Reportage de Georges KESSEL
MATCH du 13 juillet 1939


Salut aux couleurs dans le Sahara…
Au lever du soleil, le drapeau est hissé devant le lieutenant du peloton méhariste.

 

Lorsque le général Laperrine décida de créer les compagnies méharistes, le Sahara était loin d’être pacifié. Les rezzous attaquaient les caravanes, menaçaient les oasis. Laperrine comprit que, pour pouvoir rejoindre, châtier ces bandes de pillards, les méharistes devraient imiter leurs méthodes, leur équipement. Il limita le recrutement aux indigènes du désert – guerriers chambas et touareg – aussi résistants, aussi habiles que ceux qu’ils allaient combattre.
Nul n’ignore maintenant les exploits légendaires de ces blancs escadrons, chevaliers du Sahara. Le dernier rezzou qui osa les braver fut anéanti, il y a déjà plus de dix ans. Grâce à eux, la paix française règne sur le désert.
Depuis septembre dernier, leur nombre doublé, ils patrouillent sur les confins de la frontière libyenne. Pour les rejoindre, les envoyés spéciaux de Match ont dû voyager pendant vingt jours dans le Sahara. Pendant une semaine, ils viennent de partager leur existence. C’est la première fois qu’un reportage a été réalisé sur la vie en reconnaissance d’un peloton méhariste.

Seuls au Sahara


Qui saura expliquer la mystérieuse fascination qu’exerce le désert ?
Recherche de la solitude ou refus de la civilisation…

Une compagnie méhariste est composée de trois ou quatre pelotons d’environ quatre-vingts hommes chacun. Un capitaine la commande, du bordj qu’il occupe avec la position centrale. Le bordj : une cour entourée de quatre murs épais dans lesquels des alvéoles ont été aménagés en bureaux, en magasins de vivres et de munitions, en dortoirs. Au milieu de la cour, un puits. Autour des murs, soit l’erg (désert de sable), soit le reg (désert de pierres), soit le djebel (désert rocheux). Au-dessus du bordj, deux pylônes de fer. La radio est le seul lien vivant qui rattache le fort à la lointaine oasis où réside l’État-major des Territoires du Sud. Ravitaillement et courrier arrivent quand ils peuvent, surtout en été : 50 à 55 degrés à l’ombre.
À la tête de chaque peloton, un lieutenant et un sous-officier français. Patrouillant en hiver, conduisant en été leurs chameaux au pâturage, souvent à des centaines de kilomètres du bordj, il se passe parfois deux ans avant que ces hommes et leurs méharistes ne soient relevés. Tous les mois, une caravane part les ravitailler : thé, sucre, farine, riz, tabac, quelques conserves. Chacun d’eux reçoit cinq litres de vin avec ses vivres. Les méharistes portent tout leur équipement sous leur selle, la rahla, ou accroché à elle. Chefs et hommes ne doivent compter que sur eux pour trouver de l’eau et les puits sur lesquels ils comptent sont souvent taris. Les pelotons méharistes les plus importants parmi ceux qui subsistent depuis la motorisation de l’armée coloniale sont ceux de Fort Flatters, de Fort Polignac, de Djanet, au Sud Algérien, d’Adrar à l’ouest du Sahara. Ce reportage a été fait avec les méharistes de Fort Flatters.


Au bordj. Le maniement des armes est enseigné
aux recrues avant de les affecter à un peloton.


Devant son frugal souper, sous la tente qui abrite son sommaire bagage,
l’officier solitaire rêve en écoutant son phono.

Au bordj. Le lieutenant adjoint examine un méhari qu’un marchand de chameaux lui propose.
Au bordj. Le capitaine commandant la compagnie reçoit un radio. Des courriers sont prêts à partir.
Au bordj. Sous la pankha, le capitaine rend la justice. Cette femme adultère devra divorcer.

 

Le peloton disparaît sur la piste du Sud

Un peloton va quitter le bordj de Fort Flatters pour un long raid d’inspection et de surveillance. Chaque homme a vérifié son équipement. Le lieutenant a passé l’inspection des méhara, constaté que les guerbas ne fuyaient pas. La guerba, outre en peau de chèvre calfatée au beurre rance ou au goudron, est l’antique et seul moyen de transporter l’eau au Sahara… Les hommes en grande tenue, le peloton s’ébranle, se dirige vers les dunes, s’amenuise, disparaît, pour des mois…

 

Le sable, rien que le sable pendant soixante jours

Après la dure étape de la journée, le lieutenant a repéré un lieu favorable pour camper : quelques touffes d’herbe pour les chameaux. Des sentinelles sont postées.
Ayant invité deux femmes d’un campement nomade proche, les Touareg du peloton organisent leur réjouissance préférée, le tobol, sorte de cour d’amour.
La prison du peloton, c’est le centre du camp. L’homme puni, isolé, est ainsi privé de boire du thé et de bavarder. Il se console en jouant de la flûte.
Dans la nuit, des messagers arrivent. À marches forcées ils ont rejoint le peloton et apportent au lieutenant des ordres nouveaux, transmis par radio au capitaine.
Le lieutenant a remis deux cartouches au meilleur chasseur du peloton. Le voila de retour, ayant tué deux gazelles.

 

Un méhariste envoyé, en reconnaissance, n’est pas revenu,
perdu dans l’enfer du Tanezrouft, il va mourir de soif

Ossements blanchis, vision du
cauchemar saharien : la soif
Banale tragédie : un méhariste
s’est égaré vers un puits comblé
Il agonisera lentement, le corps
séché par le soleil de feu
La patrouille partie à sa recherche
interroge des nomades
À la nuit, un des sauveteurs tire
au mousqueton, écoute au sol
Par miracle, la patrouille relève
les traces chancelantes du disparu
L’homme respire encore, on l’asperge doucement d’eau, puis il boira
Attaché sur un méhari, il est ramené, inconscient, vers le camp

Deux pelotons se rencontrent à la frontière Sahara - Libye


Deux pelotons méharistes offrent une liaison près de la ligne frontière théorique qui sépare le Sahara de la Libye. Le peloton arrivé le premier a mis pied à terre et présente les armes aux méharistes qui le rejoignent

Dès que la parade est terminée, aussi bien les sous officiers…
que les hommes, qui retrouvent des frères, des cousins…
Deux lieutenants fêtent joyeusement leur rencontre

Héros anonymes de la défense de l’empire, ils gardent le désert

Tous volontaires : ce targui bleu…
… ce lieutenant sorti de Saint-Cyr…
… ce guerrier chamba…
… et ce brigadier de Belleville…