Le soleil tape très fort au Sahara,
il n’épargne ni les dromadaires ni les hommes,
aussi les bonnes anecdotes typiquement sahariennes abondent
UNE PERMISSION DE 36 HEURES DANS L’OUED NAMOUS
Installée d’abord à Ain-Sefra en 1956 puis à Colomb-Béchar de 1957 à 1963, la 4ème Compagnie Saharienne Portée de la Légion Étrangère recevait des missions nombreuses et variées dans toute la partie occidentale du Sahara algérien dans le triangle Ain-Sefra au nord, Tindouf et In Salah au sud.
L’effectif de 340 était réparti en six pelotons dont un de commandement, trois pelotons portés équipés de 6x6 Dodge, un peloton canon de six AM-M8 et le peloton lourd équipé de mitrailleuses 12,7 et mortiers de 81 mm.
Tous disposaient d’un camion Berliet « gazelle » de dépannage et d’allégement avec pièces de rechange, vivres pour dix jours et une glacière qui pouvait rester fraîche cinq à six jours en fonction de son utilisation. Les liaisons étaient assurées par ANPRC9, généralement en graphie ou en phonie.
Ici commence l’anecdote
Un mercredi matin de février… Convoqué par le capitaine, l’un des chefs de peloton qui vient de terminer la remise en condition au retour d’une mission sur Tindouf, reçoit l’ordre de se préparer à repartir le lendemain pour aller ravitailler un peloton méhariste de la Compagnie Méhariste de la Zousfana à Tabelbala qui nomadise dans le Grand Erg Occidental depuis deux mois.
Le rendez-vous est prévu vendredi dans l’oued Namous, au sud-sud-ouest de Béni-Ounif. L’itinéraire ne paraît pas très long mais il présente de nombreuses difficultés car il nécessite la traversée du djebel Béchar puis la pénétration de l’erg qui est constitué de cordons dunaires impitoyables pour la mécanique des 6x6.
Le départ est prévu à 4 h jeudi matin et il faudra certainement rouler une bonne partie de la nuit suivante pour arriver avant le coucher du soleil.
Vendredi 16 h : Le peloton qui n’a pas connu d’incident majeur, sinon, trois crevaisons dues à des roches coupantes, arrive à quelques kilomètres du puits. Le chef de peloton décide d’installer le bivouac à proximité de la carcasse d’un avion de transport qui s’est crashé là il y a quelques années en tentant un atterrissage de fortune. Le fuselage gît à demi ensablé, entre deux dunes.
Le peloton qui va installer le bivouac sur place, se met prestement en tenue de parade tandis que l’un des tireurs FM qui fait office de cuisinier extirpe son matériel du Berliet pour préparer le repas du soir.
Une demi-heure après, les 6x6 dont les équipages sont installés comme à la parade, se rendent au puits où le peloton méhariste les attend pied à terre au « présentez armes ». Les dromadaires sont au pâturage.
Les honneurs rendus, le lieutenant de la 4ème C.S.P.L.E. et l’adjudant chef, chef du peloton méharistes échangent en aparté quelques nouvelles tandis que les deux adjoints procèdent au transfert des vivres, du petit matériel et du courrier. Il faut faire vite avant l’arrivée de la nuit car le soleil descend rapidement derrière les dunes.
Vers 19 h, chacun regagne son bivouac dans la pénombre.
Sous la houlette de l’un des sergents du peloton et d’un mécanicien, les opérations d’entretien et de réparations sont peu importantes il ne sera pas nécessaire d’y passer la nuit comme certaines fois. La soupe est distribuée autour d’un feu de branchages allumé par le cuisinier ; les conversations vont bon train d’autant que le lieutenant a fait distribuer une Kronenbourg. Ce dernier qui a pour autre mission de reconnaître les pistes menant au puits, a décidé de rester sur place durant 48 h avec l’accord du capitaine reçu par message.
La nuit est calme, la pleine lune jette mille éclats argentés sur les dunes. Un vent léger entraîne, dans sa course infinie, une vive fraîcheur annonciatrice d’une nuit glaciale ; les braises rougeoyantes n’apportent plus guère de chaleur. Au loin, hurlent quelques chacals qui viendront roder cette nuit autour du bivouac.
Peu à peu, le silence troublé par la bise établit « de facto » l’extinction des feux tandis que chacun se recroqueville dans son sac de couchage sous un ciel sillonné d’étoiles filantes. Les sentinelles avancées sont allées s’installer au sommet de dunes dont le sable étouffe les bruits de pas, d’autres circulent aux alentours. La veille ne se relâche jamais.
Samedi 5 h : c’est ici que l’anecdote se corse : la relève est suivie du réveil. Le froid est saisissant. Un quart d’eau suffit pour la toilette et le rasage, été comme hiver. Chaud depuis un bon moment, le café, de la confiture et un quignon de pain sont prestement distribués et avalés. Le soleil surgit au-dessus des dunes réchauffant déjà les corps transis. Ses rayons caressent la carcasse de l’avion qui se met à briller, régulièrement astiquée et polie par les vents de sable.
Le décor est planté, un spectacle typiquement saharien peut commencer devant le peloton de légionnaires médusés et silencieux.
Un piquet de six méharistes en armes prend place à l’une des ouvertures du fuselage de la carcasse. Il est suivi, quelques pas derrière, par l’adjudant chef en tenue de sortie saharienne et son adjoint. Le piquet présente les armes puis le sous officier adjoint souhaite une bonne permission à son chef qui lui recommande la vigilance et termine en disant « Bonne fin de semaine, à lundi comme convenu » puis se glisse dans la carlingue après s’être mis au garde à vous et avoir salué. L’adjoint et le piquet font un demi-tour réglementaire et rejoignent au pas leur bivouac. (Essayez donc d’en faire autant, dans le sable avec des naïls, sorte de pieds-nus à larges semelles plates à peine fixées au pied).
Dans la journée l’adjoint expliquera au lieutenant que c’est une tradition chaque fois que le peloton vient à ce puits : « Le chef s’accorde une permission de 36 h avec l’accord du capitaine. Que voulez-vous les distractions sont rares par ici alors, il a trouvé cette solution pour se changer les idées : il va rester là jusqu’à lundi matin se nourrissant des quelques dattes et d’une galette qui sont dans sa musette et d’une gourde d’eau en peau de chèvre. Pendant ce temps les dromadaires se refont une santé dans les maigres pâturages que l’on trouve au fond de l’oued (Qui est complètement à sec depuis belle lurette !) ».
Lundi 6 h : Même manège, le chef du peloton méhariste sort de la carcasse, le piquet lui rend les honneurs, son adjoint lui souhaite une bonne arrivée puis s’enquiert de cette permission. « Très bonne lui répond son chef, départ dans une heure ».
À 7 h, une fois reçu un dernier salut d’adieu, les légionnaires voient passer devant eux la colonne de dromadaires en route pour une longue traversée dans cette immensité désertique où l’on trouve parfois un avion pour passer une permission de courte durée.
Lieutenant-colonel (h) Benoît GUIFFRAY
ancien chef du 1er peloton de la 4ème C.S.P.L.E.
Source :
Amicale des Anciens de la Légion Étrangère de Paris
Les récits des Anciens
http://amalep.free.fr/index.html