François MOPPERT
Lieutenant
de Gendarmerie
Adrar – Reggan – Adrar
Novembre 1958 – Octobre 1962
1943–1951 : Pensionnaire au Prytanée militaire de La Flèche
1951–1953 : Préparation au bac à Nice et au concours de St-Cyr à Toulon
1953–1955 : École spéciale militaire de St-Cyr-à Coëtquidan (promotion « Ceux de Ðiên Biên Phú »)
1955–1956 : École supérieure des Transmissions à Montargis
1956–1957 : Sous-lieutenant au 45ème Régiment de Transmissions de Maison-Carrée
1957–1958 : École des officiers de la Gendarmerie Nationale à Melun
1958–1970 : Officier de Gendarmerie en Algérie et au Sahara (de 1958 à 1963), à Tübingen, Allemagne (de 1963 à 1964), à Orléans (de 1965 à 1966) et à Vientiane, Laos (de 1966 à 1969).
François nous a quittés le 1er juillet 2024 à l'âge de 93 ans
Les photos et légendes sont de François MOPPERT
Aérodrome
d’Adrar Inspection du Général GRIBIUS commandant la Z.O.S. à Colomb-Béchar. Le lieutenant MOPPERT rend les honneurs avec son détachement de gendarmes mobiles |
… 15 novembre 1958 : Le Noratlas décolle de Blida à l’heure prévue. Le voyage est long, nous parcourons environ mille kilomètres. J’ai le temps de donner libre cours à mon imagination, tout en me remémorant tout ce qui fait le mythe du désert en général, du Sahara en particulier. J’évoque ainsi tour à tour Psichari, le Père de Foucault (Béni-Abbès se trouve entre Colomb-Béchar et Adrar), la disparition tragique de Laperrine, l’épopée Flye-Sainte-Marie 1, mais aussi et surtout les romans de Joseph Peyré « Croix du Sud » et « L’escadron blanc », sans oublier « L’Atlantide » de Pierre Benoît : « Dans l’immense Sahara, je cherche Antinéa, je crois voir son visage, mais ce n’est qu’un mirage « . Autant les noms d’écrivains dont la France coloniale avait affublé les douars de l’Ouarsenis (voir plus haut, Rabelais, Lamartine, Molière) ou d’autres contrées de l’Algérie (par exemple, Michelet, Tocqueville), m’avaient mis mal à l’aise en raison du mépris ainsi affiché vis-à-vis des autochtones, autant ceux qui étaient liés au mythe du Sahara fleuraient bon... le sable chaud.
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1. Le capitaine Flye-Sainte-Marie, qui a commandé la compagnie saharienne du Touat du 31 octobre 1904 au 11 janvier 1905 a publié dans les renseignements coloniaux du comité de l’Afrique française et le comité du Maroc, année 1905, un très intéressant rapport de tournée intitulé « dans l’Ouest de la Saoura, une reconnaissance vers Tindouf ».
Mon adjoint me sort brusquement de ma rêverie : « Mon lieutenant, on arrive ! » Jetant un coup d’œil par le hublot, je suis intrigué par des pointillés dessinés dans le sable convergeant vers les palmeraies qui s’étendent au sud d’Adrar, dont les maisons faites d’argile rouge encadrent une immense place : à cinquante mètres du sol, je vois nettement que ce qui m’apparaissait comme des points minuscules s’avérait être en réalité des puits permettant d’accéder aux galeries souterraines, lesquelles drainent l’eau de la nappe phréatique vers les palmeraies : il s’agissait, bien sûr, des fameuses foggaras. *
L’avion s’immobilise : nous descendons, la chaleur est suffocante. Nous n’avons pas à aller bien loin : le cantonnement de mon détachement se trouve dans le hangar de l’aérodrome ! L’officier que je remplace reprend le même avion et a juste le temps de me souhaiter bonne chance pour que je trouve de quoi loger décemment. Deux jours plus tard, j’occupais une partie d’un pittoresque bordj à l’un des coins de la place Laperrine, dont tout le côté sud était le fief de l’ESPT (l’Escadron Saharien Porté du Touat), appellation moderne de l’Escadron blanc, les jeeps – nouveaux vaisseaux du désert – ayant remplacé les dromadaires.
Pour le moment, je suis toujours dans mon hangar – 32° à l’ombre à midi et nous ne sommes qu’en novembre (au mois d’août, il fera 50°) – occupé à inventorier le matériel et à faire connaissance avec le personnel. Certains gendarmes mobiles se sont portés volontaires pour effectuer un deuxième séjour de six mois et ont donc acquis une expérience. L’un d’eux me demanda un entretien. Je lui fis répondre que je le recevrai au retour du briefing auquel je dois me rendre à 17 heures 2. Ce jour-là, il a lieu à l’Annexe sous la houlette du Commandant Brion, chef d’Annexe (équivalent de sous préfet).
Pour m’y rendre, je traversais la place Laperrine, dont Cecil-Saint-Laurent, affirme qu’elle est plus grande que la place de la Concorde 3 (et c’est vrai....). D’emblée, j’étais conquis. Je voyais de près les foggaras * entrevues du ciel comme étant en pointillé et qui en fait étaient autant de puits alignés dans la direction de la palmeraie. L’eau est ensuite répartie par des peignes. Les rayons du soleil couchant rehaussaient la couleur ocre de l’argile.
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2. L’autorisation que ce sous-officier, en poste à Adrar depuis six mois, me demandait, était d’aller à la pêche le lendemain, qui était un dimanche ! Je fis un gros effort pour lui accorder volontiers cette autorisation sans me trahir : dans mon for intérieur, je me disais qu’il avait dû avoir un coup de soleil. Je le suivis discrètement. Quel ne fut pas mon ébahissement lorsque j’aperçus ce dernier, penché sur une foggara, ayant au bout de sa ligne un barbeau !
3. ln Les passagers pour Alger, Presses de la Cité, 1960, p. 109.
* Foggara : canalisation souterraine du désert creusée à partir de le nappe phréatique, signalée à la surface par des puits, drainant l’eau vers les oasis, répartie par des « peignes » dans les cultures.
… En attendant, je me laisse envoûter, avec délectation, par la beauté du paysage, la limpidité du ciel, les couchers de soleil. Un camarade pilote d’un Dassault, m’a fait survoler au coucher du soleil Timimoun-la-rouge, image éblouissante avec sa sebkha *, reposante avec sa palmeraie, jaune dorée au loin avec les hautes vagues du grand Erg. Mais le sentiment de l’infini, de l’absolu, de l’inaccessible, c’est en plein Tanezrouft, que je l’éprouverai plus tard en dormant à même le sol, entre terre et ciel, et quel ciel la nuit, littéralement constellé et traversé d’étoiles filantes qui n’en finissent pas de disparaître. Et je songe de nouveau à Laperrine, à Flye-Sainte-Marie, voilà pour l’extrême passé. Je suis confronté également au proche passé : j’ai fait connaissance en effet avec le responsable à Adrar de « Mer Niger ». Cette société devait relier par voie ferroviaire Colomb-Béchar à Bamako et avait balisé l’itinéraire projeté avec des bidons. Bidon 2 se trouve à Kenadsa et Bidon 5 au sud de Tanezrouft, à quelques kilomètres de la frontière avec le futur Mali. 4
Quant au proche présent, ma mission est d’assurer la protection du futur Centre Saharien d’Expérimentations Militaires (CSEM) de Reggane, palmeraie du Bas-Touat, situé à quatre-vingt kilomètres au sud d’Adrar, sous-préfecture du Touat que l’on atteint par la piste impériale n° 2. Mon détachement de gendarmes mobiles, dont une partie est à Adrar, vivant à la saharienne et l’autre à Reggane dans une baraque Fillod, dotée d’humidificateurs (conséquence : le personnel de Reggane aura beaucoup plus de problèmes de santé que celui d’Adrar), est à la disposition de l’officier qui commande le CSEM, le colonel de l’armée de l’air Guernon, dépendant directement des Armes Spéciales, dont le patron est le général Charles Ailleret.
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4. Jules Verne, à sa mort (20 mars 1905) laissait, un roman inédit L’invasion de la mer, (collection 10/18 n° 1239, 1978) dont il avait livré le manuscrit à l’éditeur Hetzel, le 15 octobre 1904, sous le titre encore indécis de La mer saharienne ou Une nouvelle mer au Sahara. Le projet audacieux et très vernien est de relier l’Afrique du Nord à l’Afrique noire, non pas, par une voie ferrée, mais par une voie maritime en transformant le Sahara en mer intérieure, grâce à un canal reliant entre eux les chotts (dépressions au-dessous de la mer) et ceux-ci avec le golfe de Gabès.
* Sebkha : Bassin occupant le fond d'une dépression à forte salinité
… Je procédais en effet à l’installation de quelques gendarmes à Bidon 5 situé à cinq cents kilomètres de Reggane que l’on atteint par la piste à travers le Grand Erg: le désert absolu, surnommé à juste titre « désert de la soif ».
J’en sais quelque chose : en me rendant à Bidon 5, par la piste impériale n° 2 reliant Colomb Béchar à Gao, j’avais voulu, tel le méhariste de jadis, mettre ma réserve d’eau dans une guerba * que je fixai sur le côté gauche de ma jeep. Au dernier redjem * situé à dix kilomètres du tropique du Cancer, voulant boire, je constatais avec stupeur que mon outre était vide. Que s’était-il passé ? Tout bêtement un caillou du reg que je venais de traverser avait giclé dans la guerba et l’avait percée. Leçon d’humilité. La guerba * fixée sur le dromadaire se trouve dans une position beaucoup plus haute, non loin de la rahla * et par ailleurs le vaisseau du désert ne fait pas du 120 km/h. Se retrouver sans eau dans le désert est angoissant. Heureusement, je connaissais ma position géographique. Il suffisait de faire quelques kilomètres et tourner à l’est vers Ouallène. Là, je connaissais l’existence d’une guelta * en principe réservée aux chameaux. Au bout de quelques heures, le gradé qui m’accompagnait et moi-même mourions de soif : c’est l’eau saumâtre et remplie d’excréments, bue avec avidité qui nous permit de survivre jusqu’à l'arrivée d’une jeep, dans laquelle sur ma demande faite par radio, se trouvaient cinq jerrycans d’eau. Une mésaventure du même genre arriva à un capitaine de l’Escadron Porté du Touat. Il s’était perdu. Il ne dut son salut qu’à l'absorption du contenu du radiateur de sa jeep, condition nécessaire mais pas suffisante puisqu’il lui fallut également uriner dans son casque et boire sa pisse avant que les secours n’arrivent enfin.
Lorsque plus tard j’enseignerai à mes jeunes élèves de sixième la géographie et notamment la climatologie, je retiendrai toute leur attention en truffant mon cours sur le climat désertique, de ces anecdotes vécues.
Oui vraiment, le Tanezrouft, désert de la soif, mérite bien son nom. En février 1962, alors qu’elle roulait plein ouest en direction de l’erg Chech après avoir quitté la piste impériale à la balise 200, une patrouille de l’escadron blanc fut intriguée par une forme insolite. Quelle ne fut pas sa surprise de découvrir la carcasse d’un monomoteur de Haviland, surprise qui fut décuplée lorsqu’à quelques mètres elle découvrit un petit tumulus recouvert de sable : c’était le; cadavre momifié du pilote. Prévenu aussitôt, je fus rapidement, sur les lieux. Sous une aile, solidement attachée, se trouvait une petite boite. L’ouvrant précautionneusement, je découvrais sur des pages, même pas jaunies, le « journal de bord » écrit en anglais que le malheureux pilote londonien rédigeait quotidiennement au cours des sept jours que dura son agonie. Il écrivait à sa fiancée Chubbie quittée deux jours plus tôt à Oran.
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