Gérard
SÉRANNES
appelé
du contingent 65 2/A
12ème Compagnie du Service du Matériel
CISM 2 12ème CSM
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Faisons connaissance
Je m’appelle Gérard SÉRANNES, né le 11 juin 1946, je vis en Anjou, à Angers en Maine-et-Loire et je suis un ancien de la 12ème CSM de Colomb-Béchar, contingent 65 2/A
La raison de mon inscription sur le site du 3ème Groupe de Transport est motivée par ma recherche de camarades ayant fréquenté en 1966 cette compagnie afin d’évoquer certains souvenirs et les compléter par des échanges éventuels.
J’ai effectué mon service militaire en tant qu'appelé, de janvier à septembre 1966, à l’ESM (Établissement du Service du Matériel) de Colomb-Béchar où j’étais cantonné dans la même enceinte à la 12ème CSM (Compagnie du Service du Matériel) commandée par le lieutenant GRASSET. Étant du contingent 65 2/A j’ai suivi l’école du peloton d’élèves gradés au CISM 2 (Centre d’Instruction du Service du Matériel n° 2) caserne du quartier Diettmann de Lunéville où l’on m’a gratifié du grade de brigadier en fin de séjour avec en poche un certificat CS1 dit certificat de spécialité automobile.De Lunéville à Colomb-Béchar
Après le peloton d’élèves gradés de Lunéville qui s’est achevé en décembre 1965, j’ai reçu mon ordre de mutation AFN pour aller traîner mes guêtres du côté du Sahara Algérien. Le temps de se préparer au voyage, nous avons été logés à la compagnie des services du quartier Diettmann jusqu’au début de janvier 1966. L’hiver fut rude, car nous partîmes de Lunéville durant la première décade du mois avec notre paquetage et la capote qui n’était pas du luxe, car la température était largement négative et la neige avait déposé au sol un tapi blanc de 50 cm d’épaisseur.
Ensuite, ce fut une journée de train jusqu’à Vintimille suivie d’une nuit au camp Sainte-Marthe de Marseille et le lendemain matin un convoi de camions nous emmena ainsi que plusieurs centaines d’autres militaires sur les quais d’embarquement vers un paquebot amarré appelé « PRÉSIDENT de CAZALET». La traversée fut houleuse et il y avait beaucoup de malades. Enfin, nous arrivâmes à destination après une nuit de cauchemar dans le port d’Oran sous une chaleur torride. Nous débarquâmes toujours avec la tenue d’hiver y compris la capote et nous fûmes cantonnés à Mers el-Kébir dans des baraquements qui nous permîmes enfin d’adopter une tenue plus en adéquation avec la chaleur insupportable de la saison ambiante.Après un court repos dans ce camp relai nous avons entamé un morceau de bravoure : un petit voyage de 24h vers le milieu du Sahara avec « LA RAFALE ».
Celui qui n’a jamais pris La Rafale ne peut vraiment pas imaginer ce que c’est, même avec les explications nécessaires. C’était un train version « INOX » s’apparentant plus physiquement à un métro parisien des années 70. Il succédait aux wagons « western », similaires aux petits trains de la baie de Somme, qui eux-mêmes avaient succédé aux wagons à bestiaux. Donc la version INOX était du grand luxe comparé à nos malheureux prédécesseurs, lors des années 50/60, qui ont fait le voyage en wagons à bestiaux. La Rafale reliait l’Oranais à Colomb-Béchar par une voie étroite de 1,055 m de large. Vitesse maximum sur le plat avec une traction diesel = ???? Je n’en sais plus fichtre rien, mais ce n’était pas bien rapide, je ne suis pas loin de penser qu’elle permettait de sauter en marche en tête du train et d’attraper le dernier wagon pour remonter en voiture. Il fallait plus de 24 h pour parcourir les quelque 650 km du trajet. Je pense que certains s’en souviennent encore.
Nous arrivâmes donc en gare de Béchar un samedi matin très tôt vraiment surpris par la température extérieure vraiment fraîche au point de nous surprendre par la différence en le mercure de la nuit et celui de la journée.
Des camions nous convoyèrent alors jusqu’à la caserne de la 12ème CSM.L’incorpo’ à la 12ème CSM
Arrivé très tôt le matin devant la chaîne d’incorpo, qui aurait pu croire que je me serais retrouvé sur une scène au cercle des sous-officiers pour faire danser nos chers cadres et leurs conjointes ? … Certainement pas moi !!!
Je fus affecté, en tant que brigadier, au commandement de l’atelier 2ème échelon pour les réparations et l’entretien des véhicules et matériels roulants. On m’affecta donc une équipe dont je me souviens encore des noms de mes six camarades, jamais revus, à part Gérard PILLET, depuis mon retour en France :
CARROL, mécanicien auto
KUCHARCZ, mécanicien auto
LOIRE, mécanicien auto qui était capable de déposer en 20 minutes le moteur d’une 2CV
JOUSSELIN, électricien auto
Gérard PILLET, mécanicien auto
GRANDPIERRE, mécanicien spécialiste en diesel
Nous avions également un civil algérien un dénommé BOUDI chargé des tâches dîtes « annexes ». De nos jours, on dirait technicien de surface.L’orchestre des « DIAMANTS »
Toutefois, il m’avait visiblement semblé que ce qui intéressait le plus les gars de la chaîne d’incorpo n’était pas tant mes aptitudes techniques, mais surtout et paradoxalement ma qualité de musicien. Je fus alors invité à me présenter illico presto au lieutenant de la compagnie après le déjeuner… ce qui fut fait. Visiblement mis au courant le lieutenant GRASSET me reçut fort aimablement en début d’après-midi et après un bref entretien, je fus littéralement happé manu militari (c’est le lieu où le dire) par trois « anciens » de la caserne qui m’emmenèrent dans une baraque « filliod » où je découvris plein d’instruments de musique. Oh, ce n’était pas des clairons, tambours ou trompettes, enfin bref tout ce qu’on aurait plutôt l’habitude de voir au service de la fanfare militaire, mais plutôt une batterie avec caisse claire, grosse caisse tom et bon nombre de cymbales, un saxo, une guitare électrique, une contrebasse et un accordéon…
Rapidement, les musiciens de l’orchestre se présentèrent et me proposèrent, devant leurs regards dubitatifs, de faire une audition en test dans le local « musique ». Le « patron » semblait être un dénommé VIERRUCCI alias « Bicou » qui était premier prix de conservatoire de saxo à Marseille. À la trompette, c’était DUPUIS, à la batterie MAURICE et à l’accordéon… je ne me souviens plus de son nom. Si le hasard fait qu’un lecteur ayant connu ces époques et cet orchestre, lit ce texte, je suis demandeur s’il a quelques souvenirs en mémoire à me préciser. Je fus interviewé sur mon profil de guitariste pour savoir si je pouvais apporter mon aide puisqu’ils n’avaient rien en rythmique à part MAURICE à la batterie et un peu de contrebasse quand l’accordéoniste ne jouait pas. Donc l’apport d’une guitare rythmique était pour eux un ajout intéressant dans la qualité musicale. En tant que guitariste rythmique cela ne me posa pas de difficultés majeures sauf que, adepte des inconditionnels rythmes pop des Beatles, j’ai dû me familiariser ipso facto avec ceux étranges des tangos, paso doble, foxtrot et autres cha-cha. Il faut savoir qu’en ces temps merveilleux, on était en pleine « Beatlemania » et que le temps était à la musique pop. J’ai la chance de jouer d’oreille, autant du piano que de la guitare et n’ai jamais pratiqué le solfège. D’instinct, je retrouvai avec mes doigts tous mes automatismes. En introduction, je leur ai joué en arpèges « Take Five » des regrettés Dave Brubeck et Paul Desmond qui sembla les satisfaire, mais ils me demandèrent ensuite de les accompagner plus sur des airs de bal et en particulier sur un air de boléro appelé « Esmeralda ». Je connaissais cet air en do Majeur et quand je leur donnai cette précision le galop d’essai fut commencé favorablement et vite concluant. Après quelques morceaux joués ainsi avec eux, je fus validé comme guitariste rythmique officiel des « Diamants » avec l’aval du Lieutenant GRASSET.
Il me fut alors lancé un énorme défi. N’oublions pas que j’avais passé une nuit entière dans La Rafale et qu’on était en pleine matinée quelques heures après avoir débarqué sur le quai de la gare de Béchar.
La fatigue et la chaleur commençaient à se faire sentir de plus en plus, c’était midi et les collègues m’emmenèrent alors au réfectoire. Une fois à table avec mes 4 compères, ils me proposèrent de but en blanc de venir jouer avec eux devant un public très demandeur. Il s’agissait d’animer le bal hebdomadaire de la piscine des sous-officiers dans Béchar. En fait, je n’avais jamais joué avec un véritable orchestre. Ma seule pratique en formation remontait à bien des années plus tôt les jeudis après-midi quand je jouais avec un camarade de l’ENP (École Nationale Professionnelle) de Cachan devenue plus tard « LTE » soit Lycée Technique d’État en banlieue parisienne sud. Là, avec mon copain d’école Jean-Claude LEROY, nous avions avec notre batteur Basile créé une petite formation « les Baby Rocks » !!!! On jouait ainsi en rêvant alors de façon utopique à aller rejoindre les célèbres Shadows, les Fantômes ou encore Claude Ciari et les yé-yés de l’époque pour lesquels nous avions de l’admiration sans bornes.
Mais revenons à Béchar... Pour l’instant, il était autour de midi et à table avec mes collègues militaires, à quelques heures de monter sur scène, je fus pris d’un trac épouvantable. Nous mîmes tous les instruments et le matériel dans le GLR BERLIET de la compagnie, nous passâmes une tenue civile correcte et le chauffeur de première classe un certain AZOU nous véhicula dans les rues de Béchar jusqu’à la piscine des sous-officiers. Sur place, les gens commençaient à arriver et on nous avait installés sur une petite scène surélevée. Nous déchargeâmes tous les instruments et les appareils de sono et commençâmes les montages. Une chose dont je me souviens encore, c’est que le seul et unique ampli dont je disposais pour brancher la guitare prêtée par un jeune cuisinier de la 12ème CSM, devait être mis à la terre, car il faisait sans arrêt un bruit parasite gênant. Nous dûmes trouver à chaque représentation de quoi se brancher sur une terre ce qui n’était pas toujours évident.
Pour mon premier bal avec ces collègues je ne m’en suis finalement pas trop mal tiré, il faut bien l’avouer, car c’était la première fois que je jouais avec de véritables musiciens. On était loin de la bande du Lycée de Cachan. Là, on jouait dans la cour des grands. On était des « professionnels » et le lieutenant GRASSET nous donnait des sous après chaque prestation, ce qui améliorait l’ordinaire.
Les camarades de la compagnie entendaient maintenant parler de nous et avec l’autorisation du lieutenant nous demandâmes à jouer quelques soirs au foyer pour le plaisir de tous. Cette initiative fut très bien acceptée d’autant plus qu’elle nous permettait de répéter en séances supplémentaires et nous avions allié l’utile à l’agréable et le MdL responsable du foyer lui aussi se frottait les mains car ainsi les caisses de « Kro » circulaient davantage !
Un jour, nous fîmes cependant une bien grosse bêtise à l’insu de notre plein gré - comme a dit un coureur au maillot à pois rouges sur fond blanc - et qui mérite d’en parler. Nous avions pour habitude de rechercher des nouveaux morceaux à jouer durant les bals, car il nous était souvent arrivé de n’avoir plus de musique vers les fins de soirée et nous recommencions par les premiers morceaux de la liste. Cela ne nous plaisait pas aussi recherchions-nous en permanence de nouvelles mélodies.
Le jeune chanteur dont je ne me souviens plus du nom nous suggéra une belle chanson assez lente qui s’appelait « Le déserteur » de Boris VIAN. Personnellement à part lui personne ne connaissait cette mélodie qui pouvait tout à fait entrer dans la séquence des slows. Je mis au point la tablature pour les accords et nous trouvâmes un rythme intéressant. Cette chanson eut vite fait de rejoindre la liste des slows et rapidement sans trop nous occuper des paroles nous passâmes à autre chose. Cette chanson fut inaugurée un soir lors d’un bal à la piscine des officiers. C’est lors de cette soirée et je ne fis même pas encore cette fois-ci plus attention que ça aux paroles. Le lundi matin suivant à la suite de cette soirée VIERRUCCI le saxo nous réunit et nous informa que tout l’orchestre était consigné par le lieutenant et que nous faisions l'objet d'une enquête par rapport à cette fameuse chanson. Nous interrogeâmes le chanteur et lui demandâmes quand même de nous montrer le texte des paroles. Nous nous rendîmes alors compte qu’effectivement ce texte, chanté devant un parterre d’officiers, avait de bonnes raisons d’être considéré comme une provocation. Toujours est-il qu’un officier déposa une plainte auprès de notre lieutenant et que dans la journée du lundi des officiers de la police de l’air vinrent nous interroger, un par un, sur la fameuse chanson. Il nous fallut beaucoup de persévérance pour convaincre les enquêteurs que les paroles n’étaient pas de notre imagination, mais bel et bien d’un certain Boris Vian et qu’elle fût reprise par de nombreux artistes tels que Mouloudji, Joan Baez, Peter Paul & Mary aux États-Unis, le groupe français Les Sunlights, Yves Montand et bien d’autres encore. Une fois cette précision admise, les policiers cherchèrent à savoir qui avait décidé de mettre cette chanson au répertoire. En fait, l’enquête conclut à un non-lieu pour les musiciens et comme il fallait vraiment un coupable pour que les officiers ne perdent pas la face, ce fût le chanteur qui trinqua. Et c’est ainsi qu’il nous fallut encore rechercher un nouveau chanteur, car le malheureux se retrouva muté dans une unité bien plus isolée dans le sud vers Tamanrasset, à In Amguel et nous n’en entendirent plus jamais parler. Avec le recul nous nous penchâmes un peu plus sur les paroles de la chanson et effectivement, il y avait de quoi heurter quelque peu les instances militaires mises en cause dans ce texte. Nous dûment promettre au lieutenant de mieux regarder désormais les textes de nos nouvelles œuvres d’un peu plus près plutôt que de nous brancher sans doute un peu trop sur la partie harmonie et sur les arrangements musicaux.
L’accident
Courant février il y eut un mouvement de manifestation de mauvaise humeur à la compagnie. Rester 10 à 12 mois sans permission, enfermés dans l’enceinte de l’ESM, n’aidait pas trop à maintenir le moral. Un jour, la morosité prit en otage comme prétexte la soi-disant mauvaise nourriture proposée par l’ordinaire. Certains décidèrent de faire une grève du réfectoire. En fait, soyons francs, on ne pouvait pas vraiment parler de grève de la faim, car bien sûr, toutes les précautions avaient été prises et le foyer avait été dévalisé au préalable des gâteaux et autres nourritures de secours. Mais ceci traduisait bien une sorte de malaise rampant. Le jour J, je me retrouvai à l’infirmerie avec une terrible rage de dents alors qu’une majorité de camarades avait suivi les meneurs et bouda le réfectoire ce même jour. Je ne peux pas trop décrire ce qui s’était passé n’étant pas sur les lieux au même moment, mais l’affaire fut d’importance et en réaction nos officiers eurent vite fait de comprendre la situation et d’agir pour nous faire « changer d’air ».
Un raid sur plusieurs jours fut rapidement organisé et un matin à la fraîche toute la compagnie embarquât dans une huitaine de « gazelles » GBC à 10 ou 15 par camion, direction le grand sud. Pour les non-connaisseurs, c’était des camions BERLIET à double pont arrière, diesel et frein à air comprimé, direction assistée très faciles à conduire. Les camions étaient pilotés par des légionnaires. Nous partîmes très tôt et roulâmes toute la journée au travers du désert saharien et le bivouac du soir fut bien apprécié.
Le lendemain matin après le réveil au clairon, une toilette de chat et un petit déj’ rapide nous repartîmes alors qu’un vent de face se levait contre nous soulevant des nuages de sable très denses. Nous dûmes rouler en ligne de front pour que ceux qui suivaient les camions de tête ne progressent pas le nez dans le sable sans visibilité. Nous avancions ainsi depuis environ deux heures et une pause fut autorisée. C’est après cette pause que l’accident survint, brutal, violent, impressionnant et cruel. Nous roulions depuis une bonne heure tous les camions de front sur une ligne perpendiculaire au sens de progression à travers le désert quand tout à coup le cri d’un sous-officier, plus fort que le bruit du moteur, nous fit sortir de notre torpeur. Pour une raison que j’ignore encore aujourd’hui, je vis un des camions nous couper la route par la gauche et passer devant la cabine de pilotage du nôtre et à près de 80 km/h, ce fût le choc. Vingt à trente gars furent projetés dans tous les sens et se retrouvèrent la plupart au sol, étourdis, sonnés, évanouis inconscients, blessés et pire encore. Je perdis conscience. Entre le choc et le moment où je repris mes sens, j’ai eu une absence totale, un trou noir de quelques secondes qui avait dû anesthésier autant mes sens que ma conscience. Je me réveillai allongé face au sol sur le ventre, du sable plein la bouche, dans un brouillard total de poussière. On n’y voyait pas à 3 mètres. La première chose que j’entendis, ce fût la sirène d’une « gazelle » qui se dirigeait dans le brouillard de sable vers une énorme masse. Rapidement, le brouillard se leva, ce qui me donna à penser qu’en fait je ne fus pas très longtemps dans les « vaps », car le vent que nous avions de face était toujours actif et évacua rapidement le nuage de sable. La masse énorme en fait était un de nos deux camions qui était complètement retourné les six roues en l’air. Le camion percuté sans aucun doute. À présent, je voyais les légionnaires s’activer et installer prestement un câble depuis le treuil avant sur le côté de la « gazelle » retournée. En moins de 30 secondes, le camion fut de nouveau sur roues et les secours commencèrent à s’organiser très rapidement. Le bilan fut lourd. Il y avait beaucoup de blessés et aussi deux morts hélas. J’eus du mal à me relever, car j’étais encore un peu sonné. J’essayais d’imaginer la trajectoire que j’avais dû effectuer, car du camion au sol il y avait quand même une belle hauteur et à 80 km/h, j’ai probablement dû faire, comme les autres, un sacré vol plané. J’avais plein de sang qui coulait sur mon visage et constatai que j’avais sur le crâne une coupure qui saignait pas mal. Pour le reste, je réussis à me lever et constatant que rien d’autre n’était touché ou cassé, je cherchai à me mettre à l’abri au cas où un camion surgirait dans ce magma, mais il n’y avait plus de bruit de moteur. On entendait que le vent, quelques plaintes et des cris par-ci par-là. Je me dirigeai donc vers un groupe qui semblait se pencher sur des formes allongées et je butai contre un corps allongé au sol qui remuait. Me sentant parfaitement valide, je me penchai vers ce camarade et je lui demandai comment ça allait. Je me souviens encore qu’il me répondit « Je ne sais pas, qu’est-ce qui s’est passé ? Nous avons été attaqués ? » Je le rassurai du contraire et l’aidai à se lever. A priori, il n’avait rien, alors nous nous dirigeâmes vers le groupe aperçu auparavant où les blessés commencèrent à être regroupés, pour faire un peu d’ombre. On apporta alors des gars qui étaient vraiment mal en point, l’un avec une oreille presque arrachée, un autre avec une coupure au travers de la narine, un dernier avec une jambe cassée, à qui je donnai un coup de main pour poser une perfusion d’hydratation. Là, tous commencèrent à être examinés et je pris conscience du peu de gravité de mon cas par rapport à ce que je vis. Une fois les idées remises en place, je me mis ensuite à la recherche de mon sac. Ce sac à dos, lors du trajet, était rangé sous la banquette sur laquelle j’étais assis avant l’accident. Tous les bagages étaient regroupés en tas à un endroit et malgré un soin particulier à le rechercher, il me fut impossible de remettre la main dessus. Tout en cherchant j’essayai de me rendre utile et d’aider le plus possible. Je me souviens d’un camarade, un dénommé COUPEZ, un soldat de première classe, qui avait été très actif dans les secours immédiats et j’essayai de le seconder, mais je n’avais que peu de notions de secourisme, lui par contre en avait beaucoup et il en a aidé plus d’un. Pour sa conduite il fût d’ailleurs décoré par la suite. Finalement après plus d’une heure de recherches, j’ai retrouvé mon sac. Il était coincé entre la gomme d’un des pneus arrière et la jante du camion qui était resté debout. J’ai eu un mal de chien à le sortir de là, mais je pus le récupérer quand même. Je n’ose pas imaginer ce qui me serait arrivé si j’avais suivi le même chemin que lui ! Ma blessure, un peu douloureuse quand même, se remit à saigner et je dus encore me faire soigner.
Un appel radio fut rapidement lancé et une heure plus tard un hélicoptère arriva avec des médecins et emmena les deux malheureux décédés. Puis ce fut un Dakota qui atterrit entre un balisage réalisé rapidement et rapatria les plus grands blessés. Enfin quelques ambulances rapatrièrent sur Béchar les blessés légers, dont je faisais partie, car ma coupure était en fait bien plus importante que je ne le croyais, elle nécessitait quelques points. Et je passai le reste de la journée à effectuer le trajet de retour jusqu’à Béchar inconfortablement installé dans une ambulance DODGE 4x4. Je restai quelques jours à l’infirmerie et puis je rejoignis la chambrée.
Plusieurs jours après une veillée funèbre fut organisée, à laquelle je me suis rendu, dans une chapelle ardente dans Béchar et un hommage solennel fut rendu à la compagnie au soldat de première classe DEMEURE et au soldat de deuxième classe DESVAUX. Aujourd’hui, après plus d’un demi-siècle, je pense encore à ces deux malheureux si bêtement disparus en février 1966 sur la terre d’Afrique.Le quotidien de l’atelier 2ème échelonNotre travail était en fait très simple. Il consistait à entretenir les matériels roulants à moteur. Cela allait de la 2CV du lieutenant de compagnie en passant par les tracteurs Renault et aussi beaucoup de matériels américains, les Diamond, Mack, Ward la France, GMC et aussi des command-cars tels que les Dodge 4x4, des jeeps Willys et autres. Mon préféré était le gros wrecker Ward la France que je vous montre sur la photo.
Notre limite était les démontages simples, mais nous n’allions pas au-delà. Les désossages de moteurs se faisaient à l’ESM. Nous étions commandés par le lieutenant CIÉPLUCHA qui avait succédé au lieutenant DELMAS… si ces noms vous disent quelque chose. Je me souviens que pour commander des pièces de rechange, il nous fallait remplir des bons MC10U et les confier à notre camarade DION qui était le secrétaire du lieutenant. Tant que nous n’avions pas ce bon signé nous ne pouvions rien faire, mais l’ouvrage ne manquait pas. Ce que j’appréciais, c’étaient les séances d’essais sur route. Un jour nous eûmes une remorque porte char à réviser avec son tracteur Diamond. Nous partîmes toute la journée dans le désert ce qui nous fit une belle récréation. Notre atelier était doté d’un « Lot 7 », un GBC 6x6 avec treuil et tout l’outillage de dépannage mobile et je le conduisais souvent quand j’ai eu mon permis. Au début, je conduisais sans permis, car on avait oublié de me le faire passer. Un jour, en rapportant la 2CV, après sa vidange, au Lieutenant GRASSET, ce dernier me demanda si j’avais bien le permis de conduire. Je lui répondis que non dans la mesure où je ne sortais pas du casernement. À mon arrivée, l’atelier était dans l’enceinte de la 12ème CSM et non à l’ESM. Le lieutenant me promit alors d’arranger cela. Entre temps, j’avais conduit sur de faibles distances tout ce qui avait 4 roues et un moteur, mais juste pour les déplacer dans la caserne.
L’intervention du lieutenant porta ses fruits et à quelques jours de là, un matin, un MdL chef (maréchal des logis-chef correspondant au grade de sergent-chef) vint me voir avec un camion GMC et m’annonça qu’il devait me faire passer mon permis de conduire sur une semaine. Nous partîmes avec un casse-croûte et au milieu de nulle part, il me demanda de prendre le volant, de démarrer et de lui montrer mes acquis. En fait, mes petits parcours dans la caserne m’avaient complètement désinhibé et ma conduite selon lui était impeccable. Il décida donc de se borner à me laisser me familiariser avec ce pauvre GMC à ma guise (c’est celui de la photo !) qui servait de véhicule école.Il n’y avait pas de vitesses synchronisées dans ces temps-là et il m’apprit à monter et descendre les vitesses avec le double pédalage. Au bout de deux jours, je maîtrisais parfaitement le GMC et il décidât sans plus attendre de me présenter à l’examinateur, ce qui fut fait dans la foulée. Un officier nous attendait quelques jours plus tard toujours avec le GMC et il me demanda de rouler droit devant nous sur une route déserte et d’avancer en montant toutes les vitesses. Une fois les 6 vitesses passées, il me demanda de rétrograder le plus possible et d’arrêter le camion. Une fois immobilisé, je coupai le moteur et avec un grand sourire, il me déclara que pour la conduite, c’était parfait. Puis sans transition, il me présenta quelques panneaux routiers du genre… sens interdit ou balise de priorité en me demandant leur signification. Bien sûr, je fus étonné de la simplicité dérisoire du questionnaire, mais ils avaient probablement besoin de chauffeurs PL, car nous étions une bonne dizaine et le temps comptait. Le bouquet final, ce fut l’épreuve du code. Il me demanda que faire si avec mon camion transportant 5 tonnes d’œufs dans une descente si les freins devenaient subitement défaillants ? Je fus surpris de cette question, mais je ne me démontai pas et lui répondis que j’aurais rétrogradé le plus de rapports possibles jusqu’à obtenir une vitesse au pas et jouer au final du frein à main. Ma réponse lui plut, il ne me demanda rien d’autre et je fus reçu au permis de conduire. Le lieutenant me remit solennellement, quelques jours plus tard, le petit document vert. Si on pense que je n’avais pas de permis de conduire dans le civil, j’eus une très belle surprise en dépliant ce joli triptyque. Je découvris que l’armée française m’avait fait un cadeau royal, car on m’avait validé les permis A, B, C, D toutes catégories et E toutes catégories. Songez, mes amis, que de retour en France, j’ai fait transformer ce permis en document civil pour la modique somme de 6 francs en novembre 1966 ! C’est une acquisition qui aujourd’hui vaut une véritable fortune mais le plus navrant c’est qu’en-dehors du permis B les autres catégories ne m’ont pas servi une seule fois dans le civil !!!
Tempête de sable
La vie quotidienne à la compagnie était rythmée par deux types d’activités principales. L’une pour l’ESM proprement dit qui consistait à effectuer notre travail, c’est-à-dire nos prestations à l’atelier du 2ème échelon sur les matériels roulants et l’autre qui consistait à tenter d’entretenir pour chacun d’entre nous une vie sociale au sein de la caserne de cette 12ème CSM.
Pour le job, très tôt dans la saison, on nous fit appliquer les horaires d’été, c’est-à-dire lever très tôt pour commencer le travail vers 6h00.
Après la toilette et le lever des couleurs, le petit-déjeuner était rapidement expédié. Dehors, l’influence de la température nocturne était encore fraîche et se faisait sentir sur les épaules. La nuit au Sahara, aussi étonnant qu’on pourrait le croire sous cette latitude, présente une différence avec le jour de très grande amplitude. Autant vers midi la chaleur est quasi insupportable et écrasante, autant le matin à l’aube au réveil la grosse laine, voire le gilet matelassé, étaient indispensables. Il est bon de rappeler au passage une petite précision géographique, Béchar ne se trouve qu’à 1 482 km au nord du tropique du Cancer, donc nous sommes presque dans une influence tropicale, mais franchement continentale ce qui explique ces variations importantes. Nous avions une pause casse-croûte vers 10h00 et la fin du travail intervenait vers les 13h00. Ensuite, c’était direction le réfectoire pour le déjeuner de la mi-journée qui était toujours le bienvenu, puis quartier libre jusqu’au lendemain. Et ceci se répétait indéfiniment du lundi au samedi midi.
Dans le casernement, nous logions dans des bâtiments métalliques de plain-pied, les filliods. Elles possédaient une forte isolation de laine de verre prise en sandwich dans les parois, mais la performance isolante était bien faible. De mémoire, dans ces bâtiments, nous étions 10 à 12 personnes et certains y cohabitaient avec des petits « animaux de compagnie ». Nous avons eu des insectes vivants dans des bocaux, des scorpions, des tarentules ou encore d’autres créatures telles que des dobs, ces sortes de bêtes de 30cm de long environ, toutes flasques, complètement inoffensives, avec une tête de tortue, un corps à mi-chemin entre le lézard et le crocodile miniature. Il y en avait de toutes les couleurs, des rouges, des verts, des bleus etc.
Le dob ou fouette-queue
voir : http://www.3emegroupedetransport.com/Saharien193.htm
Certains des camarades ont même tenté de garder dans des cages des fennecs, ces adorables petits renards des sables aux grandes oreilles, mais très vite l’odeur de ces adorables peluches vivantes nous ont poussés à demander aux divers propriétaires de les relâcher « fissa » dans la nature où ils étaient si bien en liberté.La chaleur était combattue dans chaque filliod grâce à quatre « humidos », des appareils d’humidification soufflants, disposés en hauteur aux quatre coins du bâtiment qui injectaient dans les baraques de l’air saturé d’humidité qui donnait une sensation de fraîcheur. Tous les jours, c’est le deuxième classe André LEMEL, un titi parisien, qui était de corvée de remplissage des réservoirs dans toute la caserne avec son camion-citerne.
Nous avons essuyé plusieurs tempêtes de sable. Lorsque cela arrivait, nous étions prévenus à l’avance, car il était impératif de se mettre à l’abri du fait que nous n’étions pas protégés comme l’était le centre-ville avec ses murs. Nous étions vraiment exposés et les consignes étaient claires, il nous fallait absolument rester confinés dans les baraquements. Un jour, je vis arriver ma première tempête de sable. Au loin, on distingue parfaitement les contours de la zone active. Si vous pouviez voir mon film (bientôt, il sera peut-être en ligne) on y voit nettement un passage où on distingue parfaitement deux zones séparées verticalement dans le ciel, c’était vraiment impressionnant. À gauche le ciel bleu et à droite tout est orange… c’est la tempête qui fonce sur nous. Quand cela arrivait à la 12ème CSM nous étions donc enfermés dans nos filliods et là les éléments se déchaînaient. Jamais nous n’aurions osé sortir pour « voir ». Les tôles du bâtiment tremblaient de partout et malgré la très bonne étanchéité le sable réussissait toujours à pénétrer, cela nous obligeait à boire beaucoup d’eau et nous rincer la bouche, car le sable craquait sous nos dents.
Globalement, les officiers et les sous-offs étaient très sympas avec nous, car les distractions n’étaient pas légion et un climat presque apaisé régnait à la fois à l’ESM et dans la 12ème CSM. Mis à part nos sessions de répétitions et soirées bal pour notre orchestre, les instants de détentes se limitaient au foyer qui était LE point de rencontre de nos soirées. Là, on pouvait y acheter toutes sortes de boissons, gâteaux, pellicules photo ou films vierges et de petits équipements tels que cafetières, rasoirs ou encore… fers à repasser (eh oui !!!) c’était là où aussi notre orchestre venait jouer de temps à autre quand le lieutenant nous le permettait, ce qui apportait un peu plus à la convivialité entre camarades.
Fin du séjour
Bon an, mal an les semaines et les mois défilaient avec de plus en plus de lenteur au fur et à mesure de l’avancement de l’été et puis l’automne arrivât sans s’annoncer tant bien que mal.
Un matin de novembre de cette année 66, ma condition de libérable, avec départ anticipé immédiat, me fût notifiée. Sur le coup, je fus comme assommé, j’eus du mal à réaliser que cette réalité était arrivée devant la brutalité de l’annonce que l’adjudant de semaine GOEPFER m’asséna sans précautions oratoires comme s’il me demandait simplement d’aller chercher le planning de la semaine des activités de la compagnie. Oh, je savais bien que cela devait arriver, mais je m’étais tellement installé dans une sorte de routine qui m’avait un peu anesthésié dans ce mode de vie un peu nonchalant et je considérais comme une sorte de chimère l’existence de mon véritable « chez-moi » ainsi que ma famille qui m’attendaient en métropole.
Quelques jours plus tard, ce fut vraiment réel. Le départ fut un jour vraiment très festif avec quelques autres « libérables ». Même l’adjudant vint partager la caisse de « Kro » avec nous au foyer pour fêter cela et c’est dans un état disons… un peu « second » que nous montâmes dans le camion avec le paquetage en direction de l’aérodrome tout en chantant notre chanson mille fois répétée « Adieu Béchar, c’est bien fini, nous retournons tous au pays, etc. ». Longtemps, je me suis dit que je paierais encore volontiers pour revivre juste ce jour-là… mais juste ce dernier jour… pas plus !
Quelques heures plus tard, je pris l’avion pour la première fois de ma vie. Le voyage, effectué dans un Noratlas fût assez rapide et, partis de Béchar très tôt le matin, nous atterrîmes quelques heures plus tard dans l’après-midi sur un petit aéroport près d’Orléans. Après plusieurs combinaisons de trains avec ROMIEU, un autre camarade de la même classe, nous arrivâmes enfin à la gare d’Austerlitz à Paris. Je me précipitai pour téléphoner à mes parents qui bien sûr, à l’autre bout du fil, n’en croyaient pas leurs oreilles. Une heure plus tard la DS 19 de mon père fit apparaître son museau blanc et chromé dans la grande cour du parking des taxis de la gare. Nos effusions furent joyeuses et nous reconduisîmes ROMIEU du côté du Carrefour Pompadour, puis la DS piquât sur Choisy et enfin terminus mon quartier, le stade de Thiais. Il me sembla que mon père conduisait vraiment très mal et passait bien près des autres voitures à mon goût ! Évidement à Béchar en plein désert pour dépasser un autre véhicule, il suffisait de se déporter de quelques dizaines de mètres sur un côté et ça passait haut la main !!!!!!!
Je ne revis que quatre de mes amis après l’armée. Le premier, c’est Jacques VANGANSBEKE avec qui j’avais fait les classes à Lunéville et que d’ailleurs, je revois encore aujourd’hui, mais lui avait été muté en Allemagne. Nous continuons à nous voir de temps en temps et à échanger quelques coups de téléphone et des mails. Il est établi en Charente-Maritime.
Ensuite, les trois autres avaient fait le séjour à Béchar comme moi. C’était d’abord l’accordéoniste des « Diamants » dont hélas, je ne me souviens plus de son nom. Nous avions envisagé de refaire un peu de musique ensemble et un jour alors que je lui avais laissé mon adresse, il sonna chez mes parents et nous n’aurons finalement rien fait, puis nous nous sommes perdus de vue.
Un jour aux séances d’essais sur le circuit des 24 heures du Mans, alors que Jacky ICKX terminait ses essais à bord de sa Ford GT40 bleue, j’étais au-dessus des stands des écuries et j’aperçus en bas près de la piste un dénommé BOUCHOU qui avait fait la 12ème CSM avec moi. J’eu beau hurler son nom pour l’appeler, mais avec le bruit des moteurs, il ne m’entendit pas. Je descendis comme un dératé pour tenter de le retrouver à l’étage inférieur, mais un imbécile responsable de la sécurité ne me laissa pas passer dans la zone du paddock et je perdis à jamais cette occasion de le revoir.
Il y eut aussi Gérard PILLET l’un des mécaniciens auto de mon atelier 2ème échelon qui était venu me voir à mon domicile à Chantilly dans les années 70 et qui avait trouvé du travail chez Facom comme je le disais plus haut, lui aussi perdu de vue.
Voici donc les seuls noms dont je me souviens depuis l’an de grâce 1966 et s’ils se reconnaissent, je les invite fraternellement et vivement à me contacter si toutefois ils le souhaitent bien sûr :
VIERRUCCI, DUPUIS, MAURICE, André LEMEL, AZOU, KUCHARSZ, JOUSSELIN, ROMIEU, BOUCHOU, LOIR, CAROLL, GRANDPIERRE et Gérard PILLET.
Je vais essayer de faire numériser une bobine de cinéma en 8mm que j’ai filmée sur place à Béchar un peu comme un reportage et ensuite nous essaierons, quand ce sera réalisé, de faire en sorte que notre webmaster tente de la mettre en ligne sur le site. Mais laissez-moi un peu de temps.
Merci de votre attention.
Gérard SÉRANNES