LA MÉDECINE D’EXPÉDITION

La survie en milieu
désertique

Le docteur Xavier MANIGUET est spécialiste de biologie et médecine du sport, de médecine tropicale, de médecine aéronautique, de médecine de la plongée, de médecine maritime. Il est aussi pilote professionnel, instructeur, parachutiste, plongeur, adepte de tous les sports et a bourlingué sur tous les continents. Il était donc tout désigné pour prendre en charge la rubrique médicale de notre magazine, une rubrique à la fois scientifique et « musclée », à l’image de l’ouvrage de référence sur la survie qu’il vient de signer chez Albin Michel, préfacé par Pierre Schoendorfer : « SURVIVRE », 500 pages d’explications techniques, de récits passionnants, de recettes indispensables.

     La survie est la prolongation, pour une durée plus ou moins longue, du temps qui nous sépare de la mort lorsque nous sommes confrontés à des conditions d’environnement particulièrement pénibles. La compréhension des mécanismes physiologiques mis en branle lors de ces circonstances exceptionnelles est la condition indispensable pour une prolongation active et efficace de la survie.
      Comment doubler son temps de survie en buvant de l’eau de mer ou de l’urine, comment échapper au mal des hautes montagnes, comment doubler son temps d’apnée, comment résister aux agressions du monde animal, comment surmonter les stress les plus divers, notre rubrique répondra à toutes ces questions, ainsi qu’à toutes celles que vous nous proposerez.
      Nous commençons dans ce premier numéro par un sujet de circonstance à l’occasion du Paris-Dakar, la survie en milieu désertique.

L'ADAPTATION DE L'HOMME À LA CHALEUR :

     Le travail de l’organisme pour conserver sa température interne à 37° C commence pour un homme légèrement habillé, dès 25° C.

1) La vasodilatation cutanée :
      En atmosphère chaude, par phénomène réflexe, il y a augmentation du diamètre des vaisseaux cutanés. Ceci se traduit par l’afflux d’un grand volume de sang à la périphérie de l’organisme (d’où la rougeur cutanée). L’organisme fonctionne alors comme un radiateur, le sang venant se refroidir en surface, par conduction et radiation au contact du milieu ambiant. Ce mécanisme est d’autant plus efficace que la température du milieu sera plus éloignée de 37° C, circonstance très fréquente dans le désert, c’est alors la sudation qui assure la régulation thermique.

2) La sudation :
     À partir de 33° C, le maintien de la température corporelle ne se fait pratiquement plus que par la sudation. La sueur est secrétée par 2 à 5 millions (selon les sujets) de glandes sudoripares, sous la dépendance nerveuse de l’hypothalamus. Réparties sur toute la surface cutanée à l’exception des lèvres, des ongles et des organes génitaux, elles sécrètent un liquide composé de 99% d’eau. L’évaporation de chaque goutte de sueur provoque un refroidissement local de 0,60 Kilocalorie. L’efficacité de la sudation sera donc proportionnelle à cette capacité d’évaporation, dépendant elle-même de la ventilation cutanée, et de l’humidité relative de l’atmosphère.
      Dans les déserts continentaux (Sahara, désert de Gobi, etc.) l’humidité relative est faible, et l’évaporation se fait bien. Dans certains déserts voisins de masses océaniques (Golfe Persique par exemple), l’humidité peut atteindre 90%, et la sueur s’évapore alors très mal dans cette atmosphère déjà saturée. La température corporelle augmente encore, et donc la sudation. C’est un cercle vicieux, très coûteux en eau. La déshydratation dans les déserts humides est beaucoup plus rapide, et il faudra donc emmener d’autant plus d’eau.
      La sudation démarre au niveau des membres inférieurs, pour intéresser ensuite le tronc, puis finalement les membres supérieurs et la tête. Chaque glande sudorale est mise en jeu de façon cyclique, ce qui donne le temps à la sueur de s’évaporer.
      Dans des conditions extrêmes de chaleur, plus de 50% de la sueur est éliminée par la peau du front et de la tête. Les conséquences pratiques de cette observation physiologique sont immédiates : la tête doit toujours être ventilée, tout en étant à l’abri de l’insolation directe : les coiffes doivent être de couleur claire, et non hermétiques (type chapeau colonial, légionnaire, chèche…).
      Pour les mêmes raisons visant à faciliter l’évaporation, il faudra marcher exposé à la brise, et non dans les creux de dunes où la température est plus élevée et le vent moins fort.

L’ACCLIMATEMENT À LA CHALEUR
      Pour les raisons physiologiques impossibles à développer dans ce court exposé, l’acclimatement spontané est complet au bout de 12 à 14 jours, avec notamment une stabilisation de la sudation (volume augmenté jusqu’à 100%, et teneur en sels fortement diminuée). Il est donc idéal d’arriver dans un pays chaud une dizaine de jours avant d’affronter le désert.
     À côté de ce facteur d’acclimatement que nous qualifierons de « passif », peut s’ajouter un entraînement actif sous forme d’exercice physique, jogging en particulier.
     L’exercice physique en endurance, surtout s’il se pratique en atmosphère chaude, a pour effet de provoquer une véritable « gymnastique vasculaire », encore plus intense que celle que l’on observe par très forte chaleur.

     Qui peut le plus peut le moins…
     L’entraînement par le « sauna Finlandais » est certainement mieux que rien, mais son caractère passif me fait préférer de loin l’exercice physique.

POUR MIEUX SURVIVRE DANS LE DÉSERT AVEC PEU OU PAS D’EAU

     La plupart des préventions visent à diminuer la déshydratation :
– Tout effort diurne doit être supprimé : La chaleur endogène produite par le moindre effort musculaire viendra s’ajouter à la chaleur solaire, risquant de faire basculer une régulation déjà surmenée, et diminuant de toute façon considérablement votre durée de survie.
– L’irradiation solaire directe doit être évitée au maximum, car intervenant pour 70% dans l’apport de chateur exogène. L’idéal est à cet égard le trou dans le sable, mieux que le parasol, car éliminant le rayonnement indirect dû au pouvoir réfléchissant (albédo) du sable.
     Pour ces deux raisons, on marche de nuit seulement. L’orientation n’en sera que rarement perturbée, les étoiles étant visibles dans la très grande majorité des cas.
– À partir de 40° C à l’ombre, il faut éviter l’exposition au vent et rester couvert. À partir de cette température en effet, le vent ne rafraîchit plus, mais augmente l’apport de chaleur exogène.
– Une même quantité d’eau doit être bue en plusieurs prises et non en une seule fois. Boire un peu toutes les heures est le seul moyen de voir l’organisme utiliser 90 à 95% de l’eau bue. Dans le cas contraire, 25 à 50% de l’eau ingérée est éliminée en pure perte dans les urines.
– On s’abstiendra de' toute prise de sel et de toute alimentation si on ne dispose pas d’eau en quantité suffisante. Sans entrer dans les détails des échanges hydroélectrolytiques, disons simplement que l’absorption de sel s’accompagne obligatoirement d’une très grande consommation d’eau. Si on absorbe du sel sans boire, l’eau nécessaire sera puisée sur les réserves déjà très appauvries de l’organisme.
– On n’hésitera pas à boire ses urines, dès leur émission afin d’éviter une dégradation chimique, et tant qu’elles ne sont pas trop foncées.
      Si on est obligé de marcher de jour, on se fixera le cap et la distance du lieu à rejoindre. La distance ne devra pas excéder 15 à 20 kms, à franchir en 3 à 4 heures maximum. On sera vêtu de vêtements clairs et amples, tête et nuque protégées. On portera des lunettes ou toute autre protection oculaire de fortune. Si on ne dispose pas de chaussures spéciales, on évitera au sable et aux poux de sable de pénétrer, en laçant une housse quelconque autour de la cheville. Il faut savoir que le sable pénétrant dans les chaussures pendant une longue marche va se coller sur une peau humide de sueur, se transformant en véritable abrasif à chaque pas. Les pieds doivent être aérés et séchés à chaque arrêt.
     Il existe beaucoup d’autres recettes basées notamment sur le gradient vertical de température au-dessus et au-dessous de la surface du sol désertique, elles feront l’objet d’une étude particulière.

Source: Survie Magazine
Janvier/Février 88

 

Document transmis par Maurice PATISSIER

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