DEUX MOTEURS EN « REVERSE »

 

     En remplacement de ses vieux DC3, l’Escadron de Transport 2/64 « Maine » avait hérité en dotation des trois premiers quadrimoteurs de présérie Breguet Deux Ponts, type 761S, dont dérivèrent on le sait, les 763 « Provence » mis en service par Air France puis les 765 « Sahara ». Une série de ces derniers furent mise en construction mais, pour des raisons budgétaires, seulement quatre exemplaires furent terminés et affectés à cette même unité.
      Or donc, vers 1962, l’un des 761 effectuait un vol de contrôle du coté de l’Oise, lorsque, soudainement, les deux moteurs centraux passèrent subitement en « reverse », la position inversée des pales utilisées pour le freinage de l’appareil sur la piste après l’atterrissage !
      L’avion n’était pas très haut au dessus de la campagne. Les deux manettes des gaz furent illico ramenées en arrière tandis que la puissance était poussée sur les extérieurs. Malgré tout, l’avion perdait rapidement de la vitesse et commençait à s’enfoncer. Le mécanicien naviguant tenta désespérément, et sans succès, des manœuvres de retour au pas normal, tandis que les pilotes réussissaient à maintenir l’appareil en ligne de vol. Dans quelques instants ce serait le crash...
      Fort heureusement, sur cet avion là, comme cela était généralement sur les 761 et quelquefois aussi sur les 765, l’équipage était complété d’un mécanicien PNNS équipement ou électricien de bord confirmé. Sa fonction était d’effectuer aux escales les dépannages nécessaires à la poursuite de la mission, de seconder le mécanicien naviguant et, s’il y avait lieu, de s’occuper des passagers durant le vol.
      Le mécanicien du jour était assis sur le haut du petit escalier donnant accès à la cabine de pilotage depuis le pont supérieur. À sa gauche, pas loin de sa tête, contre la cloison du poste, la boîte des relais de commande des hélices électriques Ratier. Au moment où la panne se produisait, il avait entendu claquer des relais dans cette boîte. Voyant que le mécanicien naviguant ne pouvait sortir les hélices de leur position fâcheuse, il se précipita sur la boîte, fit sauter freinages et clips maintenant le capot et arracha à la main les palettes des relais de passage en « reverse ».
      Lorsque les hélices furent revenues en position normale et que les moteurs furent remis à un régime également normal, l’avion avait perdu plusieurs centaines de pieds et n’était plus très loin des marguerites... Le retour au Bourget se fit sur des œufs mais sans encombre. Bien sûr, l’avion fut posé sans recours à la fameuse « reverse ».
      Grâce à la présence d’esprit, au sang froid et la connaissance de l’avion dont ce mécanicien a fait preuve, l’adjudant-chef Legras, il faut le nommer, un avion et son équipage ont été sauvés.

     Mais l’histoire ne s’arrête pas là. Bien sûr la cause de la panne fut recherchée sur tout le circuit de commande et les hélices elles-mêmes. La boîte des relais déposée fut examinée. On y trouva un fil de masse coincé entre la base de l’un des relais et le fond de la boîte : le fil commandant, par mise à la masse, la fermeture des relais de réversion. Par son écrasement et les vibrations, l’âme en était venue au contact de la boîte...
      La boîte fut donc remplacée par une nouvelle et les hélices encore essayées et auscultées. Tout ayant été jugé bon, l’avion repartit pour de nouveaux essais. Point fixe à l’entrée de piste et... retour au parking.
      Lorsqu’ils en apprirent la raison, les mécaniciens électriciens – dont j’étais – virèrent au vert, et pour cause : lors de ce dernier point fixe, à l’entrée de piste, juste avant l’envol, à nouveau étaient survenus des problèmes avec les hélices...
      Tout aussitôt, nouvelles recherches de panne, nouvel examen de la boîte des relais. Et il fut démontré que c’était elle, cette fois encore, la cause des problèmes. On en retira une longue paille d’acier bleui, laquelle était arrivée là par on ne sait quel chemin et avait provoqué un court-circuit origine du dysfonctionnement.
      Fort heureusement, cette fois l’avion n’avait pas décollé...


Roland DIDIER – juillet 2006

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