Le martyrologe
des explorateurs
Sur les vieilles cartes, l’emplacement du Sahara est vide. Ce n’est qu’au XIXe siècle que les premiers Européens se lancent à l’assaut de cet océan de dunes. Mais le désert tardera à livrer tous ses secrets.Une géographie mystérieuse
En 1707, date de cette carte d’Afrique, le Sahara fait partie des terres inconnues.
C’est à la fin du siècle que les explorateurs s’y aventureront.Au XVIIIe siècle, les cartes du Sahara sont vides ; les seules mentions parvenues aux cartographes datent des savants ou des historiens de la Grèce antique (Ptolémée et Hérodote) et de quelques voyageurs arabes de l’époque médiévale (Ibn Battuta et Léon l’Africain). Si l’Asie et l’Amérique sont déjà largement connues, le continent africain, en revanche, demeure mystérieux. Durant trois siècles, les Européens n’ont eu qu’un objectif : organiser la traite des Noirs à partir des côtes. L’exploration de l’intérieur de l’Afrique ne semble intéresser ni les négriers ni les quelques aventuriers qui vivent sur le littoral. Ce n’est qu’au siècle des Lumières qu’apparaît, sous l’impulsion des philosophes et de la bourgeoisie éclairée, une nouvelle vision du monde.
En 1788, deux associations, naissent en Angleterre, la Société des amis des Noirs, qui exige l’arrêt de la traite; puis l’African Association, fondée dans le but d’explorer l’intérieur de l’Afrique. Son premier projet est de découvrir l’immense région située à la lisière sud du Sahara et appelée par les Arabes le Bled el Soudan. Depuis l’époque médiévale, de nombreux récits décrivent cette région comme immensément riche en or. Un mythe se forge, prenant le nom d’une ville qu’on imagine gorgée de trésors : Tombouctou. Ce que l’Europe ignore c’est que ces empires, tel le Ghana ou le Mali, sont depuis plusieurs siècles en déclin, que leurs richesses ont disparu. Mais rien n’arrêtera les explorateurs...
Conciliabule pour une reddition sans espoir
Longtemps conciliants, les Touareg, dès les dernières années du XIXe siècle,
ne sont plus dupes des intentions politiques françaises.
S’ensuit une longue guerre dite de pacification qui aboutit dans un premier temps à la reddition
de l’oasis d’ln Salah. Puis, en 1905, à la soumission ici représentée des Touareg du Hoggar.
Un fils de bagnard découvre TripoliEn 1790, le major Houghon quitte la Gambie en direction de Tombouctou, et disparaît à jamais dans la brousse. Quatre ans plus tard, un médecin écossais, Mungo Park, récidive et découvre le fleuve Niger qu’il décrit comme aussi large que la Tamise. Lorsqu’il s’élance pour une seconde expédition, cette fois jusqu’à Tombouctou, il ne sait pas que ce fleuve qui l’a rendu célèbre va devenir son tombeau : surpris par une embuscade, Mungo Park meurt noyé à Bussa. En 1798, c’est par le nord qu’un jeune Allemand, Friedrich Hornemann, traverse pour la première fois le Sahara. Parti du Caire habillé en Arabe, il atteint l’oasis de Mourzouk, au Fezzan, avant de transmettre son dernier rapport à l’African Association ; il disparaît aussi au cœur de cette Afrique qui demeure désespérément mystérieuse. Enfin, un groupe de trois explorateurs réussit à atteindre le Soudan : Denharn, Clapperton et Oudney (ce dernier succombera malheureusement en cours de route). Ils ont quitté Tripoli en 1822 et, après avoir traversé le Kaouar et le Ténéré par la triste et célèbre route des esclaves, ils parviennent le 4 février 1823 sur la rive du lac Tchad.
L’exploration, à cette époque, est un véritable apostolat et chaque découvreur sait qu’il peut à tout instant devoir faire don de sa vie. Malgré la liste des disparus qui ne cesse de s’allonger, l’African Association considère son action comme positive. D’autant que les volontaires ne manquent pas. En 1825, le major Gordon Laing, âgé de 32 ans, quitte Tripoli en direction de Tombouctou, et accompagné d’une modeste caravane. Après sept jours de marche, il entre dans l’oasis d’ln Salah. Attaqué par les Touareg, il reçoit vingt-quatre coups de sabre. Mais il ne renonce pas pour autant à son projet, et atteint Tombouctou le 13 août 1826, soit treize mois après son départ de Tripoli. Premier Européen à découvrir la ville mythique, il ne pourra jamais la décrire : il est assassiné sur le chemin du retour.
La gloire de cette découverte reviendra deux ans plus tard à un jeune Français, fils de bagnard, René Caillié. Voyageur solitaire, sans appui ni argent, se faisant passer pour un Arabe, il parviendra à son but, le 20 avril 1828. Atteint du scorbut, moralement et physiquement épuisé, Caillié se joint à une caravane pour le Maroc où, sans cesse, il craint d’être reconnu : ce qui serait pour lui un arrêt de mort immédiat. Après cette épouvantable traversée du Sahara en plein été, il sera acclamé en France. Mais sa déception reste grande : Tombouctou n’est pas la ville ruisselante d’or imaginée, seulement un bourg fort misérable.
Le voyageur René Caillié, costumé en Arabe.En 1849, les Britanniques forment une nouvelle expédition au départ de Tripoli et composée de Richardson, Overweg et du jeune scientifique Heinrich Barth qui sera le seul à en revenir. Après avoir découvert le massif de l’Aïr, qu’il surnomme la Suisse saharienne, tant la maigre végétation lui paraît luxuriante par contraste avec le désert, Barth décide de continuer seul en direction de Tombouctou, malgré la disparition de ses deux compagnons. Ayant parcouru 16 000 kilomètres, il revient victorieux à Tripoli en 1855, confirmant l’authenticité de la découverte de René Caillié. Barth rapporte avec lui des milliers de notes sur la faune, la flore, l’histoire des hommes.
Durant la première moitié du XIXe siècle, l’exploration vise les régions situées au sud du grand désert ; le Sahara, lui, n’est qu’un trait d’union qu’il faut franchir le plus rapidement possible. Dès 1830, l’arrivée des Français en Algérie, prélude à la conquête du Maghreb, fait suite à cette phase d’exploration. La colonisation du Sahara s’amorce inexorablement. Un jeune explorateur de 19 ans, Henri Duveyrier, va pénétrer au cœur du tassili des Ajjer. Après trois années passées au contact des Touareg, avec lesquels il crée de vrais liens d’amitié, il écrira « Les Touareg du Nord » (1864).Le rêve fou du Transsaharien
La France souhaitant relier ses colonies du nord de l’Algérie à celles du Soudan, ses ingénieurs entreprennent une étude insensée sur la possibilité de créer un chemin de fer nord- sud. En 1881, la mission Flatters se fait massacrer en pays targui, lors d’une reconnaissance en vue d’établir un tracé pour la voie ferrée. Les Touareg, jusque-là plutôt conciliants avec les explorateurs isolés, ne sont plus dupes des intentions politiques de la France. En 1890, la convention franco-britannique partageant l’Afrique entre les deux grandes puissances donne à la France autorité sur le Sahara. La pacification, comme on l’appelle alors, peut commencer.
Neuf ans plus tard, l’oasis d’ln Salah tombe. Après un violent combat à Tit, au nord du Hoggar, le premier bastion targui s’effondre. La même année, sous l’impulsion du général Laperrine, une force militaire française adaptée au désert, les Compagnies méharistes, est créée. Pendant plus de trente ans, les combats ne cesseront pas. Pourtant, le Sahara vaincu (mais jamais totalement pacifié) garde encore ses deux plus grands secrets...
Un géologue de génie, le Français Conrad Kilian, révélera le premier en prouvant que le Sahara est gorgé de pétrole. On doit la découverte du second au jeune lieutenant Brenans, un méhariste en poste à Djanet, au cœur du tassili des Ajjer. En 1932, au cours d’une randonnée, l’officier trouve par hasard un sanctuaire de la préhistoire au fond d’une falaise tassilienne nommée oued Djaret. Des milliers de gravures et de peintures rupestres, connues seulement des Touareg, s’étalent à même le sol :’ c’est le plus grand musée à ciel ouvert du monde. À partir de 1955, Henri Lhote et son équipe feront connaître la majeure partie de ce trésor d’un Sahara autrefois humide.
À la suite des explorateurs, militaires et scientifiques, viendront les écrivains et les poètes qui fourniront à l’Europe une littérature très abondante sur leur redécouverte. Jusqu’à ce qu’en 1960 le célèbre naturaliste Théodore Monod (voir encadré) puisse écrire : « L’ère de la grande exploration saharienne est terminée; c’est au microscope qu’elle se fait aujourd’hui... »
Jean-Marc Durou
La passion du vieil homme
Théodore Monod au Niger, lors d’une traversée du Ténéré.Son ami le cinéaste Jean Rouch a dit de lui : « Cet homme est une véritable encyclopédie vivante. » À la fois naturaliste, océanographe, géologue, historien, explorateur, le professeur Théodore Monod est avant tout un spécialiste du plus grand désert du monde : le Sahara. Envoyé en 1933 comme océanographe sur les côtes de Mauritanie, il en revient méhariste et amoureux du désert. Au même titre que celles des grands explorateurs du XIX siècle, ses expéditions sont devenues des récits de légende. C’est ainsi qu’en 1954 il réalise une traversée de 900 kilomètres à dos de chameau, sans point d’eau : une première. Partout où il passe, que ce soit dans la Majabat el Koubra, au Tibesti, ou dans le désert Libyque, Monod découvre, explore, étudie : roches, plantes, animaux, hommes. Fondateur de l’Institut français d’Afrique noire à Dakar, qui deviendra plus tard l’Institut fondamental d’Afrique noire, il est l’exemple à suivre pour tous les scientifiques qu’il dirige.
Théodore Monod est avant tout un humaniste prêt à défendre tout être vivant menacé. Durant de nombreuses années, il n’est connu que de ses pairs et de quelques passionnés du désert. Mais, au cours d’une expédition, il accepte qu’un réalisateur le suive. Ce vieil homme qui n’a plus rien à prouver va dévoiler devant l’objectif une partie de sa vie, de ses recherches et de sa passion.
Quelques mois plus tard, l’émission télévisée « Océaniques » présente « Le vieil homme et le désert ». À la même époque, parait « Déserts », et l’année suivante est réédité son ouvrage « Méharées », écrit en 1937, où il narre avec humour l’art d’être un bon méhariste en même temps que son amour du désert. À 91 ans, Théodore Monod arpente encore les dunes et il donne de multiples conférences, aussi bien sur la défense de l’environnement que sur le Sahara.
Source :
N° 178 - Décembre 1993