LA PANNE DU SOUTHERN CROSS MINOR

Précisions

Nous savons que le « Southern Cross Minor », parti de Lympne, avait dû lutter contre des vents contraires et que son moteur n’avait pas été épargné. Le Capitaine Lancaster, accumulant les retards, se trouve obligé le 12 avril (1933) de se poser à Adrar compte tenu de problèmes moteur.
J’avais écrit dans Un Papillon dans le Désert :

En effet, son moteur a tendance à « cafouiller », l’alimentation air essence ne se fait sans doute pas correctement. De la poussière a dû s’infiltrer !

Hypothèse rapide je l’avoue, mais à l’époque je n’avais pas d’éléments précis sur cette anomalie qui aujourd’hui reste plausible, néanmoins Bill Lancaster ayant examiné sa machine ne découvre rien de particulier !

Plusieurs causes étaient possibles au-delà d’un problème d’aspiration de poussière de sable compte tenu des vents de sud à cette époque et du sable toujours en suspension dans l’atmosphère à ce moment.

Seconde cause, un problème de carburant, saletés dans l’essence, peut-être même de l’eau, nous ne savons pas si l’avion était équipé d’un filtre à essence micronique type aviation comprenant un séparateur d’eau tout ou rien.

Troisième cause, un problème de givrage du carburateur. Je reviendrai plus loin sur cet aspect bien connu des motoristes…

Dernière cause envisagée, l’allumage, problème de fuite électrique au niveau des fils de bougies, l’allumage par magnétos est du type faible tension et la moindre perte d’énergie (défaut d'isolement au niveau des fils par exemple), peut provoquer des ratés « moteur ».
C’est pourquoi, l’état des bougies ainsi que leur réglage devait être soigné.
Nous ne pouvons que supposer une bonne révision de l’avion avant qu’il fût récupéré par Lancaster.

Toujours est-il comme nous l’avons vu dans le document précédent (Le Southern Cross Minor, un avion mythique) http://www.3emegroupedetransport.com/LeSouthernCrossMinor.htm, que Lancaster, arrivant enfin à Reggan, refait le plein d’essence y compris la vidange moteur.
En effet les mécaniques de l’époque ne bénéficient pas de métaux ou alliages et des précisions d’ajustages que nous connaissons aujourd’hui et le carter d’huile du Gipsy II était donné pour 15 heures de vol maximum. À Reggan Bill en avait dépassé largement la limite !

Mon ami Alain Chuette qui était déjà à Reggan un éminent spécialiste au niveau du garage du 3ème Groupe de Transport a réalisé pour nous une analyse fine des photos du moteur du SCM ramenées de Brisbane par Serge Le Puil.
Je vous laisse découvrir son analyse :

Tout part de la photo qui suit :


Sur la photo suivante il est possible d’observer que sur le premier cylindre les culbuteurs ont été démontés. (Voir détails ci-après)

Un examen de ce moteur a très certainement été réalisé d’où également le démontage du carburateur pour examen. La panne fut vraisemblablement découverte et sans doute décrite mais nous n’avons actuellement pas trouvé de document sur le sujet.
Ce que Alain a découvert en examinant la photo, le « trou » dans le carter moteur qui se situe à l’embase de ce premier cylindre.

La vue suivante vous permettra de mieux visualiser ce que l’on appelle une « fenêtre » dans le bloc moteur, ceci sous l’effet de la rupture de la bielle qui s’est décrochée au moment du grippage.

Bill Lancaster écrit lui-même dans son Log book : Je volais au compas…, quand quelque chose alla mal, le moteur eut des ratés et s’arrêta.

Nul doute qu’à ce moment le moteur avait rendu l’âme, du moins la bielle !!


Dans le bruit épouvantable du moteur compte tenu des sorties d’échappement situées presque « sous le nez » du pilote, ce dernier ne pouvait pas apprécier (au bruit), l’ampleur des dégâts. Eut-il la force d’examiner le moteur après ce crash, il ne l’évoque pas dans ses documents.

Comme nous l’avons vu précédemment, les fréquences de vidange moteur devaient être soigneusement respectées, d’où la vidange réalisée à Reggan !

Mais ce que le Capitaine Lancaster ne savait sans doute pas, c’est que le 24 septembre 1931, Charles Kingsford Smith, remontant de Sydney était reparti de Wyndham (Australie), pour battre le record inverse d’Amy Mollison et qu'après Bushire il rencontre des soucis avec le moteur « Gipsy II » !
Ceci le conduit à faire demi-tour puis à se poser à Bagdad pour constater des problèmes de pompe à huile !!
Qu’en fut-il de la réparation, nous n’en savons rien mais Kingsford-Smith repart rapidement car le 29 septembre il se pose à Alep avec une journée d’avance par rapport au temps réalisé par Amy Mollison. De retour en Angleterre, il vendra par la suite cet avion à Lancaster.
Là aussi il est fort de constater que les mécaniques de ces « avions à records » étaient rudement éprouvées et que seul le « chrono » comptait !

Personnellement je m’étais plus orienté sur des problèmes d’alimentation air essence aux vues de la panne d’Adrar et j’avoue avoir négligé l’examen de cette photo qui a permis à Alain de comprendre le fin mot de l’histoire.
Maintenant que nous savons ce qui a conduit le SCM au crash, examinons l’aspect givrage du carburateur.


Je laisse les explications à Alain :

La carburation.

Le problème de la carburation consiste à former en quantité convenable, avec deux éléments l’un gazeux (l’air), l’autre liquide (essence), un mélange gazeux combustible, dans toutes les circonstances d’emploi du moteur.

La vaporisation d’un liquide ne peut se faire sans absorption de chaleur. On sait en effet que pour vaporiser complètement un gramme d’un liquide sans changer sa température, il faut lui fournir une quantité de chaleur appelée chaleur latente de vaporisation, qui est approximativement, de 80 calories pour l’essence.

Si l’on ne communique pas à l’essence cette chaleur latente de vaporisation, la chaleur nécessaire sera empruntée à l’air et à l’essence ; l’abaissement de température du mélange pourra alors devenir assez grand pour permettre des condensations partielles dans la tuyauterie, donnant ainsi une mauvaise carburation du mélange, ou même provoquer du givrage à l’entrée du carburateur obstruant le faible orifice de passage des gaz, ce phénomène est fréquent lorsque l’air ambiant est humide.
Il n’y a pas de bonne carburation possible de l’air par l’essence si la température moyenne des constituants est inférieure à 15° C.

Le réchauffage du mélange gazeux est donc nécessaire :
           - pour le porter à une température suffisante afin d’obtenir un combustible vaporisé à la teneur voulue ;
           - pour lui fournir la chaleur latente de vaporisation.

Les sources de chaleur auxquelles on peut puiser sont :
           - soit l’eau de refroidissement du moteur
           - soit les gaz d’échappement.

Les gaz d’échappement constituent une source de chaleur immédiatement disponible dès que le moteur entre en fonctionnement.

Schéma simplifié d’un carburateur vertical

Le lieu où se produit le givrage c'est dans le conduit qui se rétrécit au niveau de l'arrivée d'essence et qui est muni du volet.
Le tube étant rétréci à plusieurs endroits, un gros effet venturi se produit réduisant la température de l'air circulant dans ce compartiment.
Le carburateur givre, parce que l'air s'y détend (passage dans le venturi), et comme il se détend, il refroidit. De plus, le carburant, vaporisé, s'est refroidi lui aussi en passant le gicleur, et finalement va lui aussi refroidir le mélange. La baisse de température peut atteindre 25° C.

Informations : COURS TECHNIQUE AUTOMOBILE
J. CHAGETTE - Brevet Technique

Dans le cas du SCM je pense que le problème givrage peut être mis de côté…
J’ai agrandi quelques photos :

Le flexible 1 part du tube d’échappement 2 et est raccordé sur la pipe d’admission 3 (juste au dessus de la fixation du carburateur) ce qui a pour but d’envoyer de l’air chaud sur le haut de celui-ci c’est à dire juste au dessus du volet… (n’oublions pas qu’il s’agit d’un carburateur vertical et que le mélange air essence est dirigé vers la pipe d’admission qui se situe sur le dessus.
Ce qui me laisse penser, de par les photos, que ce moteur avait un système réchauffeur.


Photo d’un carburateur vertical type automobile

Voila mes déductions en ce qui concerne le problème givrage.

Le tuyau 1 et raccordé à la pipe d’admission
La tuyauterie 2 est sur le carter moteur.
Le bloc 3 ?
La tuyauterie 2 est raccordée sur ce bloc, je ne connais pas ce système, mais il ne peut pas s’agir d’eau…de plus le moteur et refroidi par circulation d’air autour des cylindres.
J’en déduis que le tuyau 2 sert à évacuer les vapeurs d’huile du carter.
Le bloc 3 un filtre à air, c’est possible ! Ce système est monté près du carburateur et par l’intermédiaire d’une durit le tube 1 peut être raccordé sur ce filtre.
Suivons l’ensemble de cette tuyauterie, sur cette photo, elle n’est raccordée au final sur rien… mise à l’air libre… ?

Dans le système des carters « aspirés » sur les moteurs à essence atmosphériques, la dépression dans le collecteur d'admission créée par l'étranglement du papillon permet à bon compte d'évacuer les vapeurs d'huile du carter par une simple durit reliant le carter à la cuve du filtre à air.
Une autre durit relie souvent le couvre culasse au filtre à air pour aspirer les vapeurs du haut moteur. Les vapeurs d'huile circulent dans ces deux durits du carter vers le collecteur d'admission. Un système de restriction peut limiter cette circulation ou en imposer le sens. C'est ce système primitif qui était appelé reniflard ou durit de reniflard. La variante plus ancienne à évacuation à l'air libre s'appelait road draft tube en anglais.
Un reniflard est un système d'évacuation des eaux de condensation. Le terme est plus connu dans le jargon des mécaniciens comme désignant le système d'évacuation des vapeurs d'huile d'un moteur. Cette évacuation pouvait se faire à l'air libre ou par aspiration dans le collecteur d'admission.


Merci à Maurice, à Jean-Marie et surtout à Alain pour les compléments et « éclairages » apportés à la rédaction de cet article.
Je reste à l’écoute de tout spécialiste qui pourrait apporter sa contribution, merci !

Rédaction : Alain Brochard - février 2011