TEL UN OISEAU !

Rien ne prédisposait William Newton Lancaster à devenir aviateur.
Bill était né le 14 février 1898 à King’s Norton près de Birmingham, ses parents originaires de Croydon avaient emménagé au sud de Londres au cours de cette année 1898.
Edward Lancaster était un ingénieur civil de grande notoriété, il avait eu trois enfants d’un premier mariage et trois autres (dont Bill), de son second avec Maud Lucas une cousine germaine.
« Billee », comme l’appelait Maud sa mère allait au pensionnat « d’Ardingly junior ». Plus âgé il fréquenta « Stafford College». Hors période scolaire il vivait chez ses parents.
Maud Lancaster était un tant soit peu conformiste avec certains penchants quelque peu excentriques. Elle adorait paraître, néanmoins c’était une artiste de nature sympathique qui n’avait pas hésité à apprendre plusieurs langues en autodidacte. Elle avait un tel penchant pratique qu’elle avait rédigé un manuel pour femmes au foyer ainsi qu’un livre sur « L’électricité dans la maison », publié à grand nombre d’exemplaires.
Mais une grande partie de son temps restait consacré à une œuvre caritative « Mission of flowers ». Cette association dont chaque membre portait un nom de fleur s’occupait plus particulièrement de nécessiteux. Maud Lancaster «baptisée» « Sister RED ROSE » était aussi une pratiquante très pieuse. Il est facile d’imaginer l’éducation dispensée à ses enfants dans ce domaine par cette mère des plus possessives !

À l’occasion de l’été 1914, Maud Lancaster permit à son fils de partir en Australie avec un certain nombre de jeunes membres comme lui d’un « Comité Royal des Dominions ». Bill avait alors 16 ans, il était prévu qu’il vive chez un oncle jusqu’au moment où il rejoindrait le Comité. Mais le 4 août 1914, la guerre était déclarée !
Et à leur arrivée en Australie le « Comité Royal des Dominions » avait été dissout en raison de guerre.
Bill Lancaster travailla alors pendant un certain temps comme électricien à Hay dans le « New South Wales ». Il travailla également dans un élevage de moutons comme « apprenti fermier ».

En 1916, Bill a 18 ans, il rejoint la Cavalerie Australienne et devient rapidement un cavalier de première classe !

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Australian Light Horse…Documents Internet

Bill a un sens réel des « choses mécaniques », rappelons nous que sa mère Maud faisait preuve d’une certaine ingéniosité.
Bref, Bill profite d’un transfert en Europe d’ingénieurs du Génie pour embarquer avec eux.
Nous sommes en novembre 1916, la guerre bat son plein et notre ami Lancaster se retrouve sur le front en tant que sapeur, à creuser des tranchées.


Tranchée Australienne près de Bois-Grenier en 1916
Document Internet

Du fond des tranchées Bill ne peut qu’envier ceux des Forces aériennes qui comparativement à lui bénéficient d’une certaine liberté de vie !

En juillet 1917, la chance veut que Bill soit affecté à « l’Australian Flying Corps », c’est le tournant de sa vie.


Australian Flight Corps... Document Internet


Australian Flight Corps... Document Internet

Il est employé comme mécanicien de seconde classe, mais après quelques semaines il suit une formation pour devenir pilote et au 1er novembre 1917, il est nommé sous-lieutenant, il a 19 ans.
Son expérience de pilote sera brève, dès le début de sa carrière il s’écrase dans une tempête de neige et se retrouve à l’hôpital pour trois mois.

Après cet accident il passe seulement de courtes périodes sur les escadrons opérationnels probablement pour raison médicale, puis peu de temps avant l’armistice, le 14 novembre 1918 il est congédié par le Flying Corps Australien pour incapacité médicale.

William Newton Lancaster n’en reste pas là, la semaine suivante il est à Londres et s’inscrit comme étudiant à l’Hôpital Royal Dentaire.
Ses problèmes de santé n’étant pas résolus, Bill doit abandonner sa carrière dentaire, il reçoit alors une indemnité temporaire comme sous-lieutenant jusqu’à sa démobilisation en février 1920 où il obtient le grade honoraire de Capitaine.

Avant d’être démobilisé Bill n’a que 21 ans, pourtant il épouse en avril 1919 Annie Maud Mervyn-Colomb, de son surnom « Kiki ». Veuve de guerre à 19 ans elle avait alors 23 ans.


Kiki et Bill, 1929... Photo Mrs P. Hayes

« Kiki », femme plutôt calme, de grande force morale possède également un grand tact. Tolérante, généreuse, elle a un sens aigu de l’humour. Sa sérénité et sa constance semblent les qualités idéales pour compenser le tempérament immature et agité de Lancaster.

Après sa démobilisation, Lancaster revient à l’Université de Londres pour poursuivre ses études de dentiste. Mais cela ne dure que 12 mois, il demande de réintégrer un service court dans la RAF.

Il rejoint son corps le 30 avril 1921 et se trouve affecté comme pilote, au 25ème Escadron à Folkestone.
Après 5 mois à Folkestone Lancaster se porte volontaire pour servir en Inde.
Pour ce faire il est envoyé suivre un stage de recyclage court sur avion de combat « Bristol » à Kenley, puis il est affecté au 31ème Escadron.
Le 31ème Escadron, sous les ordres de Bert Harris et basé à Peshawar, il a la réputation en Inde d’un Escadron exceptionnel. Il est exclusivement composé de pilotes professionnels jaloux de leur réputation et de l’esprit de corps.
Pour eux Lancaster ne semble pas être une bonne recrue compte-tenu de ses antécédents de pilote peu fiable.
Lancaster se montre pourtant comme particulièrement performant pour tout ce qui touche à la photographie aérienne.

Lancaster n’est pas vraiment accepté par ses compatriotes, mais pugnace et à la limite, vantard, il a une légère tendance à se faire valoir. Socialement il est étranger à la vie du mess, du fait aussi de son mariage inacceptable pour la plupart de ses collègues officiers, Bill ayant outrepassé les règles militaires en la circonstance.
De plus sa rémunération de pilote ne subvient pas toujours aux besoins de sa famille. Une fille Patricia Maud était née à leur arrivée en Inde. Lancaster avait du mal à payer ses factures et les difficultés financières n’ajoutaient pas à son aura !
Mais Bill n’est pas du genre inquiet et toutes ces tracasseries financières ne l’empêchent pas d’acheter un cheval pour jouer au polo pour l’escadron. Maud monte également très bien et cette activité devient la rémunération première de la famille dans une vie sociale décevante.
Début 1923 après un peu plus de 12 mois en Inde Lancaster se trouve contraint de revenir en Angleterre, étant considéré comme trop souvent malade et de ce fait inefficace.

Il se retrouve muté à l’Ecole de Formation Technique de garçons de Halton pour y accomplir des tâches administratives ! Il conserve malgré tout, la possibilité de voler ce qu’il fait de façon régulière. À Halton avec un comportement des plus atypiques, il laisse une impression d’irresponsable et d’immature. En fait il est classé comme un caractériel notoire !
En avril 1925 sa mission de « service court » va se terminer, Lancaster doit désormais commencer à penser à l’avance à ce que sera son avenir…

Bill Lancaster avait certaines aptitudes et connaissances en mécanique, son père par ailleurs était prêt à investir dans une entreprise !
Bill décide en conséquence de faire le commerce de moteurs et Wendover semble la ville la mieux placée pour ce faire. Cette ville située près du camp de Halton devrait lui apporter un nombre régulier de clients.
Edward Lancaster se déplace à Wendover pour chercher un local et trouver un partenaire qui dirigerait l’affaire le temps que son fils termine son service.
Dans l’attente Bill en temps que directeur jouerait un rôle dans la mise en place de liens commerciaux.

Fin 1923 le nouveau commerce sous le nom de « Red Rose Garage » démarre ses activités à High Street.
Lancaster devient alors le typique vendeur de voitures paradant quotidiennement dans une voiture différente, sans manquer de réaliser nombre d’exploits dignes de son extravagance. Exploits qui le conduisent souvent à faire des sorties de route ! Les passagers de Lancaster reconnaissaient tous qu’il était un conducteur aventureux et la plupart étaient des plus heureux lorsque les parcours qu’ils effectuaient avec lui étaient terminés.

Un jour, il roule directement dans un massif de rhododendrons et réapparaît sans la voiture, ayant pris le temps de cueillir un bouquet de fleurs qu’il brandissait au bout de sa manivelle !

Mais rappelons-nous que Bill était aussi un cavalier émérite et l’été 1924 fut pour lui une occasion unique d’entrer dans la légende.
En effet lors de l’exposition de Wembley, l’impresario C.B. Cochran avait produit un Rodéo International. Ce rodéo qui dura trois semaines mettait en scène des captures de bouvillons au lasso et le « chevaucher » de broncos, ce qui pour les spectateurs étaient un ravissement de voir ces cavaliers qui étaient pour la plupart des cow-boys américains ou venus d’autres pays comme le Canada et l’Australie.

Un défi avait été ouvert aux spectateurs, de monter un bronco s’ils le pouvaient ! Personne n’avait réussi, y compris des cavaliers experts, à rester sur le dos de l’animal au-delà de quelques secondes.

Certains spectateurs attirés par l’enjeu avaient même été blessés au cours de ce rodéo où The Times avait dit qu’il fallait avoir les qualités d’une patelle (bernique) pour rester collé à des chevaux aussi fougueux !!!


Document Internet

Lancaster était au mess à Halton lorsque le communiqué du Times fut lu.
On le dit aussitôt assez excité pour dire qu’il pourrait probablement le faire !
Personne à Halton ne connaissait les qualités de cavalier de Lancaster et tous pensaient qu’il serait projeté en quelques secondes.

Maintenant Lancaster roulait vers Wembley, sa voiture ne manquait pas de passagers, les autres avaient pris le train pour assister au spectacle !
Finalement le « bronco » n’eut pas le loisir de se débarrasser de Lancaster qui du coup reçu la prime prévue, tout ceci sous les yeux de nombreux spectateurs y compris d’une douzaine d’officiers de la RAF en retraite.
De plus le gaillard avait réalisé l’exploit en chapeau melon, costume rayé cravate et épingle ! Tous ceux qui le pensaient un peu frimeur et des plus extravagant en furent pour leur frais. Il est à remarquer que notre homme devint plus sérieux par la suite. Sa mission de « service court » prolongée à 5 ans, Lancaster se sépare de ses activités commerciales de Wendover en octobre 1924.
Il se trouve affecté à l’école de Formations Techniques pour garçons à Manston dans le Kent. Il gagne ici une réputation de sportif, imprévisible mais audacieux.
Manston se retrouvant sans représentant dans le championnat de boxe de l’équipe de la RAF contre Uxbridge, Bill demande de combler ce manque.
Sans préparation contre un adversaire qualifié il est éliminé dès le premier tour, néanmoins le point qu’il a acquis en entrant dans le concours aida Manston à remporter une légère victoire. En natation cette année là, il avait effectué quelque chose d’encore plus spectaculaire, se jetant du haut du plus haut plongeoir enfermé dans un sac dont l’extrémité avait été cousue, disparaissant sous l’eau dans une énorme vague et réapparaissant trente secondes plus tard sous le nez médusé des spectateurs.
Il avait disait-on le culot pour quoi que ce soit !
En 1925 la RAF décide de mettre en service des parachutes. Des volontaires sont demandés pour un cours de parachutisme sur le terrain d’Henlow, ce cours théorique étant suivi d’une série de sauts réels avec l’Escadron n°12 d’Andover. Comme il n’y avait pas beaucoup d’empressement à Manston pour cette formation, Lancaster fut donc rappelé pour ce faire.
L’expert en la matière était le Capitaine FC Soden qui avait été formé aux Etats-Unis.


Sauts en parachute à Hendon
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Après cette formation la RAF décide de faire réaliser des sauts en parachute en public sur le terrain de Hendon. Trois hommes remarquables avaient été sélectionnés Soden lui-même qui sauterait en premier, le second serait Lancaster. L’évènement avait été décidé dans un secret absolu, cependant Lancaster l’avait confié à Kiki qui était présente à Hendon.

En plus de ses tâches administratives à Manston Lancaster devait effectuer une prescription d’heures de vol chaque mois et il faisait ça avec enthousiasme.
Les évaluations de sa capacité de voler variaient, mais il semblait que bien qu’il soit un habile pilote à bien des égards il n’était pas particulièrement toujours un pilote sans risque, ses manœuvres en vol causaient souvent des alertes. Pourtant, il avait un mérite exceptionnel, la confiance.
C’était la confiance d’un homme qui avait été formé comme mécanicien, il savait quelque chose au sujet des moteurs et n’avait pas peur de se salir les mains avec la graisse. C'était aussi la confiance d'un homme sans crainte. Se posant après que son moteur ait eu des ratés dans le circuit, tous étant convaincus et lui disant qu'il était sur le point de se crasher, il protestait que tout s’était bien passé, « rebricolait » le moteur pendant une minute et redécollait ensuite de nouveau, tout à fait imperturbable. Il avait ainsi acquis la réputation enviable d'être prêt et capable de piloter quoi que ce soit qui pourrait décoller.
À Manston, Lancaster et sa famille vivaient dans des logements familiaux des quartiers militaires et les voisins se rappellent qu’il était jovial, accueillant et conciliant. Quant à sa légèreté caractéristique, il est dit clairement qu’il n’a jamais créé un problème à Manston !
Ainsi Bill Lancaster passa ses derniers mois dans la Royal Air Force, toujours légèrement immature et irresponsable, recherchant plus les occasions de faire la fête, heureusement qu’il était marié ! Il fut l’objet de nombreuses bonnes histoires, mais malgré tout considéré avec une tolérance bienveillante.
Ce qui fut dit sur Lancaster est aussi imprévisible que l’homme lui-même ; mais quoi qu’il en fût, aucun de ses compatriotes de la RAF n’était surpris de cela.

Sources :

Verdict on a lost flyer de Ralph Barker.


Jeudi 13 avril 1933 :
4,30 après-midi : Je peux à peine en croire mes yeux, mais j’ai vu un moineau. Cela me réconforte considérablement car je dois être à portée de la piste…
                                                                                                                                                                        BILL


Alain BROCHARD – avril 2011