ADRAR
Décembre 1950 – Mai 1954
Les textes, photos et légendes sont de Jean-Marie LAPORTE

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    NOTRE retour à Adrar n’était pas fait d’avance ! À la demande d’Alger sur ma prochaine affectation j’avais postulé mon maintien, arguant de mon proche mariage avec une Institutrice en poste, ce qui n’était qu’un souhait ! Je vois arriver mon successeur en la personne d’un BLANC (il y en avait 4 à Alger) et de sa femme. À un moment il me dit « je sens que je vais me sentir bien ici ! » Et je découvre que DUCASSE pas un instant ne lui a parlé de nous. De retour dans le nord je fais un saut à Alger pour me heurter à l’indifférence sinon l’ignominie, on vous donnera un poste genre Ain-Sefra, puisque vous voulez le Sud ! J’explose : je vais laisser ma jeune femme à 500 où 800 kms. Réponse : vous la verrez aux vacances ! Après notre mariage à Tlemcen, j’irai à Paris, à l’Alma voir le Colonel CHABOD qui dirige le SMMA. Il est offusqué de l’attitude d’Alger et me promet de faire le nécessaire. Quand je reviendrai en effet avec le papier en main, DUCASSE dira d’un ton sec : « On voit que vous êtes allé à Paris ! ». « Oui M. le Directeur et ils sont humains là-bas ! » Mes mauvais rapports avec lui datent sans doute de là ! BLANC ne protestera pas et sera muté à Béni Abbès, oasis ravissante aux maisons blanches étagées entre les vagues de dunes de l’Erg et le lit de verdure couvrant l’Oued. Il y passera 4 ans puis y reviendra plus tard.

    Notre voyage s’est bien et vite passé. Jusqu’à Béni Abbès on est accompagné d’un lieutenant, de sa femme et d’un bébé. La fumée monte soudain dans le compartiment couloir. On tape à la paroi, debout sur les freins le chauffeur parvient à s’arrêter enfin, on saute et j’entends une voix « sauvez mon enfant » proférée par la jeune femme affolée ! On poursuit sans autre alerte.

    En arrivant et côté Janine, c’est Mme MADON (épouse d’un agent agricole venu théoriquement aidé le cours agricole qui l’occupe le poste. La première année Janine effectuera des remplacements sur place de temps en temps. Elle n’aura un poste à l’année qu’à la rentrée 1952.

    La météo est un vaste ensemble de bâtiments. Face à la Place des Chameaux, il y a deux pièces à gauche, avec une douche et une cheminée, on entre par un couloir, un second couloir contingent mène à un même type de logement mais inversé, à droite. Les fenêtres sont semi circulaires et protégées de la lumière par les galeries. Dehors de l’autre côté de la vaste cour (j’y planterai du ricin), il y a les dépendances, four à pain, poulailler et un logement identique à nos deux pièces. Le Service de l’Infrastructure effectuera des travaux. Un couloir sera transformé en cuisine et la chambre de gauche du logement de gauche isolée et dotée d’une entrée propre, ce sera une chambre d’ami ou d’hôte. En 1961 j’y logerai lors d’un voyage dans mon Passé, avec une émotion profonde, un de ces moments qui nous marquent ! Mais des travaux entrepris avaient modifié un peu la façade. Nous logeons d’abord à gauche, la première salle sert de bureau et de salle à manger. Je revois encore ma toute jeune femme mince et les cheveux très courts (photo) y travailler pendant que je remplis mes imprimés. Que cette époque fut heureuse, je ne peux l’évoquer sans larmoyer ! Plus tard on ira s’établir à droite. Les pièces sont accueillantes avec des tapis en poils de chameau, des Gondam, Dokali, Mopti et autres tapis du coin ou du Soudan. J’ai tendu des caisses de soude caustique de tissu pour faire des bibliothèques très convenables. L’hiver on achète un chameau de bois et un bon feu crépite dans la cheminée. Bouboule me prête sa machine à écrire portative. Janine fait la cuisine avec les produits du coin (de la viande de mouton ou de chameau achetée au Souk avec les mouches, quelques légumes faméliques qu’un jardinier noir Harratine vient lui vendre (photo) et ce qu’on achète chez Mme LECERF venant du nord).

    Nous avons une chienne « Chipette » (Chimène), nom tiré de la parodie du Cid en Pataouète de E. Brua. Elle appartenait à un STS d’Aoulef qui l’avait abandonnée et que FASSANARO avait recueillie. En quittant Adrar il nous la laisse. C’était une brave chienne de chasse qui avait sans doute été dressée contre les intrus qui la craignaient, il fallait la tenir en laisse quand je la sortais ! Elle se faisait engrosser régulièrement quand elle s’échappait. À nous de se débarrasser des chiots ! La première fois on en a gardé pour en donner. Janine a voulu le sien, un petit noir à l’air idiot qu’elle nomma « Styx » et qui m’énervait, toujours dans nos jambes. Un chien de dessin animé avec des pattes palourdes qui tanguaient de part et d’autre. Je dois raconter cet épisode honteux et qui me pèse encore au point que chaque fois que j’y pense, les larmes perlent aux paupières ! Un jour où il m’énervait particulièrement je l’ai frappé violemment puis jeté contre le mur. La pauvre bête est retombée avec un bruit mou et m’a jeté un long regard triste, ah ce regard humain, « pourquoi, que t’ai-je fait ? », ma fureur est retombée d’un coup je l’ai pris, caressé, baigné le museau qui saignait un peu avec de l’eau, pourquoi cette rage qui m’étonne encore ? Pourquoi cette fureur, cette violence incontrôlée, cette volonté de faire mal ? Le coté obscure qui est en nous ? Un effet du climat saharien ? Bien des années sont passées et je suis vieux mais il n’est pas de semaine que les images de ce moment ne reviennent me hanter avec leur cortège de remord et de honte ! Jusqu’à ma mort je sais qu’il m’arrivera de penser à ce pauvre petit chien battu. Au Paradis des chiens d’où il me regarde, il voit ma contrition, ma honte et ma peine, pardonnes-moi encore petit Styx !

    On avait fini par donner nos chiots excédentaires. Styx échut à un adjudant qui eut les pires ennuis. Le petit s’enfuyait en grattant la terre sous sa porte et on le retrouvait frétillant devant chez nous ! Quand à Chipette je la retrouverai en 1961 mourante. Vieillie et allongée, le souffle haché, je la caresserai, lui parlerai doucement, elle lèvera les yeux me léchera la main mais m’a-t-elle reconnue ?

    Je pense souvent à Ouallen. Je n’étais pas là lors du retour de BASSET, par contre nous recevons à dîner le gentil petit sergent qui lui a succédé. Il est tout intimidé devant Janine et se tient plutôt mal ce qui la fera rire car je l’avais prévenue qu’on oubliait les bonnes habitudes au fond de notre trou !

    Au printemps, Janine n’utilise pas l’avion de départ des Instituteurs et demeure en mai avec moi, puis elle part, il fait trop chaud et, en dehors de l’inoxydable Mme LECERF et de Mme ORENGO, nous sommes entre hommes. Elle revient en septembre, l’attente a été longue et dans la joie partagée Jean-Pierre est mis en chantier ! On nous a installé l’eau courante mais les WC sont toujours dans l’angle au dessus de la fosse vidée régulièrement. Nous nous promenons dans la palmeraie en nous tenant la main. On s’habillait simplement et portions en général un serrouel targui toujours ample mais à la forme en fuseau, Janine parfois remettait ses robes, pour ma part je portais souvent un treillis militaire très pratique avec ses poches plaquées un peu partout. Un burnous pour le froid pour ma femme, un blouson militaire ou en gabardine pour moi, LAMORI le tailleur coiffeur m’avait confectionné de belles chemises écossaises, et de temps en temps mon costume en tweed. L’hiver d’avant je débute le tennis. Dans le Bordj il y a un court que fréquente peu de monde, un jeune sergent-chef : WEYER, CONTE, le Postier et un ou deux lieutenants. Plus tard l’Annexe en construira près de la piscine. Nous nous y mettons, le Toubib, MICLOT, DUPIN, les femmes même, cet afflux crée des tensions. Une réunion se tient à l’hôtel pour élaborer un règlement. La radio annonce la mort de Staline, les tournées reprennent de plus belles, je reviens passablement éméché malgré la traversée de la Place sous une lune glacée. Janine est surprise mais c’est la seule fois qu’elle me verra ainsi ! Elle est heureuse de son poste et supporte bien sa grossesse. Air France inaugure les premières lignes sahariennes à grand renfort de journalistes et d’articles à sensation, « ces hommes héroïques et ces femmes admirables » en parlant de nous, on rigole. Maman en profite pour venir passer quelques jours avec nous, une joie pour tous. Nous devenons amis des JORDAN. Ancien légionnaire, grand, digne distingué, avec sa femme il s’est installé menuisier dans une maison qu’il a aménagé adorablement et tout autour un jardin et de la verdure (photos). Ils se retireront à Menton où nous irons les voir par deux fois (Ulrich). Dans les dossiers il y a une lettre de lui nous invitant avec sa courtoisie qui surprenait. Un personnage ! Janine repart enceinte dans un DC 3 piloté par un commandant de bord prétentieux nommé RAVIER. Comme il doit aller à la chasse tôt, il les fait décoller à l’aube et je suis chargé de disposer les lampes Goosnec. Avec le méhariste on se trompe et on les installe le long mais à gauche de la piste en terre. Le décollage se passe à merveille mais j’ai eu des sueurs froides pour Janine et l’avion. Le temps est mauvais, ils seront obligés de se poser à Laghouat et y dormiront avec les MONNIER, une figure de Timimoun de l’époque. Après l’Indépendance ses anciens élèves le feront venir pour des retrouvailles émouvantes. Cet été fut long et chaud et la poignée d’européens s’en ressentit ! Comme je faisais remarquer à VALLÉE son air fatigué il me rétorque : « Vous n’avez pas vu votre tête ! » Un tennis très tôt le matin ensuite piscine, piscine, piscine ! Je couche par terre sur le Tafsa, au frais, sic, dans la chambre, la couverture est bientôt trempée ! Je ferai creuser une cave pour l’année suivante. Je vis dans l’attente du télégramme, il arrive et avec bonheur et fierté j’annonce autour de moi l’arrivée de Jean-Pierre. Nombreuses tournées ! La Direction compréhensive et pas si inhumaine m’autorise un petit séjour à Alger. Avec le Lieutenant MICLOT nous embarquons dans un vieux Ju 52 poussif du Groupe « Sahara ». Pour pouvoir décoller avec la chaleur nous nous entassons à l’avant. Je suis sur le tabouret du Radio avec un Colonel sur les genoux ! Nous roulons lentement, on finit par s’arracher du sol et on s’éloigne à moins de 2 500 m dans les turbulences de l’été ! L’air entre à fond par les vitres cassées. Après l’arrêt à Timimoun dont je ne connaitrai jamais que le Terrain, nous ramons contre un vent contraire et on retarde. Le Capitaine pilote nous annonce que nous déjeunerons à Oran-La Sénia. Ce qu’on fait tous ensemble au Mess. Maintenant, annonce le Pilote qu’on est en retard, inutile de se presser, on va suivre le chemin des écoliers. On sort de la zone d’Oran en survolant la sebkra de la Sénia et cap sur la côte. Nous allons la longer à basse altitude, parfois plus bas que les sémaphores plantés sur leur falaise, ainsi celui de Cap Ténès (photo). Je n’aime pas l’avion mais je me régale. On survole les petits villages de pécheurs avec leur église, la mosquée et les petits bateaux blancs et bleus sur leur quille noire. À l’approche d’Alger on pénètre sur la terre pour rejoindre Maison-Blanche. Une camionnette militaire nous dépose à la Grande Poste, je me hisse sur les centaines de marches qui mènent à la rue Duc des Cars et bientôt Janine est dans mes bras puis je découvre mon petit Bébé, mon fils, si mignon. Moments d’émotion ! Maman vient pour le baptême, cérémonie à l’église du Telemny au-dessus de chez nous. Sur les photos Janine qui porte un tailleur de soie sauvage paraît encore fatiguée et le visage tendu. Quelque chose m’aurait-il échappé ?

    C’est la mode des scooters. À Adrar, CARELLI, ancien légionnaire employé à l’Annexe en possède un. Pourquoi me suis-je mis dans la tête d’en posséder un ? Face aux Vespa et Lambretta, une marque française « Terrot » tente de survivre, j’en achète un qu’il faudra acheminer non sans mal par le DC 3. À Adrar je l’utiliserai pour mes allées et venues et quelques sorties extra-muros (photos).

    Tous les ans nous avons des visites ? AUDOIN-DUBREUIL passe avec sa 2 CV, pique-assiette souffle VALLÉE. Il vient à la Météo pour se renseigner mais surtout évoquer le passé. Je ne me moque pas, que fais-je en cet instant, mais j’ai entendu trois fois les traversées en autochenilles ! Un Professeur Suisse nommé SUTTER aussi.

    Et je pêche, j’ai trouvé dans la maison des lignes et une nasse. Les poissons d’eau douce circulent dans les séguias, j’en prends dans celle qui passe devant la Météo. Une autre fois nous sommes dérangés DELACROIX et moi dans la piscine où un gros nous chatouille. On est installés avec les lignes quand des touristes entrent. Ils stoppent net, nous regardent longuement puis en chuchotant font vite demi tour. La réputation des Sahariens était faite !

    Notre dernière année s’écoule à voir grandir le Bébé dont nous surveillons la santé comme des malades. Janine est une mère attentive. Des colis nous arrivent du nord pour l’aider mais à quel prix ! Tout à une fin du moins je le pensais ! Janine et notre fils partent d’abord, j’attends la relève qui arrive en mai sous la forme d’un sergent. Voilà l’heure du départ et je suis très ému en pensant à tout ce bonheur qui m’est arrivé dans ce pays. Impossible de croire que j’allais y revenir et remettre mes pas dans mes traces ! Le Destin me sourit encore. Les Officiers et les Instituteurs recherchaient des très belles et rares poteries marocaines venant du Tafilalet où elles étaient souvent déposées en offrande sur les tombes. Alors que je me prépare à fermer la porte, un indigène approche et m’en propose une. Je l’achète sans discuter et monte dans le 4x4 qui me mène au terrain. Tous les européens sont là pour les adieux et ma poterie fait sensation. Je m’envole fixant les yeux humides cet horizon connu. J’ignore que je reviendrai mais là c’est une autre histoire ! J’écris ces lignes alors que plus d’un demi siècle s’est écoulé sur cette période balayée par l’Histoire mais que, curieusement, plusieurs sites Internet tentent de rappeler à travers les souvenirs de militaires venus bien après moi et qui revendiquent leur séjour comme une Aventure ! Moi demeure impérissable la présence de Janine !

 

 

À gauche au fond
la Place Laperrine
La place Laperrine, au premier plan des foggaras
L'église
L'hôpital


La mosquée
Porte de...
Section du Touat
Le Mer-Niger
Entrée du Bordj de l'intérieur
La Casbah Servière primitive
Le cercle Off et logements de s/off
Entrée des tennis
et de la piscine derrière le Bordj
Le village
La Météo
vue du Bordj
La Météo
L’escalier raide de la Météo, au fond l’église
La cour des instruments et
du générateur d’hydrogène
Le chef de Station
À l’abri
Lancer du Pilot
Le puits à la Météo
Le ricin dans la seconde cour, au fond les WC
Hadj et moi
Chambre météo
Embarquement Cne BARDY
Haie d'honneur. Adjt radio,
S/c WEYER
La Jeep du toubib Cdt JOSEPH
À la piscine
La piscine
Criquet d'évacuation sanitaire
Le Beech de l'Aérotec

Le célèbre
India Kilo

BARDY, MADON, DUPIN, Mme CAMARA, JOSEPH, X, Mme MICLOT, BILIQUEY, MICLOT, FAVERGEAT, CAMARA

Peloton PAILLAT au départ pour des mois
Départ PAILLAT
de dos Cne DUPIN
Peloton PAILLAT sur le départ
Lt PAILLAT en tête de son peloton
Lt PAILLAT et son peloton
Ciel
Cirrus
Coucher sur la terrasse et Chipette
Dégâts après 36 mm de pluie
Tisseuses
Coton
Avec le scooter tout neuf près du lavoir
Camion SATT
Sur la piste Adrar-Béchar
Entrée de jardin dans la palmeraie
Soleil dans
les palmes
Dans le Kseibat
Village dans
le Kseibat
Palmeraie dans
le Kseibat
Kseibat, ruelle dans le ksar
Kseibat
Lt MICLOT
en inspection
Avec MICLOT
dans le Kseibat
MICLOT et les motards autrichiens

Tamentit biblique

 

RENCONTRE AVEC JANINE

    À une date oubliée de juin 1950 je quitte Ouallen avec joie et encore plus d’émotions. Je reviendrai sur cette période intensive de ma vie. Je retrouve la civilisation auprès de deux chauffeurs ahuris de voir ce type surgir du Tanezrouft en compagnie d’un Targui, d’un méhariste et de trois chameaux. Après c’est Reggan puis Adrar où je passerai une dizaine de jours de repos décidés par le Lieutenant Toubib DAVIDOU. En forme relative mais fatigué et surtout très maigre ! Période bénie au frais (?) sous les palmes, dans la ville rouge au style soudanais. Quelques européens dont le Capitaine VALLÉE qui deviendra un ami et les Sous-officiers de la Cie de Transmission croisés à Ouallen. Pouvais-je deviner ce que deviendra Adrar pour moi dans ma vie ? Après un voyage rocambolesque, (cf. opus), je rejoins ma nouvelle affectation : Ouargla le 15 ou 16 Juillet. Je travaillerai là-bas avec le Sergent CHAPTAL. On croit que je le relève et après un joyeux et humide dégagement il part pour Alger. Trois jours plus tard coup de téléphone de LEMIEUVRE, le Patron de la Météo pour l’Algérie : « LAPORTE pourquoi avez-vous laissé partir CHAPTAL ? » « Beuh !! ». Deux ou trois jours plus tard retour par le car de Touggourt de CHAPTAL complètement bourré ! Les copains de l’Aviation (dont MOUNIER) m’aideront à le coucher. Après quelques jours de mauvais esprit il finit par reprendre le travail et nous serons de bons amis Raymond et moi. Au téléphone après le savon des chefs pour la longueur de mon voyage, je leur exprime mon vif désappointement pour Ouargla qui ne me plaît pas du tout. À l’occasion je retournerais bien dans le vrai Sud. Je suis culotté ! Le temps passe, Maman vient me voir. J’irai la chercher à Bône en toute illégalité. Et puis un jour on nous annonce la mutation de CHAPTAL. Il attendait ça depuis des années : le Maroc, Midelt, Touggourt où il avait édifié le logement sur l’école pour être vidé au profit d’un Météo marié : HUSTACHE... On voit débarquer un jeune Lieutenant, Pied-noir, jeune marié de surcroît et sa grosse épouse. C’est FREDOUILLE dont le passage des consignes consiste à vider les tiroirs pour compter minutieusement punaises, trombones etc. Le téléphone sonne, CHAPTAL décroche : « mes respects M. LEMIEUVRE », je le vois blêmir et il pose le combiné et sort. Je le prends, « ici LAPORTE », pourquoi est-il parti CHAPTAL, « je viens de lui dire que c’est vous qui partez pour Adrar, c’est ce que vous vouliez ? » À partir de mon choix, il y a un an d’aller à Ouallen, toute ma vie s’est organisée selon un cheminement obscur mais voulu (Dieu, Destin, Ange ?) dont Ouallen était le passage initiatique nécessaire. Avec la décision d’Alger, l’avant dernier pas vient d’être franchi !

    Contrairement à l’habitude on me fit passer par Alger. En séjour colonial on effectuait deux ans sans congé et sans quitter le Territoire. Cette fois les ordres diffèrent et par Touggourt, Biskra, Constantine je rejoins la ligne principale qui traverse l’A.F.N. À Constantine je monte dans le rapide d’Alger. Je descends dans un petit hôtel rue d’Isly et me présente à la Météo, à la Villa Grima. DUCASSE, le Délégué Général qui me créera tant d’ennuis plus tard et contre qui je mènerai une petite guerre quand je dirigerai le B.L.P.S : LAPORTE je vous demande d’être plus diplomate avec Alger, j’entends encore la voix de M. BROCHET et LEMIEUVRE. Tout d’abord un rappel du savon léger pour mes pérégrinations de l’été, puis l’on en vient aux faits. Vous êtes-vous bien entendu avec PATROU ? Pensez-vous être capable de gérer son départ sans problèmes ? Car PATROU est un cas. Sergent-chef, plusieurs fois cassé, issu d’une bonne famille de Monte-Carlo ou Monaco, il est resté au Sahara après un début au Maroc. Il fait partie de ces coloniaux que l’alcool a malheureusement ravagé ! Il s’est marié à une fille d’Oran qui est restée dans le Nord et il mettait de l’anisette dans les biberons de sa fille. À Adrar il a eu un accident en Jeep, a démoli le visage d’un dactylo moitié pute qui traînait là. Son type et elle ont profité de son état pour tout lui faire endosser. Le malheureux est dans les procès et les dettes ! C’est lui que la Direction avait désigné pour mettre mon accompagnateur à Ouallen. Il a été correct et serviable et hormis un cocktail au bleu de méthylène, je n’avais pas eu à m’en plaindre. Il avait effectué deux séjours à Ouallen pendant la Guerre en pressurant les Touareg remontant du Soudan avec les caravanes, faisant du chantage pour l’eau du puits, leur prenant d’office des bêtes, voire les volant la nuit, qu’il écoulait par le biais d’un ancien radio devenu éleveur. Les Targui s’étaient plaints auprès du Territoire et PATROU était devenu persona non grata. Apprenant qu’il ne pouvait retourner à Ouallen (pour me relever donc) il avait arrêté de travailler. Depuis avril, Alger ne recevait plus de relevés et les Obs lacunaires transmises par radio étaient fantaisistes ! C’était à moi de procéder, on dirait maintenant à l’exfiltration, sans dégâts et ensuite de reconstituer les Obs manquantes d’après les enregistreurs (ils croyaient encore qu’il les avait entretenus !). PATROU, assagi, finira sa carrière à Rennes comme Technicien.

    Je profitais de ces deux jours pour me rééquiper un peu, pantalon de serge, blouson et une paire de chaussure à très grosse semelle, mode de l’époque mais qui allait me poser des ennuis pédestres.

    Même voyage qu’en 1949, plus agréable et plus court parce qu’effectué l’hiver. Après le changement de train je m’arrête à Saida pour diner à la cantine des C.F.A. La préposée m’a à la bonne et me gave. À Colomb-Béchar un comité de collègues Météos s’assure que je ne traîne pas en route. La Direction a été échaudée par mon périple de l’été ! À partir de Colomb-Béchar le voyage en camion se déroule sinon plus vite mais du moins sans halte due à la chaleur. À ma montée le chauffeur m’interroge, je comprends qu’il me trouve bien jeune pour le Sahara. Lorsqu’il apprend que je tire déjà 18 mois derrière moi dont 1 an à Ouallen, son attitude et celle du graisseur noir change. Ils vont me tutoyer et me traiter en camarade. Je fais partie de la confrérie dont Ouallen est une des clés. Tout en étant balloté sur mon siège derrière le graisseur je lis un livre acheté à Alger : « Les Humanoïdes » de J. Williamson. Mon goût futur pour la S.F. provient sans doute de ce moment !

    On entre à Adrar la nuit tombée. Les pieds douloureux (chaussures neuves) je traverse l’immense Place Laperrine, passe devant la façade éclairée de l’hôtel Djemila et entre dans la boutique d’un commerçant européen, nommé « LAINE ». Au comptoir, outre un sous off radio que je connais, il y a PATROU déjà passablement éméché. Le Radio m’invite à dîner au Mess et je coucherai dans une chambre du Bordj. Le lendemain je me présente à l’Annexe, au Capitaine FAVERGEAT, Chef d’Annexe et retrouve avec plaisir VALLÉE puis vais à la Météo. Quittant le Bordj par la petite porte je gagne la Place des chameaux pour entrer dans le bâtiment dont j’ignore encore que j’y passerai 3 ans des plus heureuses années de ma vie ! Je suis effondré, en dehors de la poussière, la Météo est vide. Dans les deux pièces-vie, sur une table Artec métallique un tas de courrier supporte la règle à calculer l’humidité en équilibre sous un tas de sable. Plus de baromètre ! Sur la terrasse l’abri est vide (plus tard il sera transféré dehors), plus d’instruments ! Mais le pire, dans la douche PATROU ivre se soulageait, le bas des murs est couvert de m... séchée (le climat est sec !).

    Je retourne au Bordj, vais à la radio pour transmettre mon message d’arrivée. Un jeune Adjudant, nouveau Chef de Poste, m’apprend qu’il dispose de mon lit prêté par PATROU et il me fournit quelques renseignements utiles. Je vais demander au Capitaine VALLÉE de m’accorder l’utilisation d’une chambre d’hôte. J’y vivrai un moment. Elle est propre, coquette, entretenue par un boy. En avant pour récupérer mes outils de travail ! Le Directeur d’école BILIQUEY me rend le Baro et les enregistreurs, le Mess, des tables (je retrouverai la dernière en 1953) et je me rends à l’hôpital. Je fais la connaissance du nouveau Toubib, le Capitaine DELBRU, originaire du Sud-ouest et truculent. Sa femme et lui deviendront des amis. Il me rend mon frigidaire, je remets tout en place et peux par radio annoncer la réouverture de la Station d’Adrar, 60620 ou F.V.P. Qu’est ce qu’il ne fallait pas faire tout de même ! Et je pense que je n’avais que tout juste 21 ans ! L’hôtel Djemila est tenu par un garçon adorable FASSANARO, je m’inscris pour une pension déjeuner-dîner. À l’époque les premiers aventuriers font leur apparition. Une bande de jeunes Lyonnais décident de gagner le Soudan dans un Bedford des surplus. Ils ont peu d’argent et n’avancent que lentement en travaillant ça et là. Ils tombent en panne sur la piste. L’un d’eux reste sur place pour veiller sur le véhicule en attendant la pièce de rechange, les autres, fauchés, débarquent à Adrar. Je propose de les loger, ils vont camper dans les pièces opposées de mon vaste ensemble tout simplement en montant leur tente à… l’intérieur. Je ne leur demande que de me nettoyer les cochonneries de PATROU. Ils auront du mal à tout gratter, mais je quitterai la chambre d’hôte pour loger dans mes meubles enfin récupérés. Mes petits Lyonnais finiront par partir de panne en panne, jusqu'à la dernière à Tabankort où l’un d’eux se suicidera !

    Je menais une vie tranquille : je quittais ma chambre à 5h30, sortais du Bordj par la petite porte coté piscine, église et palmeraie, je rejoignais la Place des Chameaux et entrais dans la grande bâtisse qui allait être celle du Bonheur pendant 3 ans. Obs à 6, 9, 12 et 18 h. À 8 h le Pilot, lancer du ballon de sondage vent. Il y avait des suppléments, au passage des quelques avions des Obs de pression, ou bien des Pilots particuliers, à 20 ou bien 2 heures.

    Je me souviens de l’un d’eux où je m’étais endormi sur la table de dépouillement après l’avoir transmis. Un brave Capitaine âgé m’avait réveillé gentiment « et bien mon petit ? ».
Je devais porter mes messages à la Radio. Plus tard il y eut une ligne de téléphone Météo Radio Hôpital, puis Tour de Contrôle.
L’après-midi j’allais me promener avec des Sous-off amis, HAINAUT, NOBILO, « Bouboule », dans la palmeraie. On sortait du Bordj, passait devant la villa du Chef d’Annexe, contournait la Casbah du Caïd et entrait dans la palmeraie. Que de bons souvenirs s’attachent à ces lieux ! Sous les palmes l’eau gazouillait dans les séguias au sortir des « peignes », il y avait des roses, parfois un enfant passait sur un bourricot, un décor biblique ! À la maison je lisais beaucoup, Caliban, Temps Modernes où j’ai suivi la querelle Sartre. Camus.

    Le 31 Décembre arrive le premier Rallye Alger-Le Cap. C’était l’époque où l’on pouvait traverser l’Afrique sans d’autres problèmes que mécaniques. C’est tout simplement l’ancêtre du Dakar. À la Porte de Béchar autour d’une table pour les contrôleurs, je suis avec les Sous-off à regarder arriver les concurrents. Voitures civiles et militaires couvertes de sable qu’elles soulèvent abondamment. Une voix dit, tiens voilà la nouvelle Institutrice. Je me retourne pour voir BILLIQUEY, un monsieur entre deux âges et une jeune fille très brune un peu affolée, avec une veste grise. Plus tard elle m’a dit avoir demandé qui était celui qui était tête nue, car je portais des vêtements militaires sauf le képi. Oui mes enfants tout a commencé là ! FASSANARO avait connu les DABBÈNE en Kabylie où il avait travaillé pout l’Office des céréales. Il se sentait un peu responsable de Janine. Les clients de passage étaient de nombre variable. Routiers de passage pour Gao, militaires du cru fêtant une nomination, parfois des touristes. On pouvait rester plusieurs jours à n’être que nous deux. Un jour il nous demande si nous étions hostiles à l’idée de manger ensemble pour faciliter le service. Ainsi fut fait. Elle deviendra ma femme pour un long rallye de 50 ans que le cancer viendra interrompre !

    Un mot encore : il fut une époque où Janine et moi avons tenté de renouer les fils de ce beau roman d’où ma recherche de VALLÉE. Sur Minitel on trouva l’adresse de FASSANARO et on l’invita. Il vint de Bordeaux pour nous voir. Hormis la chute des cheveux il était le même, toujours aussi sympa et gentil ! Un moment de profonde amitié. Puis ce fut tout, comment a t-il fini ?

Rallye Alger-Le Cap

 


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Reggan