Vu : journal de la semaine n° 216 du 4 mai 1932
Source : gallica.bnf.fr / Bibliothèque nationale de France

 

QUATRE MOIS DANS
L’ATLANTIDE


G W Pabst surpris par l’objectif de notre collaborateur au cours des prises de vues


Pabst révèle dans l'Atlantide, une vedette nouvelle : la petite tzigane Tela Tchaï dans le rôle de Tanit Zerga

    Il y a cinq mois environ, la presse cinématographique se réveilla un jour, très étonnée. Après Quatre de l‘Infanterie, L’Opéra de quat’ sous et La Tragédie de la Mine, le metteur en scène viennois G.W. Pabst allait tourner L’Atlantide.
    Qu’un auteur auquel ses dernières œuvres avaient pourtant valu le titre à peu près incontesté du plus grand metteur en scène d’Europe, s'en prît à un sujet quasi-national, à un roman classé monument historique et, qui plus est, filmé une première fois douze ans auparavant, c’était à peu près un scandale… Et l’on pu assister à des polémiques assez drôles. Jacques Feyder, interrogé, répondait aux journalistes :
    « J’ai refusé une nouvelle Atlantide… On ne refait pas un chef-d'œuvre... »
    Sans doute oubliait-il que douze ans de bouleversements techniques ont passé sur le cinéma de 1920, et que, seuls, quelques vieux Charlot survivent à ce cataclysme.
« Pourquoi Pabst ? » demandait-on. Et les fantaisies individuelles de se donner libre cours. Les uns ne voyaient en lui qu’un spécialiste du studio et ils oubliaient Prisonniers de la Montagne, ce chef-d’œuvre des films de plein air. D’autres — se souvenant de Quatre de l‘Infanterie et de La Mine le muraient dans le réalisme. D’autres, enfin, sous l’impression de L’Opéra de quat’ sous, le condamnaient pour la vie à l’opérette.
    Il nous manquait à tous de connaître Pabst.
    Un homme étrange, complet, inclassable, fait pour créer et pour dominer, un homme étonnamment équilibré et toujours en action. toujours maître de lui-même et, en quelques heures, maître des autres, un intarissable inventeur de gags et, en même temps, le cœur le plus ouvert à toute sympathie humaine. Que cet homme, supérieur intellectuellement et, pourrait-on dire, magnétiquement, dans une équipe dont, jeune encore, il demeure l'aîné, soit aussi le plus résistant à la fatigue, le plus souple en montagne, le meilleur chasseur, le meilleur joueur d’échecs, le meilleur photographe, tout cela parait, après quelques jours, absolument naturel.
    À un tempérament pareil, il était absurde de fixer des limites. Il fallait savoir aussi que ce pacifiste connu, que ce poète du travail et de la paix contrôle en lui-même une âme d'aventurier, que devait, tôt ou tard. enthousiasmer un film d’aventures. Qui n’a pas vu Pabst. au Sahara, abandonnant les prises de vues pour casser des bouteilles à 100 mètres avec une carabine Mannlicher, ignorera toujours jusqu’où peut aller l’instinct guerrier des pacifistes.
    Nous eûmes, un jour, un spectacle plus bel encore, lequel eût pu avoir une fin tragique, ce matin de février où Pabst, cherchant un paysage sur la piste de Touggourt à Ghardaïa. se trouva face à face avec une hyène rugissante et, le plus simplement du monde, l’attaqua dans son repaire avec un petit pistolet automatique. Heureusement pour le fauve, pour notre « patron » — et peut-être pour L'Atlantide — ledit pistolet ne contenait encore que de fausses cartouches d'armurier, absolument inoffensives. Et l'hyène se rendormit sans réagir et sans se douter de l'attaque dont elle avait failli être victime.
    Film d’aventures… Ce sera, je crois, le caractère dominant de la nouvelle Atlantide.
   Rappelez-vous quelle fut, de 1920 à maintenant, l’évolution de l’idée de Sahara dans le grand public français. Il y a douze ans, le Sahara central, inhospitalier, dangereux, inaccessible autrement qu’à chameau, gardait un mystère intact. Au Hoggar, région de montagnes et de peuplades inconnues, le Père de Foucauld venait d’être assassiné. Jacques Feyder pouvait créer à peu de frais l’illusion bienfaisante chez des spectateurs que l’idée même de Sahara faisait frémir.
    Dans cette aventure du désert et d’une femme, il fallait renouveler, sinon la matière, du moins la forme.
    Ainsi est née L'Atlantide de 1932, aventure moderne, torrent d’événements où — comme dans le roman de Pierre Benoit — le rêve étrange du lieutenant de Saint-Avit se fond avec la réalité sans qu'ils soient bien délimités l’un et l’autre. Cette idée d’un rêve laissait au récit, aux cadres, aux personnages, une liberté d’action qui, seule, permettait le style.
    Si, dans les scènes souterraines de L’Atlantide proprement dite, toutes les fantaisies étaient permises, tout ce qui ne heurtait pas la logique implacable des rêves, par contre Pabst s'est attaché à doter ses scènes de désert du plus méticuleux réalisme. Pour la première fois au cinéma, les officiers sahariens à chameau ne portent pas de bottes, pour la première fois les méharistes des Compagnies sahariennes, les forts, les Touaregs sont vraisemblables. Il n’est pas jusqu’au vent et aux nuages qui, comme à tous les grands metteurs en scène, obéirent à Pabst et nous donnèrent, entre autres, le jour où nous en avions besoin, les signes annonciateurs du vent de sable et, plus tard, alors que nous avions recours, pour l’imiter, à des moyens artificiels, le vent de sable lui-même.
    Bien des metteurs en scène français ont le tort de s’appesantir sur de beaux paysages absolument étrangers à l’action. Qui a vu jadis Prisonniers de la Montagne sait que, chez Pabst, les paysages jouent. Jamais peut-être, un film saharien n’aura donné, autant que L’Atlantide, des impressions de chaleur, de soif, d'angoisse. Il y a eu, de la part de Pabst, une grande puissance magnétique.
Voyez-le diriger une scène. Il prend Pierre Blanchar par le bras, l’entraîne loin des opérateurs, loin de la foule affairée à mettre en place la caméra. À voix basse, gravement, il parle. Il a isolé, nettement défini la situation morale du personnage. Il la décrit à l’acteur. Si le mot précis lui échappe, il s’exprime en images poétiques, en paraboles.

 


Antinéa (Brigitte Helm) souffle à l'oreille du lieutenant de Saint-Avit (Pierre Blanchar) : « Tue Morhange ! »
Version allemande (Brigitte Helm et H. Klingenberg)
Version anglaise (Brigitte Helm et John Stuart)
À droite : Grandeur et servitude. — Entre deux scènes d'atmosphères différentes, Morhange et Saint-Avit rasent, en plein désert, des barbes de huit jours


Un studio en plein Sahara. Sur une voie de madriers dissimulés sous le sable, la caméra et son chariot se déplacent,
accompagnant la marche d’une caravane de 150 chameaux, au cœur d'un massif de dunes. Scène brève,
aisée... mais deux jours de travail acharné pour Pabst et ses collaborateurs
Quelle cérémonie étrange se déroule à la lueur des torches, dans les souterrains de l'Atlantide ?



L’acteur écoute avec foi. C'est, à proprement parler, un envoûtement. Puis, Pabst le lance dans l’action. Une, deux répétitions. Pabst observe, rectifie à peine le rythme, toujours à voix basse. L'acteur s’échauffe, se lance à fond, dans un effort spontané que d’autres metteurs en scène n'obtiennent jamais.
    — On tourne, dit Pabst.
    Jamais cet ancien homme de théâtre ne mime, ne détaille le jeu de l’acteur. S'il a bien choisi son homme, la scène est bonne. Aussi, disait-il. un jour :
    « Quand j'ai choisi mes acteurs, je ne puis plus rien changer à mon film ».
    Le 6 avril, à Berlin, dans un décor de music-hall très fin de siècle, bien fait pour surprendre les visiteurs qui n'avaient pas lu Pierre Benoit, Pabst donnait les derniers tours de manivelle. Déjà, dans le studio voisin, on démolissait les décors de L’Atlantide. Le studio étrangement vide retentissait du bruit des marteaux et des pioches. Ce sol était semé, en tas réguliers, de débris informes qui avaient été les palais souterrains d’Antinéa. Chaînes et câbles pendaient du plafond, immobiles, et les projecteurs, désormais inutiles, étaient alignés, le nez au mur. Au centre de cette aire dévastée. s’élevait encore, dans un des premiers rayons du soleil printanier, le buste monumental de la souveraine de L'Atlantide, qu’un mur en s'abattant, avait défiguré.
    Nous regardions, non sans tristesse, s’en aller ce qui avait été quatre mois de notre vie.
    Entre les bruits des marteaux, on entendait les oiseaux chanter dans la cour.
    Pabst songeait déjà à son prochain film.

Pierre ICHAC


Au-dessus. « ...une femme si belle que mourir pour elle est encore une volupté...
N’est-ce pas. M. Torstenson ? » (Le norvégien Torstenson Matthias Wiemann)


« Maudite ! », St-Avit lève sur Antinéa le marteau qui vient de tuer Morhange


Antinéa (Brigitte Helm), beau sphinx au visage mystérieux, interroge les osselets… Quel avenir vont-ils dévoiler ?
Jean Angelo — le capitaine Morhange de la première Atlantide et de la deuxième



Vingt-cinq ans avant la mission Morhange, St-Avit - l’Hetman de Jitomir (WI. Sokolof)
apprend à la danseuse Clémentine (Florelle) qu’un prince Touareg la demande en mariage.