Michel RÊTEUX
appelé du contingent 65 2/A
2ème Compagnie -
Chauffeur Gazelle GBC
CIT 152 du 5 juillet 1965 au 21 octobre 1965
3ème GT à Reggan 23 octobre 1965 au jj septembre 1966
Les photos et légendes sont de Michel RÊTEUX
En ce mois de juillet 1965, c’est le début d’une année qui marquera la vie de chaque appelé de plusieurs contingents. Elle marquera dans le sens où – pour ma part – nous avons vécu quelque chose que peu vivront.
J’ai passé une année remplie d’expériences et d’enrichissements car je n’étais pas d’un milieu où les voyages faisaient parties des priorités par manque de moyens et aller si loin représentait un voyage extraordinaire.
La vie en communauté, l’expérience de la hiérarchie militaire et il fallait bien s’adapter si on voulait être bien dans sa tête malgré tout. Les bons et les mauvais côtés de l’armée nous ont donné cette leçon de respecter l’autre, plus gradé, bon ou mauvais. Je pense que, après avoir vécu cette expérience, la vie professionnelle est plus facile à vivre et si on avait gardé ces moments de contraintes pour tout le monde beaucoup de choses marcheraient mieux. Des repères que les générations n’ont pas eu après l’arrêt du service militaire obligatoire. Sans pour autant sacraliser l’armée, elle nous a aidé à devenir des adultes responsables et nous a enseigné ce respect de l’autre.L’enrichissement, car découvrir un pays, surtout le désert, endroit mythique, qui reste tellement mystérieux même à notre époque où nous allons partout sur la planète. Fabuleux, superbe. J’en avais plein les yeux. Vivre au cœur du Sahara. Rouler à travers les dunes de sable, sur les pistes, dans les gorges des montagnes, traverser des oueds, des palmeraies, des villages, parler avec les Touareg. Rouler dans ces montagnes du Hoggar où à chaque virage le décor change, rouler avec des gazelles qui courent près des camions. Ce fameux vent qui rase le sol et fait pénétrer le sable jusque dans les endroits les plus cachés. Bien sûr il y a cette chaleur, on supporte, ou non, mais c’est aussi une adaptation.
J’ai vécu ce service intensément, sans contrainte. Un choix que nous n’avions pas fait à l’origine car lorsque nous sommes arrivés au CIT de Laon personne ne pouvait savoir que nous étions destinés à partir pour l’Afrique. Nous avons été mis au parfum un mois après notre arrivée simplement en nous demandant, après nous avoir dit notre destination, ceux qui avaient plus de 3 500 kilomètres au volant. Je me revois encore lever la main très haut de peur de ne pas être vu et pourtant je n’avais que quelques kilomètres de parcourus en conduisant une voiture.
Le plus dur ce fût les piqûres, pour partir dans ces régions il fallait être vacciné de la fièvre jaune. La vaccination se passait en quatre temps : d’abord on nous passait un antiseptique partout dans le dos – malgré que les piqûres étaient faites juste dans l’omoplate – mais ça amusaient les anciens qui étaient chargés de nous barbouiller de ce produit jaune puis, tout en restant en file on avançait au suivant – un apprenti infirmier – qui nous mettait l’aiguille dans le dos, on avançait avec cette aiguille plantée jusqu’à l’infirmier suivant, lentement, qui nous faisait la première injection de TABDT, sans retirer l’aiguille, restant bien dans le dos et on continuait toujours lentement jusqu’au deuxième infirmier qui nous effectuait l’injection de la fièvre jaune, inutile de dire comment ça nous brûlait, enfin on nous libérait de l’aiguille et on repassait à l’antiseptique. La journée suivante se passait dans la piaule en n’ayant que de la soupe à manger.
Et puis nous avons terminé ces trois mois de classes entre l’adaptation à la conduite aux poids lourds pour avoir son permis PL, les ampoules aux pieds grosses comme des œufs provoquées par des marches forcées de plusieurs kilomètres le sac à dos chargé de pierres, les tirs, les parcours du combattant, les corvées, les imbécillités d’un caporal-chef ou sergent qui nous faisait se lever en pleine nuit et il fallait descendre les 2 étages à toute vitesse, une fois habillé avec la capote sur le pyjama et le casque, remonter se changer et redescendre déguisé autrement et tant qu’il y avait un retardataire on recommençait et comme ça pendant une heure. Heureusement cet excès de zèle fût puni et ce sergent s’est retrouvé au trou pour quelques jours.
À la fin de cette période de classe une bonne perme de 48 heures pour nous redonner un peu l’envie de regretter la vie civile et c’est le départ.
Je ne me souviens plus comment nous sommes arrivés sur une base dans le midi, ni laquelle, ni où, mais en tous cas nous avons couché une nuit dans des vieux baraquements en bois ou en tôle, dans des lits de l’armée crasseux pour prendre l’avion le lendemain. C’étaient des Noratlas, ces avions à double queue qui volaient à 300 à l’heure dans leur plus grande vitesse. Les carlingues n’étaient pas isolées et le bruit des moteurs nous empêchait de se dire un mot, de plus certains étaient plus occupés à tenir leur sac de papier pour ne pas arroser le voisin. Nous étions assis autour de marchandises en conteneur et l’avion était plein et lourd. Lorsque nous sommes arrivés au dessus du désert, les trous d’air causés par les différences de chaleur à certains endroits nous faisaient descendre de deux ou trois cents mètres d’un coup, c’est vrai qu’il fallait avoir le cœur bien accroché.
Après avoir atterri à Reggan-Plateau, nous avons embarqué dans des GBC – gazelles pour les connaisseurs – et été emmenés jusqu’à notre destination finale, quelques kilomètres dans le désert vers l’oasis de Reggan où était stationné, avant nous, un régiment du Génie.
À partir de là tout commence à être plus intéressant, l’apprentissage sur les poids lourds GBO, GLR et mon préféré la Gazelle, qui fût le mien par la suite. Un camion qui se conduisait tellement agréablement, passe-partout lorsqu’on le mettait en crabot, docile, nerveux, des qualités qu’on ne retrouvaient pas sur les autres camions lourdauds et lents mais solides.
Après le temps est passé entre les gardes – qui se sont espacées pour moi lorsque je suis passé 1er jus – les corvées de sable, de chiottes et autres. Nos gardes se passaient armés d’un fusil et d’un chargeur mais si un ennemi s’était présenté je ne sais pas comment nous aurions pu se défendre, les cartouches étaient vidées de leur poudre, suite à une sentinelle trop zélée qui avait tiré sur un villageois, c’était très réconfortant. On aurait eu un pistolet à eau c’était pareil.
Lorsque nous n’avions rien à faire il fallait entretenir nos camions et le temps se passait dessous, à resserrer les boulons et écrous qui avaient toujours tendance à se desserrer par les vibrations sur les pistes. Comme chauffeur de Gazelle j’étais souvent sollicité pour emmener du personnel ou des marchandises vers Reggan-Plateau.
Il y avait aussi le rodage des véhicules réparés et j’ai passé des matinées entières à rouler, sur les quelques kilomètres de goudron qui menaient au point de tir des bombes atomiques, pour roder un GBC réparé. Goudron qui disparaissait d’un coup à plusieurs kilomètres du point zéro et je faisais demi-tour.
Les gardes, les corvées, ceux qui étaient mieux « vus » que d’autres, je faisais sans doute partie de ceux-là puisque étant chauffeur de GBC, j’ai été promu 1ère classe au bout de deux ou trois mois de présence à Reggan et alors !!! Ce qui me donnait quelques égards et pourquoi je n’en aurais pas profité ? Et ce n’est pas pour autant, comme on peut le dire, qu’il fallait baisser son pantalon pour l’obtenir cette promotion.
Nous étions 6 dans chaque piaule, la mienne était la B4 de la 2ème compagnie. Une piaule que notre MdL de service aimait bien passer en revue car je faisais venir de France le magazine LUI et la page centrale était affichée aussitôt et il y avait souvent des photos nouvelles et bien entendu la revue se passait en regardant le mur plus que de regarder le sol ou les armoires et notre MdL ressortait avec le sourire ce qui étonnait toujours tout le monde car il était plutôt du genre à ne jamais rire mais à distribuer les corvées.
Bordj
2ème Cie Noël 1965 |
Les
copains
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Une
nuit, suite à une panne d'électricité et donc des
humidos dans les chambres, tous les matelas sont sortis pour essayer
de dormir.
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La nuit, comme dans toutes les autres chambres, les punaises, deux fois moins grosses qu’une coccinelle, tombaient du plafond. C’étaient des suceuses de sang et le matin, il n’était pas rare que celui qui couchait sur le lit du haut était couvert de piqûres qui faisaient mal et nous donnaient des allergies, il fallait donc passer à l’infirmerie pour avoir une piqûre, douloureuse, et nous empêchait de se gratter et on se dégonflait. Pour ne pas qu’elle monte par le sol, les pieds des lits étaient dans une boite de conserve remplie d’eau, elles ne nagent pas.
Comme nous avions des journées de repos le week-end, l’un de nous avait réussi à capturer un gros scorpion blanc qui lui avait échappé dans la chambrée. Inutile de faire une dessin, on s’est tous retrouvés perchés sur les lits d’en haut. On entendait le scorpion courir sur le sol cimenté. J’entends encore le bruit de ses pattes.
Nous avions aussi un autre amusement c’était d’attraper d’énormes araignées, genre tarentules des sables, il fallait passer une cordelette autour de la base de la tête et elles étaient tenues en laisse, n’importe quoi !!! Lorsque nous montions la garde la nuit on entendait parfois ces grosses araignées qui tombaient sur le sol. Pour ma part je ne restais pas longtemps à cet endroit. Lorsque nous partions en mission et si on couchait au sol – sur les fameux lits picots – le matin il valait mieux retourner ses chaussures pour ne pas que les doigts de pieds se retrouvent nez à nez avec un scorpion ou une tarentule.
Une de mes missions qui me marqua fût celle où ma Gazelle et une autre, chargées des copains de la compagnie, nous sommes allés jusqu’au point zéro des tirs nucléaires de Reggan. Impressionnant l’arrivée, disons quelques kilomètres avant, on roule sur un sable où on s’enfonce, qui a brûlé, vitrifié par les tirs à l’air libre. Pour avancer il ne fallait pas caler et les six roues en crabot.
Un souterrain, où des instruments étaient installés pour mesurer l’explosion. Je n’ai pas osé y descendre, j’avais peur que le sable ne retombe. Je me rappelle que, comme un idiot, mais pas prévenu, j’ai ramassé un morceau de métal, je me suis fait remonter les bretelles, comme un moins que rien, par un bricard-chef qui était là. C’était un polonais si je me souviens bien. On ne devait toucher à rien. Avec du recul on comprend pourquoi.
Et puis le plus intéressant, les missions. Les missions en direction de Colomb-Béchar ou vers les bases du Hoggar : In Amguel loin au sud du désert. Pendant ces missions vers In Amguel on avait tout le désert d’abord du sable, des étendues, où on poussait la mécanique à fond en roulant de front, imaginer nos camions de gros tonnages ça nous donnait une impression de vitesse, les repères étaient des tonneaux remplis de sable avec une perche plantée dedans ou des petits tas de pierres qu’il ne fallait pas rater comme des balises avec les villages d’In Salah, les passages d’oueds, encore bien remplis. Et on arrivait dans la montagne, le Hoggar, première halte. Dans la première gorge on s’arrêtait dans un camp de légionnaires où on stationnait un peu à l’écart car il n’était pas rare que l’un des ces légionnaires sortait et vidait un chargeur sur la rocaille. Pourquoi ? Sûrement rempli de bière ou de désespoir d’être complètement perdu dans ces montagnes où ils ne servaient plus à rien. La guerre était finie. L’amusement devait être limité.
Et puis ce sont les gorges qui défilent avec des paysages à couper le souffle, uniques qui marquent la mémoire. Il arrivait que des gazelles – des vraies – courraient près de nos camions quelques instants. Dans cette région, les radiateurs des bahuts atteignaient des températures frisant les 90 degrés. C’était très chaud.
Après les montagnes on arrivait dans un endroit où les montagnes sont espacées les unes des autres avec le sommet arrondi et il y avait une espèce de brouillard qui flottait ce qui donnait une drôle d’impression. Ce devait être de la poussière de sable qui restait en suspension après une tempête de sable.
Dans cette région à un moment sur la piste, une espèce de rond-point apparaissait, irréel. Un tas de pierres éparpillées et en fait c’est un endroit sacré pour les gens du désert. C’est un tombeau d’un grand chef et il fallait faire 3 ou 7 fois le tour avant de continuer son chemin. Par superstition ou par plaisir et aussi pour respecter les chauffeurs civils on faisait nos 7 tours.
L’arrivée à In Amguel s’effectuait en passant près de la montagne atomique d’In Ecker où les tirs souterrains se réalisaient à grande profondeur et pourtant cette montagne bougeait à chaque tir car les éboulis n’étaient pas tout à fait normaux. Une preuve : je vous donne un site, qu’il faut consulter : www.jp-petit.com/Divers/Nucleaire_souterrain/in_ecker.htm et vous comprendrez.
Pendant une de ces missions un accident se passa et une gazelle du convoi se retrouva au fond d’un ravin. Toute une histoire cet accident car le lieutenant commandant la mission n’était pas présent au moment de cet accident mais… chut…
Le retour s’effectuait par le même chemin et ce que nous n’avions pas pu voir dans un sens était autant magnifique.
Les missions sur Colomb-Béchar étaient différentes. Le sable et un peu de montagne avant de rejoindre le goudron qui n’avait rien d’intéressant. Avant la montagne il y avait un village qui était Adrar avec un oued. Lors d’une mission il était infranchissable ce qui nous obligeait à passer sur la piste qui s’appelait « l’Impériale » à travers la montagne et des gorges étroites, un vrai coupe-gorge. Mais la palmeraie de Béchar était magnifique.
J’ai terminé mon temps pendant le mois d’août 1966 en étant posté, pendant tout ce mois, sur Colomb-Béchar où nous faisions la navette entre Hammaguir, où se passaient les tirs des premières fusées Ariane, et la base d’aviation de Béchar où était stocké tout ce matériel avant de partir. On déménageait toute cette base et nous ne savions pas toujours ce que l’on transportait .Un mois presque de vacances entre les pannes et l’entretien.
La fin fût moins drôle. Nous sommes revenus à Reggan pour être libérés et j’avoue que j’ai eu un moment de doute pour revenir en France.
Notre bon Capitaine, commandant notre section, fût muté et nous en avons récupéré un autre qui voulait tout remette en question. Discipline et rigueur. Pour ma part, et ce n’est que mon avis, ce changement de commandant n’était pas anodin, les deux compagnies étaient rivales et la nôtre marchait trop bien sans doute.
Si rien n’avait changé je crois que j’en aurais repris au moins pour un an et je regrette encore de ne pas l’avoir fait.
Le jour du départ, pendant la revue, plusieurs d’entre nous sommes repassés chez le coiffeur. Pour un poil qui dépassait, pour ma part j’y suis passé trois fois, pour d’autres le pantalon n’était pas réglementaire, c’est vrai que nous avions tous fait de la couture pour rétrécir les pantalons qui nous étaient fournis où on pouvait loger trois derrières comme le nôtre, etc.… tout était bon pour nous emmerder jusqu’à la dernière minute et on voyait que le temps passait et que l’avion ne nous attendrait pas.
Celui qui nous passait en revue était justement ce nouveau Capitaine. Nous avons dû rester plantés pendant deux heures pour attendre que le dernier soit prêt. Pour des anciens c’était plutôt frustrant.
Après les trous d’air du désert toujours dans ces fameux Noratlas et arrivés à Béchar je crois que nous devions reprendre un autre avion pour arriver dans un port mais je ne me souviens pas. La Caravelle présidentielle était stationnée sur l’aéroport et était prête à repartir. Je ne sais pas comment notre MdL a fait mais il est revenu chercher deux de ses potes, en l’occurrence moi et un autre breton. Il y avait trois places dans la Caravelle à condition que se soient des gradés je faisais parti du lot, un MdL, un brigadier et moi un première classe. Nous sommes arrivés à Orly en trois heures et 10 minutes, j’ai la mémoire excellente, pendant que le restant de la compagnie a dû mettre beaucoup plus de temps et je ne sais pas par quel mode de transport. Notre nuit de libération se passa blanche et à Paris entre un restaurant du côté de Rungis et autre chose mais, c’est tout ce qui me revient comme souvenirs.
Une perme d’un mois pour finir et depuis on y pense, pour moi un bon souvenir, de la nostalgie mais pour certains une corvée. C’était bien et on avait vingt ans...