Reggane souffre de chaleur
et de coupures d’électricité
Écrit par Arab Chih (Liberté)
29-07-2009
Passer tout un été à Reggane est plus qu’une épreuve : un châtiment que les habitants de ce patelin, protégés par la baraka tutélaire du saint Sidi Reggani, subissent stoïquement, presque joyeusement. Depuis la nuit des temps, ils vivent dans ces contrées retirées, difficiles, inhumaines, mais vastes comme leur cœur.
Ils ne les quittent ni hiver ni été. C’est qu’ils ne s’imaginent pas vivre ailleurs que dans ce désert. Même le risque d’irradiations nucléaires n’a pas eu raison de leur attachement viscéral à la terre de leurs aïeuls. Aussi, ils préfèrent plutôt subir les caprices de la nature que de se laisser aller à leurs caprices à eux. Car, ils le savent bien : partir d’ici, c’est en quelque sorte mourir. Et pourtant ! Cette année, leurs convictions qu’ils croyaient inébranlables sont quelque peu bousculées. C’est que l’été est plus difficile que d’habitude.
Tout au long du mois de juillet, cette ville du Sud brûle sous le feu d’un soleil incendiaire. Presque sans répit. À croire que le disque solaire s’y est rapproché un peu plus. Le mercure frôle les 55 degrés. À 1 600 km d’Alger, les clémentes et humides côtes du Nord sont presque un mirage pour les habitants de ce bout du monde. Un paradis inaccessible si lointain de l’enfer qu’ils vivent au quotidien. Ici, il faisait la chaleur de la géhenne. Conséquence : depuis midi jusqu’au début de la soirée, Reggane est comme sous un couvre-feu. Désertes, ses rues crient la vacuité qui fait passer le bourdonnement des mouches particulièrement agressives pour du rugissement. Rares sont les personnes qui osent pointer le nez dehors. Hommes, femmes, enfants, tout le monde se retranche chez soi pour se mettre à l’abri des dardes d’un soleil perçant.
Débarrassée de toute présence humaine, Reggane a l’air d’une ville fantôme. C’est comme si un cataclysme était passé par là. « Ici, les étés sont excessivement chauds. Avec Adrar et In Salah, Reggane forme le triangle de feu », affirme un fonctionnaire d’Adrar, mi-sérieux, mi-plaisantin. Du ciel, des murs et du sol, de partout s’échappe un souffle de feu qui rend la respiration presque impossible. S’imprégner de l’acuité de la chaleur qui règne à Reggane ? Il suffit de s’imaginer au milieu d’un incendie, encerclé de toutes parts par le feu. Même à l’ombre, on n’est pas tout à fait à l’abri. « Dans ma voiture, la température a frôlé les 54 degrés. Il ne faut pas se fier aux températures données par la météo. Ils ne disent pas la vérité de peur d’effrayer les gens », assure un citoyen de Taourirt.
Ce n’est qu’au soir, aux environs de 19 h, que la nature se fait indulgente. Il faisait toujours chaud, mais c’est supportable. La vie reprend alors ses droits. Les habitants sortent de leur retraite et vaquent à leurs occupations. La ville retrouve quelques couleurs. La place centrale, cœur battant de Reggane, est particulièrement animée. C’est ici que se trouve le marché. Aux alentours, on vend de tout. Çà et là, des grappes d’hommes, assis à même le sol, entrent en palabres. D’autres préfèrent s’attabler dans un café en faisant un brin de causette autour d’un thé, histoire d’oublier les vicissitudes de la vie. C’est ainsi jusqu’aux environs de 22 h pour voir de nouveau la ville se vider de ses habitants. La matinée, rebelote. Les gens s’extraient de chez eux pour régler leurs affaires avant que ne commence le moment de la « gaïla », c'est-à-dire midi. L’heure où les gens se retranchent tous chez eux. Ils se retrouvent dans le salon pour se reposer ou faire un somme bercé par la belle musique du climatiseur qui dégage une fraîcheur bienfaisante et miraculeuse. Les plus nantis partent au nord du pays : Oran, Mostaganem ou encore Alger. D’autres descendent à Tamanrasset où le temps est beaucoup plus clément. À vrai dire, la plupart des habitants sont condamnés à passer tout l’été ici. « Certes, certains d’entre nous partent ailleurs pour fuir la chaleur d’ici. Mais pendant le congé seulement. Ils ne peuvent pas quitter la région pendant tout l’été », souligne Mebarek Abdoullahi, P/APC de Reggane. « Ici, tu dois tout faire le matin, sinon, passé midi, tu ne trouveras personne dehors », avertit un citoyen. « À partir de midi, tu peux tout faire ici, même voler toute la ville, personne ne se rendra compte », plaisante un chauffeur.Un quotidien empoisonné par les coupures d’électricité
Ce qui n’est pas fait pour arranger les choses, cette année, même l’électricité a mis son grain de sel pour empoisonner le quotidien des habitants de Reggane, déjà bien exécrable. Ils sont soumis à de fréquentes coupures d’électricité qui, parfois, durent plusieurs heures. Début juillet, les habitants de la cité Enasr ont été privés pendant trois longues journées d’électricité. Nombre d’entre eux étaient contraints d’aller chez des amis dans les autres quartiers ayant de l’électricité. Et quand le courant a été rétabli, ils étaient priés par la Sonelgaz de se passer de la clim. Sur ce point précis, les habitants des autres quartiers sont, certes, mieux lotis, mais ne sont pas moins soumis à dure épreuve. Car, passé 13 heures, c'est-à-dire pendant la période où ils en ont le plus besoin, il n’y a plus de climatisation. Ce n’est qu’à partir de 17 h que les faiseurs de miracles reprennent à produire de la fraîcheur. Mais ces coupures ne concernent pas la seule ville de Reggane, mais beaucoup d’autres localités d’Adrar à l’instar de Sali, Aoulef, Zaouiat Kounta, etc.
Et ces pénuries d’électricité leur causent d’innombrables désagréments. « Nous souffrons beaucoup en été. C’est la région la plus chaude du pays après In Salah. On dit chez nous elmout khir men août (la mort est préférable au mois d’août) », se plaint un chauffeur. « Ici, l’électricité est comme l’eau, c’est-à-dire indispensable. Aussi, ces jours-ci, avec les satanées coupures de courant, nous vivons le martyre au quotidien », renchérit un autre citoyen. Un pharmacien installé au centre-ville dit avoir perdu l’année dernière presque 15 millions de centimes de médicaments (l’insuline). Cette année, 15 boîtes de Xaleton se sont détériorées. Pratiquement, il n’y a pas une famille à Reggane qui n’a pas vu un ou plusieurs de ses objets électroménagers tomber en panne.
Aussi, un médecin du nord du pays dit craindre beaucoup pour la santé des citoyens. « Tu ne peux rien acheter. Personnellement, j’ai peur de m’approvisionner en viande, poulet, yaourts, fromages, c'est-à-dire tous ces produits qui se conservent dans le froid », rumine-t-il. Mais ceux qui souffrent le plus de cette situation, ce sont les personnes âgées et les enfants. « Ma mère est diabétique. Avec ces coupures d’électricité, son taux de glucose s’est dangereusement élevé », rage un jeune. « J’ai reçu trois personnes âgées victimes d’une déshydratation. Pour ce qui est des bébés, non. Dieu merci, on n’a enregistré aucun cas », témoigne un médecin qui travaille à l’hôpital de Reggane.M. Benkaoukaou, un des responsables de l’hôpital, assure qu’aucun mort n’est enregistré dans sa structure pour cause de chaleur. « Cette année, nous avons mis en place au niveau des urgences un système de déclaration quotidienne. On n’a fait cas d’aucun décès à l’intérieur de notre structure pour cause de chaleur. Mais à l’extérieur, si ! Deux personnes âgées, dont un proche à moi, sont mortes d’insolation », atteste-t-il. Mais grâce au groupe électrogène, l’établissement hospitalier est à l’abri de toute coupure. Tous les points sensibles (les urgences, le laboratoire, la pharmacie, la banque de sang, etc.) y sont reliés.
Le Ramadhan en plein été
Mais ce que craignent les habitants de Reggane par-dessus tout, c’est le mois de Ramadhan qui, cette année, tombera en plein mois d’août. Beaucoup se demandent comment jeûner dans les conditions présentes. « Le problème, c’est le Ramadhan. Avec la soif, on ne sait vraiment pas comment le passer », s’inquiète un fonctionnaire.
Mais que font les gens de Reggane pour changer les choses ?
Un chef de quartier, responsable de l’antenne locale de la Cnas, assure que lui et ses pairs ont saisi, il y a cinq ans, le P/APC avant d’envoyer une lettre au wali pour protester contre les coupures d’électricité, en l’invitant à trouver une solution à ce problème qui, soit dit en passant, ne date pas d’aujourd’hui. « Nos protestations sont restées lettre morte. On n’a rien vu venir depuis », déplore-t-il. Aussi, un sentiment de révolte contenue anime les habitants. Le précédent de Béchar (en 2005 les habitants du chef-lieu de cette wilaya ont tout saccagé à cause des coupures d’électricité) est présent dans les esprits. « S’ils veulent qu’on quitte cette région, qu’ils nous le disent. Ce n’est pas difficile de suivre l’exemple des gens de Béchar », fulmine un citoyen. « La population d’Adrar est pacifique. On n’a pas ici la culture de l’émeute. Il n’y a jamais eu d’explosion sociale dans notre région », corrige le responsable de Ksar Timadi, le quartier le plus populeux de Reggane. « Si les gens sont restés calmes, c’est parce que c’est général, c’est à dire que les coupures concernent toute la wilaya d’Adrar, voire tout le sud du pays », explique un autre encore.
La centrale électrique d’Adrar montrée du doigt
Mais pourquoi ces coupures répétitives du courant électrique ? Chacun y va de son explication. « Le problème de l’électricité n’est pas nouveau. On le vit chaque année. Le problème est à la source, c'est-à-dire la centrale d’Adrar, puisque toutes les communes de la wilaya connaissent des coupures de courant », estime le P/APC de Reggane. « La tension n’est pas assez grande. Les transformateurs dont dispose la wilaya ne sont pas tous opérationnels », appuie le P/APC d’Adrar,
M. Othmani. Ce point de vue est partagé par beaucoup de citoyens. Pour eux, la tension est faible. « Un petit grain de sable suffit pour que le courant se coupe », regrette un citoyen. Un fonctionnaire de l’APC de Reggane pointe du doigt la vétusté de la centrale électrique d’Adrar qui a été installée en 1983, du temps de Chadli Bendjedid. De plus, la population s’est, depuis, multipliée par dix. Le nombre d’écoles et autres infrastructures aussi.Explication de Sonelgaz : c’est la faute à la clim
Le responsable de la Sonelgaz, M. Benyahia, a récusé les raisons avancées par les habitants et les élus de la région. Son argument : les coupures d’électricité ne concernent pas la seule wilaya d’Adrar, mais plutôt tout le pays, à commencer par la capitale. Il assure que la centrale de Reggane n’est pas vieille puisque ces dernières années, elle a fait l’objet de rénovation. Pour M. Benyahia, il n’y a pas un problème de tension, mais plutôt celui de la température puisque, après In Salah, la wilaya d’Adrar est la plus chaude du pays. En outre, il déplore quelques branchements illicites ainsi que l’utilisation abusive de la climatisation. « Il y a des familles qui ont plusieurs climatiseurs. De toute la journée, ils ne cessent pas de fonctionner. Nous n’avons pas cessé de recommander de ne les utiliser qu’en cas de besoin. C’était prêcher dans le désert », explique-t-il. Cela dit, il ne nie pas l’existence de ce problème. Et pour y faire face, il assure que Sonelgaz a doté la région, cette année, de 65 postes de transformateurs. « On est pratiquement à 40% de mise en service de ces postes », affirme-t-il. Déduction : Sonelgaz est pour quelque chose quand même dans ces coupures. Le directeur général de cette entreprise, en visite dans la région en hiver dernier, n’a-t-il pas promis aux citoyens de la région que cette année, ils ne connaîtront pas les affres des coupures d’électricité ? La promesse n’est pas tombée dans l’oreille d’un sourd.
La solution ? Pour le P/APC de Reggane, sa commune a besoin d’un transformateur d’une plus grande capacité comme celui de Zaouiat Kounta. Et le réseau électrique des Ksars et quartiers de la commune doit être refait. D’autres assurent que Reggane doit être dotée de sa propre centrale électrique ou, du moins, raccorder le réseau local au réseau national. Mais les citoyens de Reggane sont unanimes : l’urgence d’un réaménagement des horaires de travail qui prendra en considération la spécificité de la région. « Le travail doit commencer à 7 h pour se terminer à 13 h. Car le rendement à partir de ce moment de la journée est quasi nul. Avec la fermeture de toutes les administrations, cela permettra d’économiser de l’électricité qui sera utilisée par les citoyens », plaide-t-on. Et à en croire un fonctionnaire de l’APC, le gouvernement a même donné le feu vert aux walis du Sud pour adapter le système de travail aux régions où ils officient. Ceux-ci ne veulent pas. Pour quelle raison alors les représentants de l’État n’appliquent pas cette décision gouvernementale ? Mystère.Source : Journal Liberté
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