Guy DUMAS

appelé du contingent 63 2/A
brigadier-chef
620ème Groupe des Armes Spéciales

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1-Croix du Combattant 2-Médaille de la Défense Nationale, échelon bronze, avec agrafes « défense » et « essais nucléaires »
3-Médaille de Reconnaissance de la Nation 4- Médaille Commémorative Algérie avec agrafe Sahara


Les commentaires, photos et légendes sont de Guy DUMAS

EMAS
620ème GAS
405ème RAA

• Opérations de sélection au Centre de Limoges du 27 au 29 janvier 1963
• École Militaire des Armes Spéciales de Sathonay-Camp du 3 juillet 1963 au 21 octobre 1963

Affecté au 620ème GAS Mise en route sur Marseille le 22 octobre 1963 pour embarquement sur le Djebel Dira le 24 octobre 1963. Débarqué à Mers el Kébir le 26 octobre 1963
Retour en Noratlas à destination de Paris/Le Bourget le 12 mai 1964, avec une permission de 15 jours
Affecté au 405ème BAA de Hyères le 6 juin 1964
• Départ en permission libérable le 27 octobre 1964


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MES 20 ANS SOUS LES DRAPEAUX AU SAHARA

Qu’est-ce que le Sahara ?

    Le désert du Sahara couvre 8,5 millions de km2 dans la partie Nord du continent Africain. Il s’étend sur 5 000 km de l’Atlantique à la Mer Rouge.

    La chaîne des Atlas le sépare des territoires économiques de l’Algérie.

    Nous distinguerons trois secteurs qui le composent : dans la partie Ouest, traversé parle la Piste impériale N° 1, (aujourd’hui route nationale N° 6) de Oran, (passant par Colomb-Béchar et Reggan), à Gao au Mali : le Tanezrouft ou désert de la soif, comme l’avait défini le Général de Gaulle, pour justifier ce choix d’y installer le C.S.E.M. Centre Saharien d’Expérimentations Militaires ; au Sud-est, le désert du Ténéré, désert des déserts, ou désert de la mort pour les aventuriers trop téméraires, proche du Niger ; et au Nord-Est, l’immense massif du Hoggar, traversé par la piste (aujourd’hui route nationale N° 1), de Alger au Niger, passant par Tamanrasset, au Nord de laquelle s’installa le C.E.M.O., Centre d’Expérimentations Militaire des Oasis.

    Le massif du Hoggar est très riche de gravures rupestres datant de la préhistoire. En référence, l’ouvrage de Roger Frison-Roche : « Carnets sahariens ». Dans toute l’étendue de ce désert, on peut trouver beaucoup de fossiles et les preuves d’une très lointaine vie humaine.

    Rien, n’existe pas au Sahara, la flore n’y est pas luxuriante comme en Europe, mais on peut avoir de belles surprises après les pluies (rares, mais très abondantes), la faune sauvage et les hommes, savent s’adapter à ces conditions très austères de climat et de relief.

    Les Touaregs, dits « nomades du désert », ou Hommes bleus, traversant à pieds, ou à dos de dromadaire, cet immense désert, de l’Ethiopie à la Mauritanie pour l’azalaï (caravaniers du sel), connaissent tous les points d’eau et de flore pour leur nourriture et celle de leurs animaux, sur leur immuable itinéraire depuis la nuit des temps.


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Comment la conscription m’a amené au Sahara ?

    Personne ne peut ignorer que tout français naît soldat disait un ministre de la IIIe République !

    Depuis 1798, les hommes de 20 à 25 ans doivent effectuer un service militaire. Ce service fut plusieurs fois remanié, allant jusqu’à 30 mois lors des événements d’Algérie, ramené à 18 mois, puis16, et 12. Le Président de la République Jacques Chirac y mit un terme en 1996, avec effet au 28 octobre 1997.


    Né en mars1944, j’étais de la « classe 64 », appelé sous les drapeaux (terme en vigueur) en juillet 1963 (19 ans et 3 mois), nous n’étions pas encore majeurs (majorité 21 ans), nous étions déjà soldats.

    Avant d’être incorporé, il fallait passer par trois étapes : Le recensement, à la mairie du domicile, le Conseil de révision, au chef-lieu de canton, et les trois jours, dans un « centre de sélection ». Il y en avait deux dans notre Sud-Ouest : Limoges, et Auch. Personne ne passait au travers des mailles du filet, sinon, c’était de la désertion, la gendarmerie se chargeait de les retrouver.

    Le conseil de révision, consistait en une visite médicale, toute ordinaire : vue, ouïe, respiratoire, circulatoire, réflexes. À l’issue de cette visite, nous étions déclarés : bon pour le service ! ça nous permettait de « faire les beaux » en ville. Près de Tonneins, le Chai Baurès à Clairac, nous offrait le vin blanc à volonté !

    Pour moi, les « trois jours », ce fut Limoges, fin janvier 1963, l’hiver se manifestait rudement. Dès la descente du train (la Micheline), nous étions cueillis aussitôt et amenés à la caserne en camion, ou en autocar. Pour la nuit, les chambres sous les combles nous furent attribuées, le chauffage n’y arrivait qu’en été !

    Pour la plupart d’entre nous, fils de paysans de la « France profonde », c’était notre 1er voyage en train, notre 1ère grande sortie !

    Nous passions chacun notre tour, ou en salle de cours, au crible d’une multitude de tests (scolaires, psychotechniques et médicaux, ça se terminait par un entretien avec un gradé qui nous demandait d’exprimer nos souhaits d’Arme : Terre, Air ou Mer, et le souhait du lieu d’affectation, lequel s’est avéré aléatoire ; l’Armée déciderait pour nous en fonction du résultat des tests et des besoins du moment ; ça durait en fait, trois demi-journées. Nous ne devions jamais connaître les résultats de ces tests.

    Tous les conscrits subissaient les même épreuves, quelque fut le Centre de Sélection ; ça a été pour tous l’entrée dans la vie d’adulte.


    Fin juin 1963, je reçus ma « feuille de route », c’est-à-dire mon obligation de rejoindre l’École Militaire des Armes Spéciales (EMAS), de Sathonay-Camp, le 3 juillet. Sathonay-Camp est (était) une petite commune du département de l’Ain très proche de Lyon ; aujourd’hui, elle est entrée dans l’agglomération de Lyon. Que pouvaient bien être ces Armes spéciales ? Je le saurais bientôt.

    À la gare de Lyon-Perrache, le comité d’accueil ressemblait à celui de Limoges. Sathonay-Camp n’était qu’à quelque minutes de la gare. Dès notre arrivée à destination, il y eut les formalités d’incorporation ; c’est lors de ces formalités que chacun de nous, reçut un post-it sur lequel était inscrit au stylo bille le N° 620, ou 621 ; que voulaient donc dire ces numéros ? Il s’agissait de notre future affectation une fois les « classes » finies, soit : 620 pour Reggan au Sahara, 621 pour Tamanrasset toujours au Sahara. Quel bonheur pour moi, je ne passerai pas mes permissions au cul des vaches.

    Pour moi, ces « classes » se passaient très bien, habitué à la dure vie de paysan. L’ordinaire n’était pas terrible, souvent hachis parmentier, ou pâtes cuites à l’eau sans bon assaisonnement accompagnant des sauces fades. Les exercices de manœuvre à pieds ou les maniements d’armes et les marches chronométrées n'éprouvaient pas outre mesure mon corps. Les cours d'armes spéciales N.B.C. nucléaire, bactériologique, et chimique, me plaisaient beaucoup. C’était donc ça, les Armes spéciales.

    À l’issue de ces classes, notre batterie fit une formation FRAC : Formation Rationnelle Accélérée des Chauffeurs, qui nous délivra le permis de conduire militaire VL et PL. De retour à la vie civile, ces permis pouvaient se transformer aisément en permis civils.

    À la fin de ces « classes », un flottement dans la date de départ au Sahara manqua de me détourner de ce départ. Un sous-officier du régiment du Train, le C.I.T. 158, cherchait des volontaires pour les cuisines du mess ; des absences pour maladie et permissions réduisaient l’effectif des cuisines ; je me portais volontaire avec pour objectif de tromper l’ennui, et d’améliorer mon ordinaire. Trop satisfait de mon travail, cet adjudant-chef fit tout son possible auprès de ses supérieurs, pour me garder aux cuisines, je maintenais mon souhait de partir tel que l’armée en avait décidé, le Colonel qui me convoqua pour me faire changer d’avis, me gratifia de têtu comme un gascon et me dit que je le regretterais. Je partirai au Sahara.


    Ainsi, donc, fin octobre, par train spécial rempli de bidasses en partance pour l’A.F.N. nous passâmes une nuit au camp Sainte-Marthe à Marseille, dormant (si l’on peut dire) dans des châlits de toile bourrés de milliers de punaises de lit, fixés par trois sur des chevalets. Le lendemain matin, d’un quai du port, nous avons embarqué sur le Djébel-Dira, un rafiot au service de l’armée entre Marseille et l’A.F.N.


    Après 40 heures de traversée sur une mer d’huile, le débarquent eut lieu à Mers el-Kébir, des camions militaires nous y attendaient pour nous amener à la gare de Perrégaux, d’où un des deux antiques trains desservant Colomb-Béchar à 650 km (Inox, ou Rafale) nous y déposa après 16 heures de voyage. De là, un avion Noratlas nous amena à Reggan environ une heure plus tard. Nous avions quitté Sathonay-Camp 4/5 jours avant, avec la fraîcheur des premiers frimas de l’automne dus à la proximité des Alpes, nous débarquions de l’avion en début de matinée, par une température d’environ 30 degrés.

    À la sortie de l’Escale, un appel d’une douzaine d’entre nous, à embarquer dans un camion pour la destination de la Base du Champ de Tir (BCT) d’Hamoudia à 45 km de la base vie du Plateau, j’étais de ceux-là ; tous les autres camarades de Sathonay (une vingtaine), restèrent au Plateau. Dès lors, nous nous perdions de vue.

    La Base Vie du Plateau était quasiment une petite ville, outre l’Escale (base aérienne 167), il y avait tout ce qui était nécessaire à la vie en communauté. Des grands bâtiments préfabriqués, comme l’étaient en métropole de nombreux lycées et collèges, abritaient le haut commandement, et le personnel civil, avec leur famille pour certains. Un hôpital (militaire) important y était implanté tout comme le service des essences, la météo (pour gérer les tirs), une boulangerie, un magasin de vivres, une chapelle, une piscine couverte, une salle de cinéma, des laboratoires souterrains creusés dans la falaise du Plateau, etc… 60 ans plus tard, je dois en oublier !

    Chaque unité présente sur le Plateau avait son propre commandement et son matériel.

    De mes souvenirs, les unités présentes étaient : le 620ème GAS, le 11ème RGS, la Prévôté (gendarmerie militaire), la Légion Etrangère, l'aviation (BA 167), le personnel de santé (médecins et chirurgiens militaires), les techniciens civils n’étaient que de passage pour la durée de leurs missions.

    Pendant la période des tirs, près de 2 000 personnes vivaient sur le Plateau.

    À proximité de la palmeraie de Reggan (à 6/8 km du plateau) vivaient aussi dans des bordj, quelques civils et quelques petites unités.

    À Hamoudia, nous étions à environ 15 km des « Points Zéro » petit plateau au milieu de nulle part, vide absolu à l’horizon des quatre points cardinaux, quelques baraques en tôle modèle Fillod, abritaient, outre les hommes de troupe du 620, les différents services de la B.C.T. La répartition de chacun de nous se fit dès notre arrivée : central téléphonique, poste de décontamination, cuisines, foyer du soldat, bureau du commandement, et service auto. Une section du 11ème Régiment du Génie Saharien logé dans un bordj à l’écart de nos baraques en tôle, assurait le fonctionnement de la centrale électrique et la conduite des engins de terrassement en opérations d’enfouissement à l’écart des « Points Zéro ». Nous n’avions que très peu de contacts avec les hommes du Génie.

    En novembre, nous eûmes à subir une tempête de sable, curieux effets tellement c’est violent. Elle a duré deux heures environ, les particules les plus fines rentaient dans nos piaules, il nous a fallu défaire les lits et secouer les draps pour éliminer cette poussière. Nous avons été prévenus qu’il pourrait y en avoir d’autres vers le printemps. Des dispositions impératives nous furent données si nous venions à en subir une sur la route.

    Chacun vaquant à ses activités d’affectation, le service auto où j’avais été affecté avec deux de mes camarades, outre l’entretien des véhicules, assurait le transport vers les « Points Zéro », de quelques visiteurs, des techniciens spécialement venus de métropole pour le démantèlement des appareils de contrôle installés dans les blockhaus à la périphérie des points zéro « tâche noire ») ; ainsi que les équipes qui, régulièrement, une fois par semaine, allaient faire des relevés de radioactivité sur la « tache noire ». À chaque mission vers les points zéro, l’arrêt au poste de décontamination était obligatoire, chacun devant changer de tenue, laissait ses vêtements dans un casier et endossait la combinaison de protection en tissu blanche, s’équipait de bottes caoutchouc, de gants type produits chimiques et d’un masque à gaz type ANP 51, pour les relevés de radioactivité, nous disposions d’un compteur Geiger (pas assez puissant pour déterminer le débit de rayonnement) ; au retour, arrêt impératif au poste de décontamination, déshabillage de l’équipement spécial, douche obligatoire en groupe, passage individuel devant un appareil de contrôle, s’il n’y avait pas de crépitement de l’appareil, on pouvait se rhabiller, sinon retour obligatoire à la douche jusqu’à un résultat négatif. Pour moi, j’allais faire des relevés trois fois par mois environ.

    Les jours s’écoulaient tranquillement, chacun à son poste, nous n’étions pas au bagne, n’étions plus très nombreux, un contingent avait été libéré fin décembre, il n’y avait plus aucun gradé du rang. De la mi-décembre à mi-janvier, il faisait relativement froid. La chaleur revint assez vite, nous avions sieste obligatoire après le repas de midi, il nous était déconseillé de sortir en plein soleil. Voilà que fin janvier, je suis convoqué au bureau du capitaine, j’y trouve 5 camarades, qu’allait-il se passer ? l’entretien fut bref, le capitaine nous désigna pour une formation d’élèves gradés dès le 1er lundi de février, 3 jours plus tard, sans autre forme de procédure. La formation était intense, notre adjudant venait des paras, c’est tout dire. En fin de mois, un examen clôtura cette formation très accélérée ; le 1er mars nous étions tous les 6, nommés brigadiers.


    Ce mois de mars, arriva une nouvelle tempête de sable avec la même violence que la précédente. Cette fois, nous avions défait les lits tout au début, une fois la tempête passée, il fallait quand même faire la poussière sur les armoires, et balayer.

    Au cours de ma 1ère garde en tant que chef de poste c’est à dire, la 1ère semaine de mars, la garde prévôtale du Plateau me signale la visite du colonel André, commandant la base de Reggan. Comment le recevoir, c’est le grand patron. L’adjudant me dit la conduite à tenir, je suis tranquillisé. À son arrivée devant la barrière, je m’avance vers lui, salut réglementaire, il descend de voiture me tape sur l’épaule, me demande combien de temps me reste-t-il pour la quille, je lui réponds octobre, tu ne l’auras pas ici me dit-il. Je fais ouvrir la barrière. Ouf, ça va mieux ! Bien plus tard, avant la quille, j’entendrais reparler de ce colonel André.

    Pour la culture générale des lecteurs de ces lignes, je me dois de donner quelques éléments de langage du jargon nucléaire :

    Les « Points Zéro », étaient pour chacune des quatre bombes tirées en 1960, et 1961 : Gerboise bleue, Gerboise blanche, Gerboise rouge et Gerboise verte, le point où elles explosaient. Une bombe nucléaire a trois effets : effet de feu , effet de souffle (dans les deux sens, aller et retour), effet radioactif, sur et autour du point d’explosion, et les retombées en fonction des vents pouvant aller à plusieurs centaines de kilomètres.

    À Reggan, l’effet de feu fit fondre les tours métalliques (plus de 100 mètres), en haut desquelles étaient posées les bombes, le sol sableux a fondu et s’est vitrifié, laissant la « tache noire » que nous voyons sur les photos.

    L’effet de souffle va vers l’extérieur dans un 1er temps, puis revient aussi vite laissant les véhicules (exemple) mis comme témoins, en forme d’accordéon.

    L’effet radioactif composé de trois principaux rayons : Alpha, très courts, de l’ordre du centimètre ; Beta, plus longs de l’ordre du mètre, tous deux dangereux s’'ils sont inhalés ou ingérés, et les Gamma très longs, traversent tous les matériaux. C’est la découverte des Gamma par Marie Curie qui fit avancer la médecine pour la réduction des fractures osseuses, notamment dès la guerre de 14/18. Utilisés très longtemps en radiographie.

    Pendant mon séjour, le démantèlement des points zéros, pour nous, du 620, consistait à amener des techniciens spécialisés venus de métropole pour le démontage des appareils de mesure et de contrôle installés dans des blockhaus construits spécialement à la périphérie des tours. N’ayant pas de consignes particulières pour ce type de mission, nous aidions les techniciens au démontage et au chargement sur les véhicules.

    Les tâches du Génie, consistaient à creuser de profondes tranchées pour enfouir tous les « témoins » placés spécialement pour l’étude des effets de feu, de souffle et les rayonnements ionisants.

    Nous avions quelques fois des missions vers la « base vie » du Plateau, nous étions toujours deux ou plus à bord des véhicules. Les mouvements vers le Plateau, et les retours étaient impérativement signalés avec le nombre de personnes à bord, soit par notre poste de garde, soit par la Prévôté tenant celui de l’entrée au Plateau ; si au-delà du délai d’une heure le véhicule signalé n’était pas passé, des recherches étaient lancées immédiatement. Discrètement, nous disposions d’une petite dizaine de minutes pour tirer en chemin, quelques photos souvenirs près d’une borne antédiluvienne indiquant les kilométrages, bordant la piste. À ma connaissance, des centaines, voire des milliers de photos furent prises auprès de cette borne.

    À Hamoudia, nos loisirs étaient très limités en moyens, écouter la radio (RTL) que ceux qui avaient un « poste à transistors » ramené avec leurs bagages personnels pouvaient capter. C’était Johnny Hallyday, Elvis Presley, etc… les Yé-Yé de l’époque ! Pas question pour les parisiens, d’écouter André Verchuren, Édouard Duleu, Robert Monédière ou Jean Ségurel. François Deguelt ne chantait pas encore … Il y a le ciel... le soleil... et la mer...! Nous avions pourtant le ciel, le soleil et le sable, mais pas la mer ! Nous avions une piscine à ciel ouvert, mais les petits vents de sable, le sirocco semble-t-il, déposait sur l’eau une pellicule de poussière empêchant la baignade, une salle de cinéma passait selon ce que le vaguemestre (facteur) pouvait ramener du Plateau, des films en 16 mm, une à deux fois par semaine.

    Les Week-end pour ceux qui pratiquaient la religion catholique, un aumônier disait une messe dans la chapelle du Plateau. La « base vie » disposait aussi d’une piscine couverte, et une salle de cinéma climatisée.

    En fait de distractions, le 4 décembre 1963, au Plateau, nous avons fêté Sainte Barbe, le 11ème R.G.S. et la musique de la Légion y participaient aussi. En religion chrétienne, elle est la sainte patronne des artilleurs, des sapeurs du génie, des sapeurs-pompiers, des mineurs et autres carriers. Le 620ème GAS à Reggan, comme le 621ème GAS à In Amguel dans le Hoggar, était des unités issues de l’artillerie, créées spécialement pour l’Arme nucléaire. Le 620 fut dissous en juin 64, le 621 le 30 novembre 1966.

    L’Armée fêta aussi Noël à Hamoudia, une pièce de théâtre amateur interprétée par des appelés et des gradés, anima le début de soirée, ensuite, un autocar nous amena à la messe de minuit au Plateau. Un repas de réveillon nous fut servi au retour.

    Le 30 avril est un jour très particulier pour les Légionnaires : ils commémorent la « bataille de Camerone » en 1863 au Mexique, où 60 d’entre eux font face à 2 000 soldats mexicains. Alors qu’ils sont prêts à combattre corps à corps, les trois derniers valides se rendent à condition de garder leurs armes et de soigner leurs blessés. L’Officier mexicain fait « présenter les armes »' aux Légionnaires, par ses soldats. Le Présenter Armes, est une forme de salut.

    J’invite les lecteurs de ces lignes à s’intéresser à la bataille de Camerone, ne serait-ce que pour enrichir leur culture. Ce sont des Hommes qui ont le cœur sur la main, mais de redoutables soldats. RESPECT.

    Fin mars, une petite section de Légionnaires vint à Hamoudia, se joindre à nous et aux hommes du 11ème RGS en activités sur les points zéro. Au cours de la 2ème semaine d’avril, nous avons quitté Hamoudia, et sommes descendus au Plateau. Notre encadrement nous fit vérifier l’état de nos véhicules, nous apprenions que nous devions les amener par la piste à Colomb-Béchar. À quelques jours de la fin avril, nous avons formé le convoi d’une bonne cinquantaine de véhicules, le lendemain nous prenions la piste. Trois étapes étaient prévues : Reggan-Adrar, Adrar-Kerzaz, Kerzaz-Colomb-Béchar.

    Ces trois étapes « sur la piste » ont été les plus beaux moments (inoubliables) de ma vie au Sahara.

    À Adrar, hébergé par une compagnie de la Légion Étrangère, j’ai appris le principe de captage de l’eau au moyen des foggaras. Cette succession de puits reliés entre eux par le fond depuis le haut des collines environnantes vers la palmeraie, est une curiosité qu’il faut connaître pour l’utilisation rationnelle de l’eau. Ces chaînes de puits ont environ 800 ans.

    Ce jour-là, à l’heure du « casse-croûte » de midi, les Légionnaires nous préviennent de manger rapidement, une tempête de sable est annoncée, nous ne les avons pas crus, il faisait un soleil radieux. En quelques minutes le soleil disparut, nous n’avions pas fini de manger nos rations de combat, en particulier les boites de singe, il était trop tard le sable était partout, nous avons dû les jeter, pleines de sable, immangeables. Les Légionnaires se sont bien moqués de nous ! Lits Picot sous un hangar pour la nuit.

    À Kerzaz, tout petit village entre une colline rocheuse et une chaîne de dunes gigantesques (que nous n’avons pas pu escalader, trop hautes et mauvais versant), est arrosé par un oued (quand il pleut) ; une petite palmeraie avec un modèle de puisage tel que l’avait les fermes de la Lande de Gascogne, « la man-lèbe » en patois gascon, permet aux autochtones quelques cultures vivrières. C’est dans une petite et discrète échoppe de ce village, que j’ai mangé (avec quelques copains) le meilleur couscous, le plus copieux de ma vie, accompagné du traditionnel thé à la menthe, pour un prix quasiment symbolique ! Le « patron » nous avait servi plus avec son cœur, que pour l’argent, nous avait-il semblé. Bivouac à même le sol.

    Le lendemain, la dernière étape nous amènera à Colomb-Béchar (Béchar après l’indépendance).

    C’est l’évocation de cette étape qui me noue encore la gorge 60 ans plus tard. À un moment donné, le convoi est stoppé par les officiers de tête qui commandent le convoi. Nous voyons assez loin devant nous, (le convoi doit rouler sur la piste, à distance poussière, ça veut dire que chaque véhicule soulevant de la poussière cache celui qui suit, donc le suivant doit se tenir à la distance qui lui permet de voir son précédent une fois la poussière dissipée par le vent), un campement de Touaregs, nomades du désert, les hommes bleus. Nous nous approchons, nos chefs nous disent que cette famille (5/6 personnes) nous proposait le thé à la menthe, mais que, vu le nombre que nous étions,(proche d’une soixantaine) ils avaient décliné l’offre.

    Pouvons-nous imaginer ce que représentait la générosité de cette famille, qui vraisemblablement était encore loin de son but à atteindre dans la traversée du désert ; comment avait-elle la possibilité d’une telle générosité ? Depuis lors, l’hospitalité des Hommes bleus n’est pas pour moi, une légende, je l’ai vécue. Avant de nous séparer, ils ont tendu la main, la plupart d’entre nous, malgré la modestie de notre solde, les avons honorés de quelques pièces de monnaie.

    Notre arrivée était attendue à Colomb-Béchar dans une unité du « Matériel », notre hébergement pour le repas du soir et le coucher nous était assurés. Une fois les véhicules rangés, nous avions « quartier libre » dans la ville, notre officier de tête nous signa une « permission de spectacle », c’est à dire une autorisation de sortie libre en soirée, moyennant une bonne conduite sur laquelle veillaient les patrouilles des unités stationnées dans ce secteur. Dans toutes les villes de garnisons des patrouilles circulent en ville, veillent au bon comportement des permissionnaires, régularité de l’autorisation de sortie, port de la tenue de sortie et salut réglementaire à leur passage entre autres. La plus belle patrouille (par la tenue) rencontrée ce soir-là, fut celle de la Légion Étrangère qui nous rendait systématiquement le salut.

    Le lendemain matin, un Noratlas nous attendait sur le tarmac de la base aérienne pour nous ramener à la fraîche, environ une heure plus tard, à Reggan. En période de fortes chaleurs, les avions ne pouvaient décoller à toutes heures du jour, que pour raison EVASAN (évacuation sanitaire, avec autorisation spéciale).

    J’ai conservé, avec mon Livret Militaire, la permission de spectacle accordée à Colomb-Béchar, l’autorisation de circuler par voie aérienne et mes permis militaires.

    Dès la descente de l’avion nous ramenant de Colomb-Béchar, nos jours à Reggan étaient désormais comptés ; le 12 mai (1964) au petit matin, nous prenions l’avion (un Noratlas encore), à destination de Paris/Le Bourget, avec une permission de 15 jours. Notre séjour au Sahara avait pris fin. Une escale technique à Bou Sfer près d’Oran nous permit de respirer l’air marin de la Méditerranée, ça nous changeait de la chaleur sèche de Reggan à laquelle nous nous étions habitués depuis plus de 7 mois. À la descente de l’avion au Bourget, une chaleur d’orage suffocante nous donnait de la peine à respirer ; en quelques heures nous avions connu trois climats différents. Un taxi pris à plusieurs, nous amena à la gare d’Austerlitz, nous étions sur le chemin qui mène à la maison ; ça fait du bien quand on est bidasse !

    Notre permission terminée, nous avions ordre de nous rendre au Camp de Sissonne dans le département de l’Aisne. Nous étions « logés » sous de tentes de 40 personnes, lits Picot pour dormir, confort très spartiate. Des rumeurs les plus folles circulaient sur notre affectation future, au bout de 4/5 jours certains d’entre nous devaient rejoindre une unité d’artillerie à Châlons-sur-Marne, d’autres partiraient en Allemagne (encore occupée par les troupes de Libération ; notre adjudant de Reggan vint nous dire que 10 d’entre nous partirions à Hyères, dans le Var, j’étais de ceux-là ; je ne cachais pas mon bonheur. Un maréchal des logis ADL (c’est ainsi que sont nommés les sous-officiers engagés, dans l’Artillerie), vint nous rejoindre pour nous accompagner au 405ème R.A.A., régiment d’artillerie anti-aérienne.

    Arrivé à la caserne, j’ai trouvé le moyen de resquiller 8 jours de permission supplémentaire. À notre retour, notre affectation de service m’envoya au service auto avec un autre chauffeur, les 8 autres furent affectés à l’intendance d’un centre de repos installé dans un fort construit par les allemands en prévision d’un débarquement allié en 1944. Quelques jours plus tard, j’étais nommé brigadier-chef. J’ai vécu des incendies de forêts, ça fait mal à 20 ans devant le gigantisme des flammes. Je fus aussi par deux fois « service de semaine » ; c’est un service qui assiste le commandement d’une « batterie ».

    C’est au cours d’une conversation avec l’adjudant du garage qui me demandait qui était mon patron au Sahara (le colonel André), qu’il me dit que ce colonel André possédait une résidence à l’extérieur de la ville sur les hauteurs de Hyères et qu’il y recevait souvent.

    À Hyères, j’étais quasiment en « colonies de vacances » ; le capitaine qui commandait la batterie de commandement et de service qui était la mienne, s’appelait Dumas, son épouse était de Miramont de Guyenne ; allez donc comprendre si le hasard ne vient pas quelques fois, mettre son grain de sel !


    Fin octobre, j’étais dégagé de mes obligations militaires. Le colonel du Tain n’a pas réussi à me garder cuistot au mess, le Sahara m’a envoûté, j’ai voyagé, rencontré des hommes différents de moi, j’ai pu avoir une « culture » que je n’aurais jamais eu.

J’ai servi dans l’Arme du maintien de la paix.

 

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MES 20 ANS SOUS LES DRAPEAUX AU SAHARA

DIAPORAMA

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* la suite de la légende de la photo est sur l'agrandissement de cette dernière


Sainte-Barbe carnavalesque avec les moyens du bord !!!

01 — Musique de la Légion Étrangère
02 — Artillerie anti aérienne
03 Les P.L.B.T. *
04 — Fumigènes bactério chimique (NBC)

05 — Batterie de détetion
en exercice
06 — Batterie de décontamination en exercice
07 Radar de campagne
08 — Transmissions en campagne


09 — Matériel du Génies pour les tranchées d'enfouissement
10 — Artillerie désuète remplacée par la bombe atomique
11 Dépannage saharien
12 — Hôpital de campagne

13 — Moi dans la jeep *
14 — Près du cordon de dunes*
15 Filliod
16 — Saroual


18 — Sortie de la base du Plateau
19 — Sortie de la base
du Plateau *
20 Quelque part sur la piste
21 — Adrar au loin

22 — Arrêt pipi
23 — Adrar
024 Taxi saharien
25 — Étape à Adrar chez les légionnaires *


26 — Quelque part avant Kerzaz
27 — Étape à Kerzaz,
un couscous d'enfer !
28 Colomb-Béchar
au camp du Matériel
29 — Colomb-Béchar
au camp du Matériel *


30 — La quille à Hyères *


 

Guy Dumas - 31 juillet 2024
revu et corrigé le 2 août 2024

 

 

Pour approfondir les connaissances du lecteur sur le Sahara :
Carnets sahariens de Roger Frison-Roche
La Montagne aux expériences par Marcel Couchot
Les feggaguir (système d'irrigation par foggara)
Camerone au 2ème R.E.I.

 

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