LA RÉALITÉ DU POINT CRASH

par Alain BROCHARD




Photo de John STAINTON - Novembre 1975

 

Entre fiction, imaginaire, affabulation et réalité, beaucoup ont cherché, certains ont dit…

Il nous fallut pourtant un énorme travail d’études, de discussions, d’échanges de courrier et autres courriels pour arriver à nos fins !

Sans oublier tous les participants du 3ème GT., je voudrais remercier ici plus particulièrement François MOPPERT, Pierre OTT, Maurice PATISSIER, Victor JACOPS, Louis MASCLET, Jean-Jacques DEPETRIS, Eugène BOSIO, Graham POWELL, John STAINTON et bien évidemment le Docteur Mahammed MAHBOUBI, Cheikh MAAMERI et toute l’équipe des chercheurs Sahariens.

Ces derniers n’hésitèrent aucunement à courir le risque de revenir à plusieurs reprises à l’endroit même où Bill rendit son dernier soupir.

Ce papier reprend en synthèse, l’ensemble des éléments collectés sur ces recherches qui se sont concrétisées pour le groupe à partir de juin 2012.


Avril 1933, le Capitaine LANCASTER vient de s’écraser dans les territoires du Sud Algérien. Le TANEZROUFT où il est tombé est le désert des déserts, celui dont on ne revient pas. Malgré tout, de nombreuses caravanes le traversent encore entre les mois d’octobre et d’avril, une période plus propice quand le soleil est moins ardent. Beaucoup de vies se perdirent dans cet abominable désert, à une époque où les moyens de circuler en étaient à leur balbutiement et que le dromadaire restait encore le plus sûr, pour parcourir ces immenses étendues.

Comme le souligne le Dr Mahboubi dans ses courriers, je ne serai pas sans rappeler l’immense travail de prospection de Théodore MONOD qui dans les années 30 se permettait de traverser à pied ces territoires. Lire ou relire Théodore MONOD alors que nous étions en pleine expectative quant à la recherche du point crash, nous ramenait directement à ces années alors que MONOD passait tout près de l’endroit où Bill reposait !


Document : Google Earth illustré par Mahammed Mahboubi
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Mais commençons par le début :

Bill se « plante » dans la soirée du 12 avril 1933 dans le Tanezrouft. Le 13 avril au matin, il évalue alors son point de chute à 20 Miles à l’Ouest de la Grande piste Transsaharienne.

20 Miles c’est un peu plus de 32 Km selon la conversion métrique. Sur son Log book il fait un petit dessin pour situer précisément cet endroit. En réalité Bill se trompe, il est réellement tombé à environ 70 Km de la Grande piste !



Copie partiel du Log book du Capitaine W N LANCASTER

Sur le dessin ci-dessus nous observons que Bill pense se trouver également à 160 Miles de Reggane soit environ 257 Km.

En février 1936, nous savons que Théodore MONOD passera à environ 10 Km au Nord de l’endroit où le Southern Cross Minor s’est crashé, mais la carcasse de l’avion est plaquée au sol et MONOD ne l’apercevra pas. Bill repose à côté des restes de la structure de son avion et il faudra attendre bien des années pour que la presse se saisisse à nouveau de l’histoire du Capitaine Lancaster perdu corps et biens, oublié de tous.

Février 1962, tout à fait par hasard, l’Adjudant Titus Polidori commandant un peloton du Groupe Saharien Mixte du Touat, retrouve l’épave du SCM et découvre la dépouille de Bill ensablée. Jusqu’à juin 1962 le point « Lancaster » sera visité autant que se peut. La plupart de ceux qui se dirigent vers Bordj Pérez feront un détour par le Point Lancaster !

Un raid de survie y est même programmé, Pierre Ott dans le cadre de la Gendarmerie participera lui-même pour guider aux préparatifs de cet entraînement organisé par l’Armée de l’Air.

Bref de nombreux visiteurs sont passés par l’endroit, puis en 1969 Ralph Barker rédige « Verdict on a Lost Flyer », le seul livre à mon avis digne de foi, véritable témoignage de cette histoire rocambolesque ! L’oubli reprend le dessus jusqu’en 1975 lorsque Wylton Dickson décide d’aller récupérer la carcasse du Southern Cross Minor. La recherche puis la récupération des restes de l’avion sera une véritable saga à la hauteur de l’évènement !

La presse fera encore écho du crash de Lancaster alors que les restes de l’avion de Bill sont ramenés en Angleterre puis transportés en Australie où ils seront exposés pendant de nombreuses années au Queensland Museum.

Puis Bill repasse à nouveau dans l’anonymat, pourtant à partir de 2005, livres et films feront leur apparition traitant le sujet sous forme romancée, sans doute décalé de la réalité des faits ! Mais témoignant malgré tout de la destinée de celui qui s’accrocha à la vie pendant huit jours au Tanezrouft, avant de succomber !

En 2009, je postais sur le site du 3ème GT : http://www.3emegroupedetransport.com/

Un papillon dans le désert

Le site de Michel Fernez me permettait de reprendre l’histoire sur la base de témoignages certains et de rechercher la vérité entre les différents écrits et ce qui avait pu être raconté ou écrit sur le sujet ! Les différents documents concernant l’ensemble des recherches sont sur le lien qui suit :

http://www.3emegroupedetransport.com/WilliamNewtonLANCASTER.htm

De son côté, le Docteur Mahammed Mahboubi avait eu à connaître l’histoire de l’aviateur anglais perdu dans le Tanezrouft par l’intermédiaire d’un de ses guides, alors qu’il effectuait des recherches sur la géologie du Sahara. Lorsque Mahammed découvrit le récit que j’avais pu faire de cette histoire, il me contacta aussitôt.

S’ensuivit ensuite quatre expéditions pour retrouver l’exact point crash. J’ai repris aussi bien que possible dans le document dont le lien suit, ce que furent les quatre raids de Mahammed et de son équipe, s’appliquant de façon scientifique à rechercher l’impossible.

De l'infini Tanezrouft au lointain horizon

Certaines paroles de la « Quête » de Jacques BREL reflètent à mon sens, totalement l’état d’esprit de Mahammed tentant de se rapprocher de l’endroit où le Capitaine Lancaster s’éteignit ! Mahammed a su s’entourer d’un groupe d’une motivation hors du commun, d’une équipe où chacun s’est inscrit au mieux pour apporter sa quote-part. Le résultat est à la hauteur de leur réussite et quand bien même resterait-il quelques incertitudes… Ces derniers ont pu observer de leurs propres yeux, l’horizon alentour que contempla Bill en avril 1933 alors que ce dernier pensait en réchapper !!!

Je reprends ici quelques paroles de la QUÊTE de Jacques BREL, « Don QUICHOTTE » des temps modernes :

Rêver un impossible rêve… Partir où personne ne part… Tenter, sans force et sans armure.
D’atteindre l’inaccessible étoile… Telle est ma quête… Suivre l’étoile.
Peu m’importent mes chances… Peu m’importe le temps… Ou ma désespérance.
Et puis lutter toujours… Sans questions ni repos… Pour atteindre à s’en écarteler.
Pour atteindre l’inaccessible étoile !


Le quatrième raid s’inscrivait dans une grande mission, nos voyageurs du désert n’hésitant aucunement à traverser de Nord en Sud, puis d’Ouest en Est ces régions difficiles d’accès à la recherche d’un passé lointain et pourtant combien proche de nous.

Mahammed nous raconte dans le document qui suit quels furent les moments forts de ce dernier raid.

 

Récit du quatrième raid au Tanezrouft
Décembre 2015

Nous avons reçu un coup de fil le dimanche 13 décembre vers 16h 30 nous annonçant la bonne nouvelle…

Enfin nous venons d’obtenir l’autorisation de pouvoir circuler dans le Tanezrouft. Il faut se rendre à Adrar pour le 16 décembre à 8 heures du matin c’est-à-dire dans les 48 heures. Heureusement les préparatifs ont été déjà entamés. Le grand départ est donné depuis Oran le 14 décembre au matin pour rejoindre mon équipe à El Bayadh. En fin d’après-midi tout est prêt et nous discutons quant à notre champ d’action sur le terrain pour la recherche du point de crash de Lancaster. Pendant que nous discutions le téléphone sonne : c’est Alain qui nous rejoint pour nous adresser un message d’Amitié et d’encouragement pour cette mission. Le 15 décembre vers 3h du matin nous quittons El Bayadh dans un froid polaire et nous abordons la route du Sud. Au petit matin nous nous arrêtons pour prendre un thé à proximité de l’Oued El Gharbi… Les premiers rayons solaires éclairent ce grand cours d’eau mythique qui a vu passer tant d’hommes et tant de sable. Les premières dunes de sable sont déjà là. Nous rejoignons Adrar, en pleine forme, vers 18 h, après 15h d’un trajet soutenu. Nous passons la nuit à Fenoughine, à 30 km au Sud d’Adrar.

Le 16 décembre au matin, nous réglons rapidement les démarches administratives et nous réparons une crevaison. Vers 10h nous reprenons la route vers Reggane où nous arrivons vers 12h. Après avoir réglé d’autres démarches administratives, nous sommes enfin prêts à affronter le Tanezrouft vers 14h. Un vent léger souffle …. Au fur et à mesure que nous nous enfonçons dans le Tanezrouft le vent devient de plus en plus fort. Par moment la poussière se lève et la visibilité devient faible.

Vers 18h nous apercevons de loin les campements du Pk 200 où nous devrons passer la nuit. La nuit du 16 au 17 décembre fût très longue et très froide, un vent très fort n’a pas cessé de souffler.

Il était impossible de fermer l’œil de la nuit. Vers 4h du matin le vent commença à se calmer puis soudainement, à travers la vitre, je voyais les étoiles qui brillaient comme si le Tanezrouft devenait enfin généreux. Hadj sautant de son lit, ouvre la porte en m’annonçant que la tempête était passée. Une belle journée du jeudi 17 décembre s’annonce malgré une fraicheur matinale. Nous prenons notre thé de bonne heure et vers 7h 45 tout le monde est prêt pour prendre le chemin qui nous mènera vers le point de crash. À partir de l’endroit de notre campement nous visons le point P4 (ou point lézard) qui se trouve à une centaine de km. Nous avalons ces kilomètres en 1h 45mn. En principe nous nous trouvons à ce moment sur les lieux du crash de Lancaster. Nous élaborons un plan de recherche que nous devrons exécuter en cinq étapes qui sont comme suit :


Étape 1 : Nous rendre sur le point PR’ qui se trouve seulement à 3 km du point P4 (carte en PJ).



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Pour rappel, le point PR’ c’est l’endroit où nous avons trouvé une petite pièce métallique (rivet) appartenant à l’avion échoué de Lancaster. Nous avions inspecté l’endroit (sur un rayon de 100 m environ) car nous avions émis l’hypothèse que le rivet avait pu se détacher de l’appareil et se projeter plus loin lorsque l’appareil toucha le sol. Nous avons découvert à cet endroit deux traces de pneu : une qui arrivait et l’autre qui repartait direction plein Nord vers le point MM. C’étaient les traces laissées par le véhicule de Cheikh le 25 mars 2013 alors qu’un membre de la mission (Dahmane) récupérait le rivet. Nous avions terminé la prospection de cette zone aux environs de 11h du matin.

Étape 2 : Nous nous sommes scindés en deux groupes. Chaque groupe devrait suivre un des deux itinéraires supposés que les capots avaient accompli (de par le vent), lorsque ces derniers se détachèrent de la carcasse de l’avion. En principe le rivet s’était détaché de l’un des deux capots. Cheikh et Mustapha (équipe 2) avaient pour tâche de suivre l’itinéraire PR’-t1 (grand capot) sur 470 m environ. L’autre équipe (équipe 1 : Mahammed et Hadj) avait pour mission de suivre l’itinéraire PR’-t2 (petit capot) sur 2.35 km environ.

Ce dernier itinéraire Ouest-Est nous a conduit jusqu’au rectangle ABCD. La prospection se faisant à pied ou en voiture à vitesse réduite.

Étape 3 : Consiste à explorer le grand rectangle ABCD qui fait 3.2 km de longueur sur 1.3 km de largeur. Ce secteur, à prospecter, est balisé par 28 mesures GPS (14 de chaque côté). Au début de l’après-midi, et après la prospection des alentours du point t2, l’équipe1 se dirigea vers le point A.

De passage par le point B (carte en PJ), cette zone qui renfermait 3 ou 4 dépressions a été minutieusement fouillée. Un quadrillage élaboré (13 bandes de 3200 m sur 100m chacune) sur la carte facilitera la recherche avec l’aide du GPS. Vers 14h a commencé le ratissage du grand secteur ABCD. Point de départ le point A, se diriger plein Sud vers le point B puis changer de bande et se décaler latéralement sur le point 1 et se déplacer plein Nord pour rejoindre le point 2. Donc il faut 14 aller-retour pour balayer tout le secteur c’est-à-dire parcourir 44.8 km (3.2 km X 14 = 44.8 km).

L’équipe 1 avait entamé ce travail tandis que l’autre équipe prospectait à pied la zone qui se trouvait entre les points t1 et B. En fin de l’après-midi, un talus de sable surmonté par une bouteille en verre est découvert dans la partie Sud de ce secteur.

L’équipe 2 nous rejoignait, et après discussion nous avons convenu qu’elle continuerait les recherches dans la deuxième moitié du grand secteur ABCD. Il était aux environs de 16h, la journée est courte et nous devons regagner le PK 400 pour passer la nuit. Nous avons donc 117 km à faire. Dans ce nouvel itinéraire, la monotonie du paysage du Tanezrouft est toujours là mais nous croisons de temps à autre des dunes de sables isolées ce qui donne au paysage un plus bel aspect. Le lendemain matin (vendredi 18 décembre) nous reprenons le chemin au lever du soleil. Vers 10 h nous étions déjà sur le lieu du crash. Nous sommes revenus très rapidement sur le tas de sable. Nous avons enfoncé la bouteille en verre pour qu’elle ne soit plus visible ! Nous devrons terminer notre prospection du rectangle ABCD avant midi pour passer à l’étape suivante dans le cas le lieu du crash serait ailleurs.

Étape 4 : Se diriger 3.7 km à l’Ouest du rectangle ABCD pour réaliser un itinéraire nord-sud de 5 km. Le but est de recouper les vieilles traces de roulage laissées par les véhicules de Polidori en février 1962 (carte en PJ). Nous sommes encore passés par le point rivet (PR’) où nous sommes restés près d’une demi-heure. Une fois sur le lieu, l’équipe 1 prend le départ depuis le point W pour se diriger plein Sud vers le point X. L’équipe a pris le départ du point X pour se diriger vers le point W.

Nous rappelons que le point W se trouve sur le prolongement de l’itinéraire théorique de Polidori. Plusieurs traces de pneus ou pistes partaient dans tous les sens. Nous avons suivi deux ou trois d’entre elles mais rapidement ces dernières changeaient rapidement de direction.

Étape 5 : Nous avons rebroussé chemin pour aller vers le point B qui se trouvait dans une dépression au Nord du secteur ABCD. Nous avons laissé un message pour Bill que nous avons mis dans une bouteille en verre. Le point de crash devrait être forcément à 1 ou 2 km à la ronde. Nous avons choisi cette zone car elle nous paraissait la plus favorable où le crash a eu lieu et où Bill a passé quelques jours avant de rejoindre l’au-delà le 20 avril 1933 après avoir combattu comme un héros pour défier le Tanezrouft.

Vers 16h 30 le retour est annoncé après avoir exécuté efficacement toutes les démarches programmées pour retrouver le point de crash. Nous avons jeté un dernier coup d’œil sur ces lieux avec beaucoup d’amertume mais beaucoup d’espoir de retrouver un jour ce point de crash que le Tanezrouft voudrait garder pour lui. Sur le chemin de retour nous avons croisé des points verdoyants, sa majesté le Tanezrouft a connu une belle saison.


Photo : Mahammed Mahboubi - Végétation dans le Tanezrouft

Le lendemain le grand retour est donné mais nous devons passer par Ouallen pour terminer un autre travail que nous avions entrepris il y a deux ans. Nous passons la nuit au Pk 200. Le samedi 19 décembre nous rejoignons Reggane à la mi-journée. Concernant notre le voyage, nous avons encore un millier de kilomètres à avaler pour traverser d’Ouest en Est une partie du Sahara pour rejoindre la région d’In Amenas où un travail important nous attendait.

Mahammed Mahboubi

Comme nous pouvons le constater Mahammed n’est pas vraiment satisfait du travail accompli ! Je pense pourtant que le maximum a été fait dans cette « quête » de l’impossible.

Sans doute le Tanezrouft lèvera-t-il le voile à un certain moment sur les objets restés ici, ils seront sans doute ramassés par le voyageur de passage comme le fut il y a quelques années le « Papillon en contre-plaqué » de Jean-Jacques !

Mahammed reviendra-t-il à cet endroit pour refermer définitivement la page de cette recherche ? Seul l’avenir pourra nous le dire…

Alain BROCHARD - Juillet 2016

L’ensemble des illustrations de ce texte se retrouvent dans les liens ci-après :
• Les missions de Mahammed MAHBOUBI et de son équipe sur les traces de Bill LANCASTER
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