En novembre 1962, le magazine Paris Match décrivait la tragique histoire du Capitaine William Newton LANCASTER qui s’était crashé à quelques 300 km au Sud de Reggane.
Il avait été retrouvé par hasard en février 1962 par une patrouille de l’Escadron Blanc.
Michel a retranscrit intégralement les textes publiés sur trois exemplaires.
Ce document, rassemblant ces écrits, vous permettra de vous mettre dans la « peau » des lecteurs de 1962 découvrant cette histoire hors de l’ordinaire.

Toutefois ne perdons pas de vue qu’il ne s’agit que d’un document de presse de l’époque.
Je vous conseille ensuite de lire ou relire : « Un Papillon dans le désert ».

Pour votre information, un film sur la base du roman de Sylvain ESTIBAL : « Le dernier vol de Lancaster », sortira fin 2009 ou début 2010.
La force de ce roman rappelle à la mémoire le destin tragique de Bill LANCASTER.

Je fus enthousiasmé à la lecture de ce livre. Mais ma déception fut à son comble lorsque revenant à la réalité, je ne pouvais que constater qu’il ne s’agissait que d’une fiction.
Pris par la lecture, j’avais perdu de vue l’aspect romancé de la majeure partie de l’histoire !

En effet à l’époque je recherchais « des faits réels » quant à la véritable tragédie de Bill.
L’histoire, je l’ai retrouvé globalement dans le livre de Ralph BARKER « VERDICT ON A LOST FLYER », The Story of Bill Lancaster.
J’ai ensuite continué mes recherches …Ces recherches ont abouti à la rédaction de :
« Un Papillon dans le désert ». Elles continuent … (Bientôt des compléments).

Alain BROCHARD

 

 

EN EXCLUSIVITÉ UN EXTRAORDINAIRE DOCUMENT
1933 : au cours d’un raid Londres – Le Cap, Lancaster disparaît au Sahara.
1962 : une patrouille française retrouve son corps presque intact et le journal de son agonie qui est en même temps une longue lettre d’amour.

COMMENT JE SUIS MORT, IL Y A 29 ANS DANS LE DÉSERT

DIMANCHE, 16 AVRIL 1933
« Je pense pouvoir tenir encore deux ou trois jours, puis ce sera la folie, la mort enfin. Chubbie chérie, pense au bonheur que je t’ai donné ».
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MERCREDI, 19 AVRIL 1933
« Aujourd’hui mon eau sera épuisée. Ce n’est plus qu’une question de quelques heures.
Que Dieu m’accorde une fin rapide… »
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Il y a vingt-neuf ans que ces mots dramatiques ont été écrits sur un carnet de vol tout neuf délivré par le ministère de l’Air britannique. Aujourd’hui, dans le vent qui soulève des vagues de sable, un sous-officier méhariste vient de retrouver en plein désert ces feuillets desséchés. Une patrouille de l’armée française explorait à dos de chameau les abords de la grande route transsaharienne, une région où personne ne s’était encore hasardé. Soudain, comme un mirage au creux d’une dépression sans ombre, une forme noire est apparue : un vieux biplan piqué au sol et à demi renversé. À l’abri des ailes, recroquevillé sur lui-même, parfaitement conservé, un cadavre, dont la main gauche serre encore la gorge desséchée. De la poche de sa chemise dépasse un brevet de pilote anglais portant le n° 1192 et un nom : William Newton Lancaster. Après vingt-neuf années, le hasard permettait de renouer les fils d’une histoire oubliée. Le 11 avril 1933, sur l’aérodrome de Lympne, dans le Kent, une vieille dame infirme trace en cachette une croix sur le fuselage d’un avion acheté d’occasion : le « Southern Cross Minor ». Puis elle tend une plaque de chocolat à son fils déjà installé dans le cockpit et qui, avant de mettre l’unique moteur en route, montre aux quelques personnes venues assister à son départ, un fer à cheval en argent, son fétiche. Bill Lancaster va essayer de battre le record de Londres – Le Cap établi une année plus tôt, en 4 jours 6 heures et 54 minutes par la célèbre Amy Johnson qui venait d’épouser un autre crack de l’aviation, Jim Mollisson. Ces pilotes de raid des années 30 étaient un peu, toutes proportions gardées, les astronautes de nos pères. Les journaux titraient leurs exploits en manchettes énormes. Pour aller de Paris à Tokyo ils mettaient six jours, quatre de Paris à Buenos-Aires. Lorsqu’ils arrivaient au but, les foules se ruaient à leurs rencontre, s’arrachaient leurs vêtements comme des reliques, les portaient en triomphe en chantant les hymnes nationaux. En arrachant son avion de la piste boueuse de Lympne, Bill Lancaster se voyait sans doute déjà reçu au Cap avec les tambours de la victoire. Mais il pensait certainement plutôt à son retour ici en Angleterre et à l’importance de ce raid pour son engagement futur dans une société d’aviation, par exemple. Jusqu’ici les portes se fermaient poliment devant lui. Personne n’oubliait ce qui s’était passé en Amérique un an auparavant.

Miami, 20 avril 1932.
Dans un bungalow, deux hommes ont une altercation violente à propos d’une femme qui habite avec eux. Quelques heures plus tard, l’un des hommes est trouvé mort. Près de lui un revolver qui appartient à l’autre. La victime est un jeune écrivain, Haydon Clarke. La femme, une aviatrice célèbre, Keith Miller. Le revolver est celui de Bill Lancaster. Bill et Keith, depuis des années, sont des compagnons de vol inséparables. Une tendre amitié les lie. Mais Bill est marié et père de deux enfants. Un jour, son travail l’éloigne pour six semaines de Miami. Pendant cette absence, Haydon et Keith décident de se fiancer et préviennent Lancaster. Celui-ci revient en hâte et c’est le drame. Lancaster est inculpé de meurtre, quoiqu’il nie absolument avoir tué Haydon.
Il y avait là matière à procès sensationnel, à scandale, et à doute. Les jurés toutefois acquittèrent Bill Lancaster qui retourna en Angleterre. Mais le scandale n’en avait pas moins franchi l’Atlantique et c’est en vain que Bill cherche du travail. En désespoir de cause il décide de s’attaquer à un record prestigieux. Et c’est ainsi que le soir du 11 avril, il atterrit à Oran, à 1 760 km de son point de départ.

On lui refuse l’autorisation de survoler le Sahara

On lui refuse l’autorisation de survoler le Sahara car il ne peut pas déposer les 800 livres sterling exigées par les autorités françaises pour couvrir les frais de recherches. Il part pourtant le soir même et atterrit le lendemain sur les rochers près d’un petit poste perdu dans le désert, Reggane. S’il veut battre le record d’Amy Johnson il doit repartir immédiatement dans la nuit. Pour lui permettre de lire sa boussole, un officier lui prête une petite lampe de poche.


Keith Miller « Chubbie", prend connaissance avec 29 ans de retard du bouleversant message de Lancaster, qu’on vient de retrouver dans l’épave du « Southern Cross Minor ».


Un an avant sa disparition, Lancaster avait été accusé de meurtre et acquitté. Il est ici, à gauche, avec ses amis aviateurs : Boyer, Pangbourne, Gilmartin et Bow venus à Miami témoigner en sa faveur.

Et vingt-neuf ans après, la lampe est toujours là, sur le siège de l’avion écrasé. Près d’elle, des photographies de Keith Miller, un poème écrit par la mère de Bill et, attaché à une aile par un lambeau de toile arraché à la carlingue, le carnet de vol tout neuf délivré par le ministère de l’Air britannique. Sur les pages de ce carnet, le plus émouvant journal de huit jours d’agonie atroce, huit jours brûlants, huit nuits glacées, restitue un magnifique témoignage d’amour.
La femme à qui sont allées les dernières pensées de l’aviateur perdu vit encore aujourd’hui. Elle a cinquante-neuf ans, est mariée mais n’a pas oublié le compagnon de sa jeunesse, des exaltantes courses dans de vieux zincs pétaradants, ni le drame de Floride et les pénibles péripéties du procès, ni les jours d’angoisse lorsqu’il fut certain qu’on ne retrouverait jamais Bill Lancaster. Le journal dont elle est dépositaire, elle a tenu à ce qu’il soit rendu public. Elle a voulu aussi écrire pour nos lecteurs tout ce qui est remonté à sa mémoire lorsque lui furent remises ces pages poignantes écrites par un homme mort de soif tout seul dans le désert. Voici ces pages qui, en expliquant la personnalité de Bill Lancaster, donnent ses véritables dimensions humaines au journal de l’aviateur perdu que nous publierons intégralement dans nos prochains numéros.

Un matin de février, cette année, la terre a semblé s’ouvrir sous mes pieds.
Rien ne permettait de supposer que cette journée allait être différente des autres. La campagne du Berkshire sous le pâle soleil d’hiver, prenait un aspect faussement printanier. J’allai prendre mon petit déjeuner près de la fenêtre, et puis, j’ouvris mon journal.
Au beau milieu de la page s’étalait une photo de moi, telle que j’étais il y a une trentaine d’années.
Et, à côté de moi sur la photo, se trouvait Bill Lancaster, le malheureux, le brave Bill Lancaster au tragique destin.
Le titre m’apprit pourquoi on avait fouillé les archives des journaux afin d’y retrouver cette vieille photo jaunie et oubliée depuis longtemps : le corps de Bill avait été découvert.
Près de trente ans après sa disparition au Sahara, une patrouille de l’armée française venait de retrouver son corps, conservé grâce à quelque bizarrerie du soleil, du vent et du sable, à côté de la carcasse du dernier avion qu’il ait jamais piloté.
La patrouille avait également trouvé, attaché à l’un des montants de l’avion, un livre de vol sur lequel Bill avait relaté ce que furent ces jours interminables pendant lesquels, la gorge desséchée, il attendit la mort dans le désert.
Ce livre, ce journal d’une agonie, c’est à moi qu’il était adressé.
Je n’avais jamais oublié Bill Lancaster. Nous avions connu ensemble les fracassantes années 20, les tentatives de records à bord de tout petits biplans qui pouvaient mener aussi bien à la mort qu’à la gloire, la crise – car à cette époque, pour des pilotes comme nous, il était bien difficile de dénicher quelque emploi – puis le drame, les gros titres et la tragédie au cours de laquelle Bill quitta cette scène. Depuis lors s’était écoulée plus de la moitié de ma vie.
Les années, en s’enfuyant, avaient pansé les plaies, émoussé les souvenirs… Il me semblait parfois qu’il s’agissait d’un monde différent.
Et pourtant, ce n’avait pas été un autre monde. En ce matin de février, les titres me le disaient bien.
Après le premier choc, je commençai à me rendre compte combien la mort de Bill avait été horrible. Il n’avait pas été tué sur le coup dans un terrible accident. Il était resté dans le désert pendant plus d’une semaine, attendant en priant qu’on vint le sauver, ce qui n’arriva jamais, cependant que son espoir diminuait en même temps que sa petite réserve d’eau.
Je n’avais pas à me demander comment il avait affronté la mort. William Newton Lancaster ne savait ni geindre ni récriminer. Il avait dû mourir courageusement.
Je me rappelai notre premier vol ensemble. C’était en 1927 et nous essayions alors de grignoter le record Angleterre – Australie à bord d’un petit appareil.

Au-dessus de la mer aux requins, le moteur a des ratés

Nous étions au-dessus de la mer de Timor, le cauchemar des pilotes car elle est infestée de requins. Soudain le moteur commença à avoir des ratés inquiétants. Nous perdîmes rapidement de la hauteur. Il semblait impossible d’éviter de tomber à la mer quand, à nouveau, le moteur vrombit régulièrement, ce qui nous permit de nous élever à quelques précieuses centaines de pieds.
Mais l’avion ne pouvait se maintenir à cette altitude et Bill dut répéter cette manœuvre plusieurs fois. Puis je sentis une petite tape sur la tête. C’était le signal dont nous étions convenus à l’avance pour communiquer. Sur le bout de papier qu’il me glissa dans la main par la petite trappe qui se trouvait entre les cockpits, je lus : « Ma pauvre « Chubbie » je ne pense pas que nous puissions arriver au bout, Mais c’était merveilleux d’essayer tout de même ».
Je défis ma ceinture de sécurité, m’agenouillai sur le siège et, par-dessus le pare-brise, nous nous serrâmes la main solennellement. Nos yeux se rencontrèrent alors et Bill se mit à rire. Je demeurai tout interdite, puis je ris à mon tour.
C’était bien le genre de Bill Lancaster.
Tant bien que mal, nous finîmes par décider notre avion à aller jusqu’à Darwin, où Bill fit un atterrissage impeccable dans un champ couvert d’eau. Quand nous descendîmes de l’appareil, Bill parut beaucoup plus démoralisé parce qu’il ne trouvait pas d’allumette pour la cigarette dont il avait terriblement envie qu’il ne l’avait été devant la mort horrible à laquelle nous avions échappé par miracle.
Cinq ans après les dangers de la mer de Timor, le pauvre Bill dut faire face à une épreuve bien plus grave.
Il fut accusé d’avoir tué mon fiancé, en Amérique, et on le fit passer en jugement. Ce fut un des procès les plus sensationnels d’avant la guerre.
Comme toile de fond à toute l’affaire, il y a la grande crise économique dans laquelle 1’Amérique se débattait à ce moment-là. Personne ne voulait financer le moindre vol qui nous eût permis de battre quelque record, et il semblait véritablement qu’il n’y eût aucun travail pour les pilotes.
Nous étions réellement à court d’argent ; or, d’une façon ou d’une autre, il fallait payer sa nourriture. Je louai donc une maison en Floride. Bill vint y habiter avec moi et je décidai d’écrire un livre sur mes aventures d’aviatrice. Voilà comment je rencontrai Haydon Clarke.
C’est sa mère qui nous présenta l’un à l'autre. Haydon, disait-elle, était un journaliste réputé, et elle pensait qu’il pourrait m’aider à rédiger mon livre. Je fus d’accord mais, en toute honnêteté, je dus faire remarquer que, tant que le livre ne serait pas achevé, tout ce que je pourrais offrir serait le gîte et le couvert.
Haydon Clarke s’installa donc sous la véranda où Bill avait déjà pris ses quartiers.
C’est à peu près à cette époque que Bill entendit parler d’un emploi dans le Nord et partit, me laissant terminer le livre en compagnie de Haydon. Et c’est pendant son absence que tout arriva. Haydon et moi avions beaucoup de temps à passer ensemble, nous tombâmes amoureux l’un de l’autre et décidâmes de nous fiancer.
Je l’écrivis à Bill, qui sembla prendre cela avec philosophie et dit qu’il revenait à Miami.
Ce que j’ignorais à cette époque, c’est que Haydon Clarke faisait usage de stupéfiants, avait quatre ans de moins que moi, était déjà marié et n’avait écrit aucun des quinze livres dont il se vantait d’être l’auteur.

Haydon s’était suicidé avec le revolver de Bill

Le 20 avril 1932, juste après le retour de Bill, j’entendis ce dernier cogner à ma porte et crier : « Keith ! viens vite. Il est arrivé une horrible chose : Haydon s’est suicidé ».
Je trouvai Haydon dans son lit, sous la véranda. Blessé à la tête, il était entrain de mourir. Près de sa main, au milieu des draps, je vis un revolver.
C’était celui de Bill.
Deux lettres étaient posées sur la table, près du lit ; elles avaient été dactylographiées avant le suicide et portaient la signature de Haydon.
L’une était pour moi, l’autre pour Bill.
Subitement il me revint en mémoire que, quelques heures plus tôt, au dîner, des paroles violentes avaient été échangées. Je ne pus m’empêcher de demander à Bill : « Est-ce toi qui as fait cela ? »
« Sur mon honneur, je te jure que ce n’est pas moi », dit-il.
Et sincèrement je le crus.

Après sa déposition, Bill fut accusé de meurtre

Tout d’abord les policiers qui menèrent l’enquête sur la mort de Haydon trouvèrent les deux lettres et conclurent au suicide. Mais bientôt Bill eut une conversation avec moi à ce sujet…
Ces deux lettres, c’est lui qui les avait écrites !
En voyant que Haydon s’était tué avec son revolver si peu de temps après leur querelle, il avait pensé que je le soupçonnerais. Pour se disculper totalement à mes yeux, pour me laisser ma tranquillité d’esprit, il avait commis ce faux, mais il en gardait la conscience troublée et, de son plein gré, il alla faire une déposition à la suite de laquelle il fut accusé du meurtre de Haydon.
Le procès qui suivit fut un cauchemar.
D’un bout à l’autre, Bill parla avec franchise, sans rien dissimuler. Oui, il m’aimait. Oui, il avait été bouleversé par mes fiançailles. Oui, il avait tapé les deux lettres qui accréditaient le suicide, et les avait signées du nom de Haydon Clarke.
Mais il n’avait pas tué Haydon Clarke.
L’inflexible procureur américain parla de Bill et de moi avec sévérité, avec férocité même. C’était terrible, épouvantable ! Le jury rendit son verdict: non coupable.
Les jurés ne voulurent pas accepter sa version de l’affaire. Ils virent Bill Lancaster dans le box; ils l’entendirent.
Ils entendirent aussi les hommages qui lui furent rendus par des as de l’aviation qui avaient volé avec lui pendant la guerre, et par tous ceux qui le connaissaient comme un homme incapable de mentir.
Le public qui se pressait dans la salle d’audience, applaudit et poussa des acclamations. Lui aussi, il avait été pour nous.
Nous revînmes en Angleterre séparément. Bill alla vivre chez ses parents et moi, je demeurai chez une tante, à Hampstead, où j’espérais terminer mon livre fatal.
Bill dut alors faire front à une épreuve d’un genre différent.
Il essaya de trouver un emploi à Londres. C’était un aviateur remarquable, mais il était facile de deviner que ceux qui auraient pu l’employer étaient plus impressionnés par la publicité sensationnelle faite autour de son procès que par l’acquittement définitif qui lui rendait son honneur.
Bill Lancaster décida donc d’effectuer son retour de la seule façon qu’il connût : en se rachetant aux yeux du public par une dramatique tentative de record.
Il pensa que sa meilleure chance était de pulvériser le record établi par Amy Johnson sur le trajet Angleterre – Cap de Bonne-Espérance. Il persuada son père de lui acheter l’Avro-Avian de sir Charles Kingsford-Smith, le « Southern Cross Minor » ; et nous entreprîmes de tracer son itinéraire.
Ce ne devait pas être pour Bill Lancaster une tentative de record comme les autres. Son avenir en était l’enjeu. Lorsqu’il vint me dire au revoir deux jours avant son dernier vol, en avril 1933, il paraissait fatigué et en mauvaise santé. Mais il affirma qu’il se sentirait très bien une fois qu’il aurait décollé.

J’ai attendu vingt-neuf ans des nouvelles de Bill

Quand on signala la disparition de Bill, je rendis visite aux journaux pour qu’ils m’aident à faire des recherches. Ils refusèrent parce que le père de Bill s’y opposait.
Je persistai pourtant. À cette époque, il y avait en Angleterre, à ma connaissance, un seul avion auquel son rayon d’action permit de faire ce travail : c’était le « Spider » de Charles Barnard. Je me mis en relation avec Charles et lui demandai de m’aider. Mais il ne pouvait rien faire. Aucun de nous ne disposait des sommes nécessaires pour une telle entreprise, et, en plus de tous les autres frais, les Français insistaient pour que nous déposions entre leurs mains une somme importante, au cas où nous nous perdrions et où ils devraient se mettre à notre recherche. On m’assura que les Français procédaient à des recherches aussi étendues que systématiques, afin de retrouver Bill, et que s’il était à proximité de la route qu’il devait suivre, ils étaient certains de le retrouver.
Mais les jours succédèrent aux jours et l’on n’apprit plus rien au sujet du pauvre Bill.
Ce silence dura vingt-neuf ans.

 

Ce qui restait du drame : à terre, la lampe électrique, une bouteille thermos ; le jour, le pilote se réfugiait sous l’appareil, à l’ombre ; la nuit, il arrachait des lambeaux de toile du fuselage pour faire des torches de signalisation. On retrouva son corps sous l’aile gauche.

 


« Rester à tout prix près du zinc… Je l’ai promis à Chubbie.
Mais c’est l’enfer… J’écrirai tout dans le livre de vol… »

C’était en 1933. Bill Lancaster tentait le raid aérien Londres – Le Cap, dernier épisode d’un roman dramatique que Chubbie, la femme qu’il aimait, a raconté dans notre dernier numéro. Il lui avait promis qu’en cas d’accident, il resterait près de la carcasse de l’appareil, pendant qu’elle dirigerait les recherches.
Vingt-neuf ans après, des méharistes retrouvent le « zinc », le corps de Bill et son journal, dont voici, en exclusivité, le texte intégral.

13 AVRIL 1931
Jeudi matin, 5 h.

Je viens d’échapper miraculeusement à la mort. Pourquoi ? Mon premier acte a été de me mettre à genoux pour remercier Dieu et Le supplier de m’assister dans ma grande détresse. C’est arrivé ainsi : je volais au compas, droit en direction de Gao, quand quelque chose s’est détraqué. Le moteur a toussé et s’est arrêté. Il faisait nuit noire, pas de lune dans le ciel (environ 20 h 15).
J’ai voulu poser l’appareil doucement, mais, avec l’énorme charge que je transportais, je n’ai pas pu faire grand-chose et suis tombé, prisonnier dans le cockpit.
Je ne sais pas combien de temps je suis resté sans connaissance. Les vapeurs d’essence rendaient l’atmosphère de ma minuscule prison atroce. En m’insinuant, en grattant le sable avec mes ongles, je me suis finalement extirpé et frayé un chemin vers l’air libre. Mes yeux étaient pleins de sang qui s’était coagulé, mais, en fin de compte, j’ai réussi à les ouvrir. Ma première pensée a été que l’eau s’était écoulée. Non, Dieu merci. Neuf précieux litres. Je peux vivre quelques jours.
Naturellement, je ne suis pas solide, mais il faut que je conserve la tête à tout prix.
J’espère que les Français me chercheront, mais il sera difficile de me trouver, je suis loin de la piste (la grand-route saharienne). J’ai pensé aller à pied jusqu’à la piste et me suis préparé à partir, mais la conversation que j’avais eue avec Chubbie à ce sujet, m’est revenue à l’esprit. Non. Je dois rester près du zinc. Je vais rationner mon eau. Une semaine au plus, je suppose. Cela me donnera le temps de réfléchir et d’écrire quelques notes dans ce livre de vol.

« Je pense à ma mère et à Chubbie »

Par un petit avion sur son journal (et dessin ci-dessous), Lancaster situait le lieu de son accident. Mais il était plus à l’ouest (point blanc).


C’est sa dernière photo, prise alors qu’il avait atterri dans un avant-poste du désert
pour faire remplir son réservoir d’essence.


Je me demande où chacun me croit. Je pense principalement à ma mère et à Chubbie. Je les aime toutes les deux. Chubbie est mon amour à moi, mais je chéris tellement ma mère. Toutes deux étaient fières de moi avant mon départ.
Hélas ! J’ai véritablement mordu la poussière de la déception. Voici quelle doit être ma position :
(Schéma de position dessiné dans le journal.)
Conjecture, bien entendu.
Je sens que j’ai une coupure au nez et au-dessus des deux yeux. J’espère que cette blessure ne va pas s’infecter.
Le soleil est maintenant en train de monter dans le ciel et je pense que je dois me glisser sous l’aile inférieure et rester caché jusqu’au coucher.
Vais essayer de vivre avec un demi-litre d’eau par jour. J’ai des doutes. Je prépare de la toile prise sur l’avion pour allumer un feu cette nuit. Fasse Dieu qu’il soit vu. La Compagnie Transsaharienne part à ma recherche ce soir si l’on ne m’a pas revu.
Je me demande si Chubbie essaiera de se procurer un appareil pour me rechercher. Elle va s’en occuper, j’en suis sûr. Ma mère va se tourmenter. Mon père aussi, bien sûr. Qu’ils soient bénis. Je voudrais qu’ils aiment Chubbie.
Je vais avoir bien des inquiétudes, tout le temps que ceci va durer. Je ne cesserai de noter dans ce livre ce qui me viendra à l’esprit.
Le vieux Smithy (sir Charles Kingsford-Smith) n’aurait pas grande opinion de la vieille « Southern Cross Minor » maintenant. Je me demande quelle a été la cause – panne d’essence, c’est sûr.
Bon, ce sera une rude besogne que de récupérer ce taxi au milieu du Sahara.
Plus tard dans la matinée :
Mes blessures me font un peu souffrir. Je ne sais pas s’il faut marcher vers la piste ou non. Je ne pense pas qu’elle puisse être à plus de trente kilomètres, et je m’attends à ce que les autos sortent cette nuit. Je redoute que mes blessures n’empirent. Je ne peux pas gaspiller de l’eau pour les baigner.
Mon nez va devenir une curiosité. Je me demande comment les gens me traiteront si jamais je reviens. Quelle histoire ! J’ai l’impression d’entendre mes amis journalistes dire ça. Je suis content d’être seul cette fois. Je ne souhaiterais pas ces tourments à mon pire ennemi. Bizarre, si je devais mourir dans le désert après m’être ri de cette idée. Lady Bailey doit être remplie de pitié à mon égard, je le sens.
Charmant, voilà un sympathique vautour qui fait déjà des cercles. J’ai crié et il est allé un peu plus loin.

10 h 45.

Aussi chaud qu’en enfer, même à l’ombre sous l’aile. Non !!! Je reste près du zinc. Si je meurs, j’espère que ça finira assez vite. Me sens bas.

11 h.

Le premier jour est en train de s’écouler comme une année.
Je me fais quelques soucis au sujet de mes blessures, car je sais qu’il y a beaucoup de sable dedans. Trouve difficile de lutter contre l’envie de boire, mais il le faut. Ma vie même dépend d’un rationnement sévère.
Espère que je ne deviens pas aveugle. Le sang fait des caillots autour de mes yeux. On a d’étranges idées quand les minutes paraissent des heures. Regarder voler le vautour me donnait envie de l’attraper, l’apprivoiser, sauter sur son dos et voler jusqu’à une mare. Il m’importait peu que l’eau soit sale.
Il y a un petit oiseau blanc et marron, un peu plus gros qu’un moineau, perché tout près de moi. Je me demande à quelle distance se trouve une oasis.
En nage et épuisé. Je veux tenir aussi longtemps que possible, mais la perte de sang, peut-être, m’a affaibli. Je peux maintenant très bien me rendre compte que la durée de cette agonie dans le désert saharien va me paraître aussi longue que ma vie tout entière.
En vérité, suis-je en train d’expier quelque méfait commis sur cette terre ?
Je ne veux pas mourir. Je veux vivre – désespérément.
J’ai la tendresse d’une douce mère, d’un père et d’une bien-aimée que j’adore. Si quelque chose m’arrive, Chubbie, retourne vers ta mère et pense à tout ce qu’il y a de bien en moi. Il doit y avoir de bons côtés, puisque tu m’as dit si souvent ce que tu pensais de moi.

14 h 40. Premier jour.

Ai fait quelques petites torches grossières. Découpé des bandes de toile, les ai roulées, attachées avec du fil de fer et montées sur les cordes à piano recourbées. Mettrai de l’essence dessus et elles devraient brûler. En utiliserai une toutes les vingt minutes au cours de la nuit.
Soleil intense, mais de temps en temps la brise fait du bien.

Un rêve : la barre de chocolat que m’a donnée ma mère

15 h.
Plus frais d’environ deux degrés. Viens de me dépouiller de tous mes vêtements et suis assis sur mon coussin de pilote, en gilet de peau et caleçon.
En enlevant mes chaussettes, j’ai vu les endroits qui avaient été si joliment ravaudés par Chubbie.
Évidemment, ce qui va être un rêve, c’est la barre de chocolat que m’a donnée ma mère juste avant le décollage. Je n’ai pratiquement pas de nourriture !
Le vautour est parti; je lui en sais gré. Les autres oiseaux sont également partis.

15 h 30.

Je suis soutenu par l’espoir que Chubbie fait peut-être quelque chose. Je ne sais pas ce qu’elle peut faire ni comment, mais j’ai l’impression que je peux me fier à elle pour susciter de l’intérêt d’une façon ou d’une autre. Elle a dit qu’elle le ferait, la dernière fois que j’ai vu cette petite chérie.

16 h 15.

J’ai idée que je vais avoir des vertiges, des moments de stupeur. Il faut donc que j’écrive tout ce que je peux au début, au cas où je ne pourrais pas écrire les lignes des derniers instants.
Je vais envelopper ceci dans un morceau de toile, l’attacher avec du fil de fer, et le laisser, en espérant qu’il sera recueilli et envoyé aux deux personnes que j’aime le plus.
Il se peut, bien sûr, que je sois assez heureux pour être sauvé. Je peux tenir environ une semaine.
Oh ! s’il vous plaît, monsieur l’aviateur, sortez votre appareil et venez me chercher.

16 h 30.

J’ai peine à croire mes yeux, mais je viens de voir un moineau. Ceci me réconforte considérablement, vu que je dois être à proximité de la piste.
Deux moineaux. Les autos doivent partir à 18 heures s’il n’y a pas de nouvelles de moi. Je ne crois pas qu’elles puissent me voir d’ici. Elles verront peut-être la flamme d’une torche. Puisse-t-il en être ainsi.
Le jour a l’air de ne jamais vouloir finir et ce n’est que le premier ! Si je survis, j’ai pris des résolutions que j’entends tenir. Chubbie, comment vas-tu ? Mère, tes soins et ta prévoyance me manquent.
J’ai trouvé un miroir dentaire dans la trousse de premier secours et examiné ma blessure à la tête. Rien que de vilaines coupures. Vidé toute une bouteille de mercurochrome sur les coupures, dans l’espoir de prévenir un empoisonnement du sang.
Voyez ! Encore une heure d’ici le moment où ils commenceront à sortir les voitures pour me chercher.
Je suppose que les journaux de Londres lanceront ce soir la nouvelle de ma disparition. Chubbie fera un tonneau et ma chère vieille mère aura le cœur brisé et bien des tourments. Tout ce que je puis dire, c’est que j’espère qu’ils vont s’activer à Londres et à Paris.
Je ne suis qu’à environ 250-300 km de Reggane ; et encore !
Bizarre, je ne me rappelle pas grand-chose avant mon accident. Tout me reviendra peut-être à la fois.
Oh ! Si j’avais l’eau d’une baignoire, si sale soit-elle, je la boirais.
Chubbie et ma mère doivent s’entendre et se rencontrer. Si quelque chose m’arrive, je voudrais les sentir prêtes à s’embrasser et à parler de moi. Pour sûr ! Si j’en sors, j’y veillerai.

Pour tenir, une gorgée de café toutes les demi-heures

5 h 15.
Comme liquide, j’avais neuf litres à l’arrière, une bouteille thermos de café et un reste d’eau dans l’autre thermos.
La nuit dernière, j’ai bu après ma lutte pour sortir du cockpit. Aujourd’hui j’ai pris une gorgée de café toutes les demi-heures. La bouteille n’est pas encore vide. Je vais rationner mon eau. Une bouteille thermos par jour, que je verserai du réservoir de neuf litres (enlevé de l’appareil). Ce dernier est à peu près plein et représente sept thermos d’eau ; donc, au bout de sept jours, je n’aurai plus d’eau.
Si j’ai de la fièvre, je serai sans doute incapable de me limiter à une seule bouteille, mais je prie le Seigneur de me donner la force de le faire. Les gens qui n’ont pas été dans le désert n’ont aucune idée de ce qu’est la soif.
C’est l’enfer !
Je n’ai pas éprouvé le dixième de l’angoisse que je dois supporter pour survivre. Je vous en prie, sortez vite. L’heure H a sonné et une auto de Reggane a pris la piste, allez-y, les gars. J’espère que vous apportez de l’eau.

18 h 30.

L’heure H a sonné et une auto de Reggane a pris la piste, à 250 kilomètres d’ici environ. J’allumerai le feu à 22 h 30 et des torches à partir de ce moment-là, de demi-heure en demi-heure.
Suis plutôt bas. Perdu beaucoup de sang. Pas pu résister à un petit cordial et un quart de litre d’eau. Essayé de manger un bout de poulet. Pas très brillant, mais réussi à avaler une petite quantité de chocolat.
Quelle chose étrange et puissante que la confiance. J’ai confiance que quelqu’un viendra – et me trouvera. Mais j’ai énormément appris en ces dernières vingt-quatre heures. J’espère seulement pouvoir retourner près de ma mère chérie et de ma petite Chubbie bien-aimée.
Il va faire très noir jusqu’à 10 h 30. Pas de lune. Vais essayer de dormir. Personne, où que ce soit, ne peut être près de moi avant cinq ou six heures,

VENDREDI SAINT. 14 AVRIL.
6 h du matin.

Eh bien, j’ai passé une nuit tranquille. Moins de souffrances. Mes torches ont été un succès. Du moins ont-elles jeté une brillante lumière pendant soixante secondes. J’attendais de quinze minutes à une demi-heure avant d’en faire brûler une. Personne ne les a vues !
J’ai bu un demi-litre pendant la nuit et dois donc réellement me limiter à une seule thermos jusqu’à ce soir 8 h 30. Il est évident, pour moi, que je suis peut-être plus loin de ma route que je ne le supposais ; autrement l’auto m’aurait vu dans la nuit. Il est certain que je n’ai pas aperçu la moindre lumière.
Oh ! S’il vous plait, faites sortir vos avions maintenant. Je ne suis pas fort, car je n’ai eu aucune vraie nourriture depuis que j’ai quitté l’Angleterre.

Dans deux jours je commencerai à être réellement faible

9 h.
Mes yeux me tracassent de nouveau. Ils se sont pratiquement fermés, tant ils sont enflés. J’ai trouvé de la « Joncolia », une préparation américaine pour les coups de soleil. Je m’en suis passé un peu autour des yeux – ça calme. Le soleil grimpe petit à petit. Il y a une brise qui, pour chaude qu’elle soit, réconforte.
Les variations de température sont effrayantes. Le jour, il fait si chaud qu’on se croirait dans un four ; la nuit, j’ai besoin de chacun des vêtements que je possède : gilet de peau, chemise, tricot (épais), veste, veste d’aviateur, petit cache-nez en laine, pantalon et, par-dessus, pantalon d’aviateur, chaussettes, caleçon. Malgré tout cela, je suis encore gelé.
Le réservoir d’eau refroidit la nuit ; ainsi le matin, si je remplis le thermos, j’ai une boisson glacée toute la journée. Je prends une gorgée toutes les demi-heures.
N’ayant pas l’habitude de me perdre dans le désert, je ne connais pas la technique pour conserver l’eau. Mais je sais ceci : quand je lève la bouteille pour ma gorgée, je dois lutter de toutes mes forces, avec toute ma volonté, pour m’empêcher de la renverser et de boire un bon coup, disons une demi-tasse.
Je ne sais pas quand je commencerai à devenir réellement faible ; pas avant deux jours en tout cas.
Pendant que je suis fort, je vais préparer des torches avec des bandes de toile roulées placées au bout des cordes à piano, qui sont recourbées. Je veux en allumer une à peu près toutes les demi-heures, la nuit.
J’ai compté mes allumettes. J’en ai dix-huit. Je dois, par conséquent entretenir le feu pendant la plus grande partie de la nuit. Il me faudra brûler des morceaux de l’épave, aussi parcimonieusement que possible. Je vais laisser la toile sur l’aile supérieure (dessous de l’aile inférieure, puisque l’appareil est sens dessus dessous) pour attirer l’attention des sauveteurs. Si on fait sortir des appareils de Reggane demain, on me retrouvera vivant.
Ce matin, mes pensées sont allées vers ceux qui me sont proches et chers. Je leur adresse mes affectueuses pensées et l’expression de ma tendresse.
Oh ! Chubbie, ma chérie, te reverrai-je jamais ?
Douce petite mère, pour l’amour de ton premier-né, accueille Chubbie dans ton cœur et guide-la dans la bonne direction, si je meurs. Car si je vis, je jure que ce sera ma seule occupation, si l’on excepte les tâches qu’il me faudra remplir pour assurer notre subsistance.
Pauvre vieille « Southern Cross Minor ». Quelle fin ignominieuse. Et avec quelles pensées affectueuses mes père et mère m’ont-ils engagé à partir à son bord pour battre un record.
Quel échec et quel endroit ai-je choisi pour m’arrêter !
Suis épuisé – à plus tard,

10 h 30.

Viens d’essayer d’examiner l’étendue des blessures. Le principal ennui est la coupure entre les yeux, et davantage au-dessus de l’œil gauche que du droit. J’ai très peur d’un commencement d’empoisonnement du sang.
J’ai enlevé la bande après avoir quelque peu souffert pour l’arracher là où elle était collée. Que faire maintenant ? Je ne sais trop. Faut-il couvrir ou laisser sécher ? Il est entré beaucoup de sable dans les coupures cette nuit – du moins, la nuit précédente, bien sûr.
Je suis terriblement déçu de ne pas voir de phares la nuit. C’est maintenant une affaire qui concerne les avions. Beaucoup d’avions.
Quelle tentation d’aller à la bouteille d’eau. Quel pur nectar elle contient. C’est mon unique désir pour le moment. De l’eau ! De l’eau ! De l’eau !
Ma mère, que penserais-tu si j’allais me précipiter dans ta salle de bains pendant que tu te baignes, et me plonger la tête dans l’eau, propre ou sale, et boire, et boire.
Vu à l’instant un papillon blanc et une libellule (non, je ne rêve pas) je suis près d’une oasis et tout près de la piste. Venez, avions !
C’est curieux. J’ai eu tout aussi soif la nuit que pendant le jour. Curieux ceci, parce que, comme je l’ai dit, il fait vraiment froid la nuit. Le vent a changé de N.-E. à S.-O. Il est chaud et violent. De 10 h 30 à 16 h 30, c’est une agonie !!!
Je cesserai d’écrire dans ce livre quand je me sentirai devenir faible. Alors, je l’attacherai dans de la toile de l’aile et l’adresserai à ma mère. C’est l’exposé fidèle de mes pensées et sentiments en attendant le sauvetage ou la fin. Dans ce cas, plaise à Dieu que je meure en gentleman.

13 h 45.

Me sens mal à cause des douleurs de la tête. Essayé un peu d’alcool du compas. Pas bon. En ai aspergé ma tête. L’évaporation a rafraîchi quelques secondes.
Mon livre ne va pas m’intéresser pendant plus de deux jours. Serai trop faible. Pense à ma mère et Chubbie. Je vous aime toutes deux.
Presque fini bouteille. Mais ne veux plus toucher réserve avant 6 h. J’ai assez d’eau pour cinq ou six jours, je pense (un de passé) ; leur laisse quatre ou cinq jours pour me trouver. Disparu depuis près de deux jours.

J’ai foi en ma délivrance à moins que je ne devienne fou

SAMEDI 15 AVRIL.
Bien dormi cette nuit. Étais épuisé et ne pouvais rester éveillé. Je dois maintenant conserver chaque parcelle d’énergie pour rester vivant environ trois ou quatre jours dans l’espoir d’être sauvé.
Si les avions partent à ma recherche aujourd’hui, j’ai foi en ma délivrance. Mon eau tiendra encore trois ou quatre jours – à moins que je ne devienne fou et la consomme avant. Vous voyez, mes blessures m’ont rendu ces journées pénibles, car j’ai perdu beaucoup de sang, et elles me font terriblement souffrir le jour quand le soleil est haut.
Attention, je ne me plains pas exagérément de mon état. Après tout, c’est moi qui l’ai cherché. Je dois appeler ça les hasards du jeu et le jouer jusqu’au bout.
Chubbie, j’espère que tu as réussi à éveiller l’intérêt pour qu’on fasse des recherches. Et je suppose, mère chérie, que tu as poussé des gens à agir auprès des Français.
À Oran, j’ai rencontré un grand pilote français ; il va probablement tenter une sortie. S’il y a plusieurs appareils basés à Reggane, je devrais être retrouvé, car je n’en suis qu’à 250 kilomètres environ.
Les heures, de 11 à 16 h 30, sont celles que je redoute. La chaleur du soleil est épouvantable. Il est inévitable que je sois malade après cela, même si l’on me retrouve. Mais je m’en moque tant que j’ai de l’eau. C’est mon désir obsédant. De l’eau !

Sur le corps de Lancaster, on retrouva ces deux photos déchiquetées de « Chubbie »,
sa camarade de raid ; les dernières pensées de l’aviateur allèrent à deux femmes :
celle-ci et sa mère.

EN EXCLUSIVITÉ UN EXTRAORDINAIRE DOCUMENT

Depuis trois jours, un aviateur perdu survit en plein cœur du Sahara. Bribe par bribe, il rédige son journal d’agonisant. Cela se passe en 1933. Ce n’est qu’en février 1962 qu’une patrouille le découvrit, momifié, tel que la mort l’avait surpris juste après qu’il eût écrit ces derniers mots :


« Ce sont mes dernières notes : je veux dire à ceux que j’aime… »

« ADIEU MES CHÉRIES »

DIMANCHE 16 AVRIL, 6 h 10. – Le quatrième jour commence. Le vent est tombé. Tout l’après-midi d’hier, il y a eu un vent violent et des tempêtes de sable. Tout ce que j’ai pu faire a été de bien me recouvrir la tête avec ma chemise et de rester allongé à l’abri d’une aile. Toutes les demi-heures, j’ai pris une gorgée d’eau. Hier, j’ai bu deux bouteilles thermos (un demi-litre) pleines, et dû lutter farouchement pour rester loin du réservoir d’eau. Il est actuellement à moitié plein : ainsi je pense pouvoir tenir encore trois jours après celui-ci.
Ce sera ma limite. Alors, avions, je vous prie, commencez vos recherches.
Cette nuit, j’ai fait bouillir un peu d’eau dans l’une des gaines extérieures de thermos et fondre du chocolat. C’était bon mais je l’ai bu trop vite. J’ai été malade. Je n’en avais avalé que les deux tiers, j’ai donc attendu qu’il refroidisse et bu le reste. C’était bon et c’est bien descendu.
Cette nuit j’ai vraiment été mis au supplice. Il a commencé à pleuvoir ! Oui, c’était bien vrai. Des gouttes de pluie glacées.
Hélas ! cela n’a duré que quelques courts instants et je n’ai même pas pu en recueillir une petite cuillerée.
Que je revienne sur l’accident proprement dit. Je me sens l’esprit clair en ce moment. Écoutez, c’est pour un rapport technique :
J’ai quitté Oran à 18 h 30 ; je me sentais bien pour voler jusqu’à Gao. J’avais l’intention de suivre la piste carrossable. Ce que j’ai fait jusqu’à ce que ça s’obscurcisse.
C’était une nuit noire ; ainsi, naturellement, je ne voyais rien sur le sol. Je volais à 300 mètres. Au bout d’une heure quarante de vol, après le départ de Reggane, le moteur a toussé. Mon réservoir d’essence était à peu près plein ; j’ai donc décidé de pousser un peu.
Il ne s’est rien passé pendant cinq minutes ; et puis il a toussé et m’a fait faux bond. J’ai commencé à perdre de l’altitude. Plus bas, encore plus bas. J’étais incapable de me maintenir en l’air avec ce chargement… J’ai heurté le sol avant de m’en rendre compte. Il a rebondi à 50 mètres, heurté encore et s’est retourné.
C’est tout ce que j’ai pu me rappeler à ce moment-là. J’étais aussi dans un triste état, de vilaines coupures au front, etc., sens dessus dessous, prisonnier dans le cockpit. Avec l’énergie du désespoir, j’ai creusé avec mes ongles et me suis dégagé.
Je sais maintenant que je suis à droite de l’itinéraire convenable. Ce fait me rend anxieux : peut-être ne croient-ils pas cette erreur possible dès le début du vol. Je n’ai qu’à tenir jusqu’au bout. Le jour, quand le soleil monte, est indescriptible. Je reste simplement allongé sur le dos – des années, me semble-t-il – à l’abri sous l’aile, et je remue toutes sortes de pensées insensées.
Sans aucun doute, je n’aurais pas passé d’aussi mauvais moments que ceux que j’ai connus, si je n’avais pas eu ces blessures.
Je boirai de l’eau à tous les repas si jamais je m’en sors. Je ne fumerai plus. Les cigarettes ne m’ont pas du tout manqué !

Mère, ma meilleure amie. Père, mon copain

Comme je l’ai déjà dit ce matin, j’ai l’esprit tout à fait clair. Je me sens faible – si faible de corps. Il se recroqueville autour de mon estomac et de mes côtes. Chubbie, ma chérie; mère, ma meilleure amie ; père, mon copain, n’ayez pas de chagrin. Je suis le seul à blâmer de tout cela. Ce fou entêté que je suis. La vie, au fond, n’est tout simplement qu’un petit trait d’union dans l’ordre de la nature. J’aurais aimé faire plus de bien quand je le pouvais, c’est tout.


En 1930, à Nassau (îles Bahamas), Lancaster et l’aviatrice
australienne Keith Miller, qu’il appelait « Chubbie ».

Il y a encore un espoir, mais je veux finir mon dernier message correctement. Il vous faudra mettre de l’ordre dans les mots de ce brouillon et leur donner un sens. Plus rien, probablement, jusqu’à demain. Dieu soit avec vous tous. Bill Lancaster.

6 h 30.

Le soleil prend de la force. C’est pourquoi je me suis arrêté.

10 h 15, même jour.

Le soleil monte dans le ciel, et pourtant il y a une brise qui réconforte. Je bois une gorgée d’eau de demi-heure en demi-heure.
Je ne puis m’empêcher de croire qu’il doit y avoir de l’eau à proximité, parce que tout à l’heure un petit oiseau, semblable à un moineau, est venu de l’est et a volé vers moi.
Sans ma promesse à Chubbie, je quitterais volontiers le zinc cette nuit pour marcher vers l’est. Mais cette promesse tient, parce que je sais qu’elle essaiera de faire quelque chose.
Viens à moi, Chubbie, mais fais attention en venant. Crois-moi, je ne survolerai plus jamais un désert.

Le paradis : ouvrir le robinet de la cuisine

Je pense que je peux tenir encore deux ou trois jours. Puis ce sera quelques heures – la folie – et la mort enfin. Je prie pour qu’elle vienne vite, s’il doit en être ainsi.
Je vais attendre jusqu’au coucher du soleil. Mère, tu n’as aucune idée de cette chaleur. Oh ! si je pouvais seulement me précipiter dans ta cuisine et tourner le robinet d’eau froide sur moi, partout, sentir l’eau glouglouter dans ma bouche, et le liquide froid se déverser sur moi, ce serait le paradis.

LUNDI 17 AVRIL, à 6 h 20. Matin du cinquième jour.

Me sens mal ce matin ; je ne devrais pas puisque cette nuit, juste après le crépuscule, j’ai vu une fusée éclairante tirée à une certaine distance. J’ai immédiatement répondu avec la torche qui me restait – je présume donc que je suis repéré.
Je mets là tout mon espoir. Ma réserve d’eau durera aujourd’hui et demain. Il a fait hier une chaleur étouffante. S’il en est de même aujourd’hui, je devrai boire un peu plus qu’hier. Je ne peux pas supporter les heures entre 10 h 30 et 4 h. Je pense qu’on viendra me chercher.

9 h 15.

Ma tête me rend fou de nouveau. J’affirme que j’ai vu une lumière cette nuit ; et la personne qui l’a lancée a dû voir la mienne ; pourtant rien n’est venu confirmer qu’on m’ait repéré. Pas d’avion dans le ciel, etc.
Je voudrais bien ne pas avoir bu cette seconde bouteille cette nuit. J’ai diminué mes chances d’un jour. Les choses semblent aller très mal pour moi. Si cette lumière, cette nuit, avait été véritable, je pense que j’aurais vu quelque chose ce matin.

10 h.

La chaleur va être effroyable aujourd’hui. Pense à vous, mère et Chub.

10 h 20.

Pas un souffle d’air. Je suis résigné à la mort, s’il doit en être ainsi.
Je pense que je peux tenir jusqu’à après-demain – mais pas plus longtemps. Oh ! si j’avais de l’eau, de l’eau.
Chubbie, ma chérie, cesse de voler, fixe-toi et sois le réconfort de ta mère, au déclin de sa vie.
J’aurais voulu t’apporter davantage de réconfort, ma mère à moi. Laissons cela : pense au bonheur que je t’ai donné. Je veux encore croire et espérer que je serai sauvé.

Fin du cinquième jour – c’est-à-dire 18 h 45 le 5° jour.

Le « Southern Cross Minor » n’a pas fière allure maintenant. J’ai dû arracher beaucoup de toile pour faire des torches, et il a l’air d’un pauvre canard cassé en deux et presque tout déplumé.
Je me résigne à mon destin. Je vois que je ne serai pas sauvé, à moins d’un miracle. Chubbie, rappelle-toi que j’ai tenu parole : je suis « resté près du zinc ».
Mère chérie, mes pensées se sont beaucoup attachées à toi et à père aujourd’hui. Comme vous avez été gentils pour moi, tous les deux, avant mon départ ! J’espère que ce ne sera pas trop dur à supporter – la fin, je veux dire.
Aujourd’hui, je suis resté allongé, mourant de soif, mais je n’ai pas calé et pense que je peux survivre deux jours encore. M’affaiblis un peu, car je n’ai pas de nourriture, naturellement. Je ne sens que la soif.
Je veux que ce livre soit sensé, et rappelez-vous que Chubbie doit avoir l’original ou une copie exacte. Mère, vois petite Pat et Nina Ann pour moi (les deux filles de Lancaster). Embrasse-les pour moi et explique ce que j’ai dans le cœur. Vois Kittie (sa femme, dont il vivait séparé), dis-lui qu’elle peut maintenant oublier pour de bon.
Est-ce que je deviens trop sentimental ? Je peux, pour la dernière fois, car je suis déjà sentimental de nature.
Je me demande si le pilote reviendra lâcher de nouvelles fusées éclairantes ? Destin, permets-le, s’il te plaît. Il fait plus sombre. Écrirai probablement quelques notes dans la matinée.

18 AVRIL. LE SIXIÈME JOUR. 6 h.

Nuit beaucoup plus froide. Sommeillé de 3 h à 5 h. Réveillé en frissonnant malgré tous mes vêtements. Il est certain que le corps humain peut s’accommoder de ces contrastes. Ici, dans la journée, je reste étendu à suffoquer, par manque d’air et d’eau. Et la nuit je grelotte, j’ai besoin d’une goutte de rhum.
Bien ! Ce sixième jour, je l’entame en priant que quelque chose arrive, aujourd’hui. Il est à peu près impensable que je sois sauvé. De nouveau mes pensées se tournent vers ceux qui me sont proches et chers.
Je me tracasse énormément à la pensée qu’un ou deux êtres puissent avoir beaucoup de peine. Je suis sûr que Chubbie, ma mère, mon père en ont.
Je suppose que je dois être plus loin de la piste que je ne le supposais. Après tout, peut-être quelque pilote plus hardi que les autres s’aventurera-t-il jusqu’ici ?

Supporter encore les cinq heures d’enfer

Je me raidis pour supporter les cinq heures d’enfer. Notez bien, sans mes blessures, je n’aurais pas tant souffert. J’espère tenir ce journal à jour demain matin. Quelque chose arrivera peut-être aujourd’hui. Bill Lancaster.

6° jour. 11 h 15.

Pas un souffle d’air. Mouches mauvaises aujourd’hui. Après ma pauvre tête blessée. Peux tenir aujourd’hui, j’en suis sûr. Mais des doutes pour demain, à moins que les choses n’en restent là – pour les blessures.
Suis en train d’écouter ; le bruit d’un moteur me semblerait une vraie musique maintenant.
Je veux que tu aies ceci, mère chérie : je l’envelopperai donc avant les dernières lignes, car je ne veux pas attendre d’être trop faible pour le faire. Mon dernier mot sera à l’extérieur.

Plaise à Dieu que j’aie une fin rapide

7° JOUR : 19 AVRIL 1933.
Le dernier jour de la semaine au milieu du désert saharien avec un petit avion écrasé et un bidon d’eau.
Chubbie chérie, je n’ai pas calé : je suis resté près du zinc et j’ai résisté une semaine tant bien que mal. Bien sûr, les blessures m’ont quelque peu gêné.
Maintenant mon eau sera épuisée aujourd’hui. Je ne peux pas la faire durer plus longtemps. Ce n’est plus qu’une question de quelques heures et, plaise à Dieu, une fin rapide.
Comme ce sont les dernières lignes, je veux dire quelques mots encore à tous ceux qui me sont chers. Je viens de m’étendre et de penser et d’essayer de voir tous les aspects de chaque question.
Chubbie, cesse de voler (tu n’en retireras plus de profits maintenant). Réunis tout l’argent dont tu peux disposer. Rembourse ce qu’il faut à ma mère et mon père. Puis prends ton billet pour l’Australie et rejoins ta douce mère. Apporte-lui du réconfort en ces dernières années de sa vie.
Pense toujours que ton « vieux Bill » était un brave type. Vraiment dommage que j’aie dû partir comme ça – pense à moi de temps en temps et écris ton livre – j’aimerais croire qu’il me sera dédié.
Maintenant, ma mère chérie, que j’ai beaucoup trop négligée dans ma vie – je veux que toi, que j’aime tant, tu voies Chubbie et qu’après une bonne conversation vous soyez enfin d’accord. « Pardonnez à vos ennemis » doit être inscrit dans ta « consigne ».
Merci infiniment, mère chérie, de la carte des « fleurs ».
(Référence aux poèmes que Mrs Lancaster donna à son fils à Lympne, au moment du décollage).
Elle m’apporte un grand réconfort. Je ne souris plus de tes vers. Ils sont beaux, mère.
J’espère que toi et père serez toujours aussi unis. Transmets mes pensées fraternelles à Jack. À mon père : toi et moi n’avons besoin que d’une poignée de main en guise de pensée. Nous comprenons. Cet accident n’a nullement été ma faute. C’étaient simplement les « hasards du jeu ».
Pense à moi quand tu boiras ton stout. Une gorgée serait du nectar en ce moment. J’ai fait un testament avant de partir ; je ne l’ai pas fait pour blesser qui que ce soit, mais pour que mes désirs soient respectés. Isaac (le notaire de Lancaster) le garde pour Chubbie.
Voilà ! Le soleil monte. Je vais me glisser sous l’aile et attendre, Je vais bien envelopper ceci dans de la toile pour le protéger. J’espère qu’il vous parviendra en bon état.

S’il est un autre monde, je vous attendrai

Rappelez-vous ceci : il ne faut pas refuser de communiquer ce journal. Il doit être lu et par ma mère chérie et par Chubbie chérie, que ce soit séparément ou ensemble. Le vieux Bill, ici, aimerait qu’elles le lisent ensemble. C’est son dernier désir. Souvenez-vous. Je vais l’attacher avec une note à l’extérieur. Adieu. Dieu soit avec vous. Bill.
Mère et Chub : s’il y a un autre monde, s’il y a quelque chose après (et j’en suis persuadé), je vous attendrai, tout simplement. Bill.

Plus tard.

Je suis précisément en train de passer sous l’aile en prévision des heures de supplice qui m’attendent. Bien sûr, cette épave doit être difficile à voir du haut des airs. Ça ne ressemble guère à un avion.
Je garde la tête haute jusqu’à la dernière minute d’espoir.
Attache maintenant ceci dans de la toile. Écrirai autre chose sur des bandes et pousserai à l’intérieur du fil de fer qui attachera la toile.
Adieu. Bill.
(Les derniers mots du journal de Lancaster ont été écrits au verso de la couverture) :
Ma mère chérie, console mon père, vois Mrs. K. M. (Je l’aime, aussi lisez ceci ensemble et entendez-vous mieux toutes les deux). Je lègue mes 1 000 livres d’assurances à vous deux. Mon père retirera 600 livres de l’appareil.
(Après avoir enveloppé son livre dans de la toile et l’avoir attaché à l’aile, Lancaster fit un effort pour écrire quelques mots sur les pages de son carnet de carburant relié en cuir rouge. C’était le carnet n° G-295, remis à Lancaster par la Shell-Mex House, à Londres, le 5 avril 1933).
À ma mère chérie et ma Chubbie chérie; j’ai tenu un journal de ces sept derniers jours. Ceci est écrit le septième jour de mon départ de Reggane. J’espère que vous recevrez ce journal et le lirez toutes les deux ensemble pour l’amour de moi. Personne à blâmer. Le moteur a eu des ratés. J’ai capoté en atterrissant dans une obscurité totale – et voilà.
Vois Nina Ann et Pat pour moi. Embrasse-les. K. comprendra. J’attache le journal principal, dans lequel sont exprimés toutes mes pensées et tous mes désirs, au lambeau d’aile gauche. J’espère qu’on le trouvera et vous le donnera.
Adieu, père, mon vieux. Écris à Jack et adieu mes chéries. Bill.
(Le huitième jour, Lancaster était encore vivant et il écrivit de nouveau dans son carnet de carburant) :
Ainsi le début du huitième jour vient de poindre. Il fait encore frais. Je n’ai pas d’eau. Pas de vent. J’attends patiemment. Viens vite, de grâce. La fièvre m’a torturé cette nuit. Espère que vous aurez mon journal entier. Bill.
« Chubbie » n’a reçu ce bouleversant message qu’au bout de vingt-neuf ans. Elle explique ici pourquoi elle a décidé de publier ce document.
Il y a quelques semaines, mon avoué m’a apporté les restes émouvants de cette ancienne et audacieuse entreprise désespérée : une sacoche, un petit fer à cheval, une petite liasse de billets de banque – et le livre de vol, dans lequel Bill Lancaster avait relaté, jour par jour, l’approche de la mort dans ce désert effroyable. Je l’ai lu, et n’ai su ce que je devais faire. Je suis mariée et vis heureuse depuis vingt-six ans. Et puis tout à coup le passé surgit et s’installe dans le présent. Mais, comme je l’ai dit, il ne s’agissait pas d’une autre vie ou d’un autre monde ; c’était bien cette vie et ce monde. Je lus donc le journal à mon mari. Il garda le silence quand j’eus fini. Avec tout le calme dont j’étais capable, j’attendis qu’il parlât. Quand il ouvrit la bouche, il était clair qu’il était profondément ému : « Personne n’a le droit de faire disparaître ceci. Ce sont les derniers mots d’un homme qui a vu la mort venir à lui lentement et qui l’a accueillie avec la forme la plus élevée du courage ». Voilà comment et pourquoi ce journal est aujourd’hui publié.