Première ville rencontrée après 600 km dans le désert depuis le poste frontière algérien de Borj Badji Mokhtar, Reggane (15 000 habitants au dernier recensement de 1998) encadre, avec Adrar, la région du Touat. C’est une oasis dominée par l’agriculture dont la palmeraie est encore cultivée. Les activités d’appoint ne sont pas nombreuses : comme toutes les villes sahariennes, la ville vit en grande partie grâce aux aides de l’État et elle doit sa croissance à sa promotion administrative comme chef lieu de Daïra après l’indépendance.
Elle apparaît aujourd’hui bousculée par la réactivation des circulations transsahariennes. Sa localisation sur un axe de transit dynamise la ville en favorisant une diversification des activités et des échanges avec le Mali. Les liens avec ce pays ont toujours existé, mais ils ont tendance à se renforcer. Reggane a une position de comptoir au passage de la frontière, avec les ruptures de charge associées : pour poursuivre vers Adrar ou vers Khartoum, on doit prendre un autre taxi ou un autre bus. Ainsi s’organise une économie de l’attente au rythme des arrivées et des départs.
Toute l’économie commerciale de la ville semble structurée autour de l’axe de la Nationale 6 qui la relie au reste du territoire national. Sur environ 200 mètres, une petite artère aligne commerces et services : quelques cafés et même un « restaurant des voyageurs », des taxiphones, etc. Les équipements administratifs et religieux, comme le montre la carte ci-dessus, se situent plus à l’intérieur du tissu urbain. Ces petits commerces se sont développés dans le cadre de la politique de promotion des territoires du sud par l’État algérien au début des années 1990 : exonération d’impôts pendant les 5 premières années, aides à l’installation, promotion de l’investissement local à travers une commission (la CALPI).Des images de la mobilité à Reggane
Les deux aires de stationnement correspondent à deux destinations différentes : l’aire n° 1, la plus au nord et qui s’étend de part et d’autre de la route, accueille les Toyota qui font les allers-retours entre Bordj Badji Mokhtar et Reggane ainsi que quelques taxis 504 Peugeot qui se rendent dans le Nord. La deuxième aire, qui se situe à côté de la poste, vers le sud, est le point de départ des minibus qui rallient les villes du Nord (Adrar, Béchar, Ghardaïa). C’est ainsi que se fait la jonction entre le système de transport couvrant le territoire national et celui qui permet le passage de la frontière, ce qui fait de la ville un comptoir sur les itinéraires transsahariens pour les populations migrantes. Les migrants sont souvent des commerçants informels qui peuvent aussi écouler sur place les marchandises ramenées de leur séjour.
L’aire de stationnement n° 1
Le centre ville, le long de la Nationale 6
Un garage pour ToyotaConstruit au départ pour accueillir des réfugiés nomades du Niger et du Mali et pour les sédentariser, un camp, situé à une dizaine de kilomètres à l’extérieur de la ville, sert de transit pour les populations migrantes clandestines venant d’Afrique subsaharienne et en attente d’être renvoyées dans leur pays d’origine (Maliens ayant dépassé la durée de séjour autorisée, Nigériens sans visa). Cette situation reflète toute l’ambivalence des politiques menées par les États maghrébins soumis à différentes pressions, dont celles de l’Union européenne. Un article de El Periódico de Catalunya, rediffusé par Le Courrier International, affirme que le camp a été construit en 2000 : c’est l’année où le Ministre de l’intérieur espagnol a demandé au gouvernement algérien de mieux surveiller ses frontières.
Mais la visibilité des migrants, pour la plupart Maliens, dans le centre de la ville, l’importance des allers-retours avec la frontière et avec Adrar, les deux aires de stationnement de l’espace urbain, témoignent de migrations pour le moins tolérées par les autorités. À Reggane, les deux phénomènes se côtoient donc : un centre ville marqué par la circulation des « voyageurs africains » comme on les appelle et, à distance du cœur de la ville, un camp, regroupant les voyageurs qui se sont aventurés trop au Nord, en vue de leur expulsion. Paradoxe de ces migrations qui gagnent en clandestinité à mesure qu’elles remontent vers le Nord en direction de l’Europe, mais qui sont tolérées, voire acceptées dans les régions sahariennes et frontalières.Source :
http://geoconfluences.ens-lsh.fr/doc/breves/2005/5.htm