perdent pas un instant et se précipitent sur les véhicules pour achever cette réparation qu’ils avaient poursuivie tard dans la nuit. Chacun trouve son travail dans cette vie quotidienne du poste ; surtout, chacun peut ressentir l’utilité de tous les actes qu’il accomplit.
J’étais monté un peu plus tard vers la grotte, plus haut que le rocher portant la fameuse autruche de la 4ème C.P. d’où l’on domine le poste tassé au fond de la vallée. Un nuage de poussière s’éloigne du poste dans le chemin qui franchit l’oued parmi les roseaux géants. J’ai peine à distinguer s’il s’agit de la première corvée d’eau. Mais non, le véhicule passe à côté du puits, sans s’arrêter dans la vallée, et poursuit vers la sortie des gorges, à la recherche de ces arbres morts aux branches tordues et rugueuses qui servent à chauffer le four.
De mon observatoire, j’aperçois maintenant un groupe en tenue de combat, se formant devant le magasin d’armes. Il sort du poste, puis se dissimule habilement à mes regards en utilisant dans sa progression les éboulis rocheux qui encombrent le lit de l’oued. Les rafales qui éclatent bientôt et emplissent la vallée de leurs échos me permettent de les localiser à nouveau. Je redescends de mon perchoir pour me faire inviter à participer aux exercices de tir. Le soleil plombe dur, mais on n’y prête plus guère attention.
Mais l’activité d’Arak ne saurait se limiter aux travaux quotidiens et à l’instruction, une autre de ses vocations est l’hospitalité. Un convoi remontant d’In Amguel, des touristes allemands, français ou anglais, deux missionnaires qui se rendent en Afrique centrale, autant de visiteurs divers qui font halte au Poste et n’oublieront certainement pas cette bière fraîche bue en compagnie amicale, au milieu de la fournaise des kilomètres de pistes poussiéreuses, pas plus que les conseils reçus et, parfois, l’appoint plus urgent d’une aide technique avisée.
Arak, c’est aussi la possibilité de sorties dans ces étranges montagnes, et puis le plaisir de la chasse à la gazelle ou au mouflon. Des antécédents familiaux de braconnage, et l’assurance que je ne serais ni le premier ni le dernier à enfreindre les interdits, me poussaient irrésistiblement vers ce genre d’expédition. L’idée de passer une nuit dans l’oued à l’affût du m0uflon était très excitante. Cette nuit passée avec deux légionnaires, allongés dans le sable, à écouter le vent jouer dans les immenses tuyaux d’orgues des parois de la montagne et à guetter dans la clarté de la lune, est inoubliable. Avant le lever du jour, nous reprenions, dans une vallée encaissée à l’aspect fantastique, une marche précautionneuse, sans un mot, prenant bien garde à ne pas faire rouler le moindre caillou. Et puis, à un détour de la vallée, le mouflon était là, paissant tranquillement, broutant ces touffes d’herbes rudes et épineuses qui sèchent entre les pierres et l’argile craquelée du fond de l’oued, ignorant le danger qui devait le foudroyer quelques instants plus tard.
Le forfait accompli, nous avons poursuivi jusque sur un plateau au relief lunaire, inquiétant et aride, surplombé de bizarres champignons rocheux qui semblent vous menacer. Partout la roche minée, découpée, attaquée par le vent et le sable vous offre la surprise de grottes inattendues, de monstres de pierre aux allures de sphinx, tout un décor d’épouvante comme on a peine à en imaginer.
Je n’oublierai surtout pas ce dernier soir au poste, où l’on fêtait un départ outre-mer dans cette cour pavée, entre les arcades et les murs blancs, la spontanéité et le talent déployés pour créer cette ambiance de camaraderie. Des chants repris en chœur, des mimes, et même une interprétation des élucubrations d’Antoine à la mode 4ème C.P. tout un répertoire étonnant qui nous transportait dans une atmosphère de cabaret. Un scorpion qui s’avança sournoisement parmi nous, poursuivi par les jappements du chien, vint quand même nous rappeler que nous étions à Arak. Et tout le monde se dispersa pour l’extinction des feux, et les deux lézards accrochés au mur à côté de la lampe, durent cesser eux leur chasse acrobatique à la libellule.
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Texte 2ème R.E.I.
Photos Képi blanc
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Source :
Képi blanc
La vie de la Légion Étrangère
n° 240 – Avril 1967